La politique au Kivu entre 1958 et 1960

L’auteur de cet article, le professeur B. M. G. Mugaruka, souligne que ce texte est une synthèse des analyses contenues dans son livre intitulé « Congo-Kinshasa : Histoire d’une décolonisation-recolonisation » (303 pages) paru sous le label Nordersted/Germany, EUE, en 2017. Dans la première partie, il évoque la naissance des premiers partis locaux au Kivu.

L’élite congolaise s’est engagée résolument, dans la politique après 1945. Les échos sur la montée du nationalisme congolais incarné par Patrice Emery LUMUMBA, ont atteint les cimes des hauteurs des monts Mitumba au Kivu, seulement après 1958 quand l’idée de création des partis politiques prend racine au sein de l’élite locale encadrée alors par les missionnaires « Pères Blancs » et par quelques membres influents du colonat européen qui militaient pour un « Kivu autonome ou fédéré » !

1. Les premiers partis locaux

Le CEREA (Centre de Regroupement Africain) a été le plus grand parti politique du Kivu créé le 23 août 1958 à Bukavu par Philippe NKUBIRI. Anicet KASHAMURA en était le principal animateur et le cerveau moteur du ralliement à la cause nationaliste, de quelques leaders Bashi, Bahavu et Bahutu du groupe comme Jean MIRUHO, Chrysostome WEREGEMERE et Marcel BISUKIRO !

Ce parti était ouvert à l’élite intellectuelle de la province sensibilisée déjà sur la lutte engagée par les nationalistes congolais, pour arracher l’indépendance. Le journal « La VÉRITÉ », organe de propagande du CEREA, était un véritable outil communicationnel de combat dans lequel, l’on pouvait lire les positions du parti concernant les attentes du peuple congolais face aux tergiversations de la Belgique à céder l’indépendance dans l’immédiat, à sa colonie.

Le CEREA était très implanté dans la ville de Bukavu, dans les territoires de Kabare et de Kalehe au Sud-Kivu ainsi que dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Goma au Nord-Kivu.

Cependant, ce parti n’a pas résisté aux conflits de positionnement politique qui ont secoué l’élite kivutienne à la veille de l’indépendance ! Les trois piliers de la colonisation belge à savoir, l’Église catholique représentée dans la province, par la très « colonialiste » Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), les sociétés commerciales (le colonat européen) et l’administration dont certains agents parrainaient les leaders politiques congolais, tenaient à garder une main mise sur les partis politiques dans le Kivu considéré alors comme une « terre d’avenir » qu’il fallait préserver du péril d’une indépendance que la Belgique décidait de céder à sa colonie dans la précipitation !

Le CEREA va subir en février 1959, les conséquences du paternalisme du colonat européen qui venait de faire fléchir le Président du parti, Philippe NKUBIRI. Celui-ci va jeter l’éponge en décidant d’évoluer en acteur indépendant après la scission du mouvement en trois ailes dissidentes à savoir: le CERE/ KASHAMURA, le CEREA/WEREGEMERE et le CEREA/BISUKIRO !

Ces ailes consacraient ainsi, la « tribalisation » de ce parti. Chaque animateur cherchait à contrôler le fonctionnement des activités du parti, dans son fief et chacun tenait à tirer alors, son épingle du jeu surtout avec l’imbroglio qui a suivi les adresses du Roi Baudouin et du ministre des colonies le 13 janvier 1959, annonçant non sans regret, l’indépendance prochaine du Congo et les mesures administratives d’orientation de la politique indigène en cette fin de règne !

La tension montait déjà dans le Kivu où les colons belges ayant fait fortune dans l’agriculture, l’élevage et l’industrie, militaient pour une autonomie de cette province considérée alors comme une véritable colonie de peuplement à l’instar du Kagricuatanga minier. Ils n’étaient donc pas prêts à céder à ce qu’ils considéraient comme une démission du gouvernement belge qui laissait s’évaporer dans la nature, leurs investissements consentis après plusieurs années de sacrifice et de dur labeur.

L’influence du colonat européen était ressentie jusque dans les milieux coutumiers surtout dans les territoires de Kalehe, Masisi et Rutshuru où certains colons et agents territoriaux, avaient réussi à parrainer la création en 1959, d’un parti politique appelé à militer ouvertement pour une union avec la Belgique à travers l’avènement au Congo, des États autonomes et fédérés où Blancs et Noirs jouiraient des mêmes droits et travailleraient en étroite collaboration. 

L’Alliance Rurale Progressiste (ARP) fondée à Bukavu en juillet 1959 par le colon Raoul PIRON, était ce parti autonomiste animé par des chefs coutumiers et autres commis congolais au service du colonat européen comme Hubert SANGARA, Gervais BAHIZI, Théodomir NZAMUKWEREKA et le Mwami Albert KALINDA.

En optant pour ce mariage contre nature avec le colonat européen, ces leaders refusaient de partager les points de vue de l’élite kivutienne convaincue de la justesse de la lutte héroïque du peuple congolais pour pousser la Belgique à céder sans atermoiements, l’indépendance à sa colonie.

Aller à l’encontre de cette position défendue par les partis nationalistes indépendantistes, signifiait aux yeux de l’opinion, le refus de partager les aspirations profondes du peuple, de palper les réalités du fossé qui s’élargissait entre le pouvoir colonial aux abois et les Congolais déterminés à arracher par tous les moyens, l’indépendance totale de leur pays ! (À suivre : 2. Quid des activités des autres partis politiques au Kivu ?).