La Minière de Bakwanga prise au piège : se réformer ou mourir

La Miba SA, qui  est à la croisée des chemins, va-t-elle rendre son dernier soupir ? La crise multiforme qui la ronge aura-t-elle finalement raison de cette entreprise à l’agonie  depuis plus d’une décennie, refermant ainsi l’une des pages de l’industrie minière congolaise ? Nul ne le sait encore. 

 

Pour  ceux qui s’en souviennent, la Minière de Bakwanga (Miba) fut, à une certaine époque, l’une des entreprises clés du pays, au même titre que la Gécamines, entre autres. Mais depuis de nombreuses années maintenant, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. D’ici fin octobre, elle risque de sombrer, tant la crise multiforme qui la secoue est importante. C’est à cette échéance que devrait se tenir, en principe, une assemblée générale extraordinaire qui décidera de son sort. L’équation est simple pour la Miba, qui continue d’enregistrer des pertes : ou c’est l’anticipation de la dissolution, ou c’est une ultime tentative de survie. Tout compte fait, la situation n’est guère brillante : les pertes accumulées depuis des années ont largement dépassé ses fonds propres.

Ni viable ni rentable

La dette de la Miba, qui continue de se creuser, s’élève à 350 millions de dollars. Conséquence : la rentabilité et la viabilité de la société ne sont plus évidentes. L’actif est, lui, évalué à 200 millions de dollars. Résultat, ses fonds propres, qui sont sous la soustraction de la dette de l’actif, sont largement négatifs. Ce qui, conformément au règlement de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), exige l’application de l’article 664 de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique qui dispose que : «  si du fait des pertes constatées dans les états financiers de synthèse, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d’administration ou l’administrateur général et selon le cas, est tenu dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire (AGE) à l’effet de décider si la dissolution anticipée de la société a lieu ».  Dans le cas de la Miba SA, en cessation de paiement depuis 2007, ses capitaux propres ne sont mêmes pas positifs, ils sont dans le rouge.  Mais cette entreprise peut néanmoins éviter le pire si elle se présente à cette assemblée générale où se jouera sa survie avec un double plan : un plan d’urgence et un plan de redressement.

Entre urgence et redressement 

Le premier plan doit permettre à la société de stopper l’expansion de la dette et de créer, un tant soit peu, de la richesse. A priori, ce plan d’urgence existe bel et bien, mais c’est sa mise en œuvre qui est problématique car il n’a pas été appliqué de manière rigoureuse et satisfaisante. Ce qui entraîne des pertes d’argent incessantes à cause, entre autres, du train de vie onéreux de ses administrateurs, toujours entre deux avions et deux espaces, Kinshasa et Mbuji-Mayi. De telle sorte que la représentation de Kinshasa ne sert plus à rien. «  La compression des dépenses n’a pas été faite pour juguler l’endettement », déplore Jacquy-Prosper Ngandu, un des trois membres du Collège de direction de la Miba, qui y siège pour le compte de Sibeka, actionnaire minoritaire mais historique. L’échec de la mise en œuvre est patent parce que l’entreprise minière est toujours en cessation de paiement. Avec le peu d’actifs qui lui reste, elle n’arrive pas à produire des pierres précieuses en quantité suffisante en vue de faire face à ses obligations à court terme. Il s’agit notamment du paiement des salaires, des impôts et taxes et de l’achat des fournitures. À cette allure, il n’est pas certain que la survie soit assurée.

Des actionnaires en désaccord 

Si le plan d’urgence n’a pas mis fin à la cessation de paiement, le plan de redressement n’est pas encore élaboré à cause des dissensions entre les actionnaires : État (80%) et Sibeka (20%). Jacquy-Prosper Ngandu est le premier à avoir tiré la sonnette d’alarme face aux dangers qui guettent l’ex- Forminière. Dans une correspondance datée d’août  et adressée au président du Conseil d’administration, Tshibangu Kitshidi Kaya,  il insiste sur l’urgence et la nécessité d’un plan de redressement sans lequel la dissolution de la Miba sera inéluctable à l’issue de l’assemblée générale d’octobre. Pour Sibeka, l’élaboration d’un plan de redressement doit être la priorité des priorités. C’est à travers ce plan que seront définis, après un diagnostic multisectoriel, les objectifs à atteindre en termes de production. Le plan doit être assorti d’un budget conséquent. Il devra couvrir une période minimum de dix ans, divisée trois périodes : court, moyen et long terme. Il s’agira surtout de savoir combien de carats il faudra produire. Et ce que coûtera un niveau de production à même de résorber  la dette et de faire face aux charges. La finalité c’est d’avoir une visibilité pour attirer des capitaux frais après une série de réformes drastiques. Or ce travail exigeant, qui est aussi un impératif légal, semble avoir été relégué au second plan, constate le délégué de Sibeka. Cet actionnaire et le gouvernement, du moins certains de ses délégués dans les organes de la Miba, ne sont pas d’accord sur l’urgence du plan de redressement. Mais ce n’est pas la seule source de divergences. Les violons n’arrivent pas non plus à s’accorder sur d’autres dossiers tout aussi importants. Tout cela compromet la sortie de la Miba de la crise multiforme qui la mine depuis très longtemps.

Coincée entre le court terme et le global  

Deux visions s’affrontent : l’une « courtermiste » (État) et l’autre stratégique et globale (Sibeka). Ce qui rend le processus décisionnel difficile. Du coup, les représentants de l’État ont tendance à agir de manière unilatérale. Sibeka rappelle que cet « unilatéralisme » des délégués du gouvernement peut avoir des conséquences lourdes sur l’avenir de la Miba. C’est cela qui avait poussé Sibeka à se retirer de la gestion de la Miba en 2009. De manière systématique, des initiatives ont été prises par les administrateurs,  Monseigneur Mbaya Tshiakany et Célestin Bulabula, sans en référer à leur collègue Jacquy-Prosper Ngandu, le troisième membre du triumvirat qui dirige de manière collégiale la Miba. Les deux premiers se sont engagés, notamment, avec l’indien BEML pour l’acquisition d’engins miniers d’une valeur de 30 millions de dollars. Cette somme prêtée par l’équipementier indien, sous forme de matériels, sera remboursable  après  une période de cinq ans assortie d’un délai de grâce d’une année. Le hic c’est que, selon Jacquy-Prosper Ngandu, en l’absence d’un plan de redressement, les projections ne peuvent être faites. Le représentant de Sibeka se demande avec quoi se prêt sera remboursé. Procéder ainsi serait irréfléchi, s’est-il adressé à ses deux collègues par le biais d’une lettre.

L’or et le nickel 

Parmi les autres dossiers sur lesquels les administrateurs de la Miba sont en désaccord, il y a celui de l’exploitation de l’or et du nickel. C’est la nouvelle piste explorée par les délégués de l’État. Mais, pour Sibeka, le secteur aurifère est en grande difficulté. D’où cette conclusion : cette démarche est inopportune. Pour le nickel, la Miba ne dispose pas de technologie appropriée pour son traitement, soutient Sibeka, qui préconise plutôt un inventaire du patrimoine immobilier de la société et de mettre fin au pillage de ses concessions minières. Cela, pense un membre de la délégation syndicale, pourrait contribuer à assainir l’entreprise. Du côté de Sibeka, on continue de marteler que la priorité reste la requalification du plan d’urgence et la confection du plan de redressement.

Le retour en force de Wang Bin

Si Sibeka et les délégués de l’État sont opposés sur la plupart des dossiers, ils sont néanmoins arrivés à se mettre d’accord sur celui qui fut à la base de l’éjection de l’ancien directeur de la Miba, Hubert Kazadi : le contrat d’amodiation sur les concessions diamantifères dans le Sankuru avec la société Mercure Ressources du milliardaire chinois Wang Bin, qui est en passe d’être signé après l’échec de la première tentative en février dernier. Le premier contrat avec Wang Bin avait été jugé lésionnaire en raison notamment du paiement d’un loyer de 5 millions de dollars indexés sur la future production diamantifère au moyen de dragues de Mercure Ressources. Les vices de forme et de fond de ce contrat furent vivement dénoncés par certains administrateurs représentant  l’État et par les délégués de Sibeka. Un nouveau contrat d’amodiation a été élaboré et tous les vices que l’on reprochait à l’ancien contrat ont été élagués. La Miba SA, en grande difficulté pour payer notamment certains de ses droits superficiaires annuels,  compte notamment sur ce contrat pour se mettre en ordre avec l’administration, sous peine de se perdre certains de ses titres miniers. À moins que l’État n’intervienne en demandant, notamment, au Cadastre minier de ne pas exiger son dû. C’est, du reste, une procédure extra-légale. Pour sa part, Wang Bin et sa délégation sont attendus dans les prochains jours pour signer un nouveau contrat, selon une source proche du dossier. Mais en attendant l’arrivée des Chinois, des Indiens et la confection d’un plan de redressement, la Miba est à l’agonie. Quant à ses agents, ils sont plongés dans une misère indicible.

Miba SA, la descente aux enfers se poursuit          

Jadis, la Miba qui produisait en moyenne 600 000 carats de diamants chaque mois. Aujourd’hui, elle n’en produit plus péniblement qu’entre 20 000 et 30 000 mensuellement. Avec un prix moyen de 20 dollars le carat, les revenus de la société atteignent chaque mois les 600 000 dollars, tout au plus. La chute de la production et des revenus est vraiment drastique.  À ce rythme, la production annuelle n’équivaut même pas la moitié de celle d’un mois de la période faste. Tout naturellement, l’inévitable est arrivé : la cessation de paiement, intervenue bien tardivement en 2007. C’est le corollaire d’une quintuple crise : technique, financière, sociale, managériale et sécuritaire. Surendettée, la Miba traîne une ardoise de 350 millions de dollars qui la rend insolvable. Et elle a perdu tout crédit. Elle ne peut donc, par conséquent, contracter la moindre dette pour se refinancer. La majeure partie de cette dette découle du non-paiement des salaires de ses 3 000 employés, qui furent, autrefois, parmi les mieux payés de la République. La dette sociale s’élève, elle seule à 200 millions de dollars. Elle augmente chaque jour car aucune solution n’a été trouvée jusqu’ici pour payer les salaires des agents. Il n’est donc pas étonnant que les capitaux propres de la Miba SA soient négatifs. C’est la conséquence, entre autres problèmes, de la vétusté de l’outil de production. À ce tableau sombre, il faut ajouter l’absence de fonds de roulement, l’appauvrissement de son principal gisement du Polygone et l’exploitation illégale de ses multiples concessions éparpillées sur un espace de 80 000 km². C’est pourquoi l’entreprise diamantifère n’est plus en mesure d’attirer des capitaux à risque d’ici cinq ans au minimum.

Un atout : le niveau des réserves diamantifères

Pourtant, ces capitaux sont indispensables à sa relance, dont l’élément moteur est constitué par ses réserves minières qui étaient évaluées, fin mars, à près de 65 950, 80 millions de carats. Mais qui injectera de l’argent frais dans cette entreprise ? Pour se refinancer massivement, la Miba SA doit se restructurer en profondeur. Sa crise aigüe et multiforme ne laisse qu’une alternative : vaincre ou périr. Certains observateurs estiment que la balle est dans le camp de l’État, actionnaire majoritaire, qui porte une lourde responsabilité dans cet échec managérial qui a plongé la population du Kasaï-Oriental, notamment, dont la Miba était la plaque tournante, dans une grande misère. L’État a une dette historique envers cette entreprise, qui fut mise à contribution, au péril de sa survie, pour sauver l’intégrité territoriale du pays menacée au début des années 2000 par plusieurs rébellions. Plusieurs ponctions avaient été effectuées dans la trésorerie de la Miba, au nom de l’effort de guerre. Pousser donc à l’élaboration du plan de redressement serait, dans les circonstances habituelles, le premier geste à poser de la part de l’État afin d’éviter le naufrage annoncé. Sinon le couperet du droit OHADA passera par-là, sans aucun état d’âme. Et la Miba sera tout simplement dissoute en octobre.