La post-démocratie ou la démocratie selon Wall Street

De gauche à droite Pierre-Edouard Deldique et Colin Crouch pendant l’émission «Idées». (Crédit : Item)
De gauche à droite Pierre-Edouard Deldique et Colin Crouch pendant l’émission «Idées». (Crédit : Item)

Le constat est largement partagé désormais. La démocratie est malade. Il faut dire que les symptômes du mal sont nombreux : abstentionnisme, discrédit du politique, désertion des partis, corruption. Ces maux, ajoutés à la menace que fait peser sur elle le terrorisme, sont préoccupants. Peuvent-ils guérir dans le cadre même de la démocratie ou faut-il inventer autre chose ?

Le sociologue et politologue Colin Crouch estime que du passé récent il faut, en quelque sorte, faire table rase. C’est pour cette raison qu’il étudie ce qu’il appelle la post-démocratie. Un concept dont il est l’inventeur. Selon lui, nous ne sommes plus en démocratie mais dans une post-démocratie c’est-à-dire un régime dirigé par le marché. Il s’agit désormais de remettre ce dernier à sa place au profit du peuple.

A la lecture du livre de Colin Crouch, (Post-démocratie, éditions Diaphane) on se dit que ses conclusions concernent surtout les démocraties anglo-saxonnes, quand il parle notamment du rôle mineur de l’Etat dans l’économie mais, en réalité, elles intéressent aussi d’autres pays dont la France. De quoi parle-t-on ? D’un stade de l’histoire de la démocratie où celle-ci se préoccupe plus du marché que des peuples quitte à se renier. Il s’agit d’un moment où ce type de régime ressemble peu à peu à une coquille vide.

« Le concept de post-démocratie ne signifie pas que la démocratie va disparaître, écrit Colin Crouch, ses institutions subsistent et fonctionnent ; mais le système politique n’est plus contrôlée par des organisations fondées sur une véritable organisation de base, et l’énergie qui l’animait emprunte désormais de petits circuits fermés reliant les élites politico-économiques ».

Autrement dit, la démocratie échappe aux peuples contrairement au sens même du mot démocratie (pouvoir du peuple). Elle est désormais guidée par le pouvoir économique qui s’entend trop bien, selon lui, avec les partis devenus des entreprises de professionnels composées non seulement d’élus mais aussi de conseillers (en communication ou en sondages par exemple) trop sensibles aux pressions du monde économique, financier, commercial.

Le marché contre la démocratie

Clairement, Colin Crouch place l’économie et la finance au cœur de son essai. Selon lui, le marché menace la démocratie avec en quelque sorte son bras armé : « l’entreprise multinationale ». Les partis politiques sont à la remorque de celle-ci. Quand ils ne sont pas à son service. Y compris les partis réformistes qui se prétendent encore de gauche, et qui au nom de la lutte contre le chômage défont ce que la gauche d’antan avait construit. « Si la politique devient post-démocratique au sens où je l’entends, la gauche subira une transformation qui mettra fin à la plupart des réformes qu’elle a menées durant le XXe siècle », écrit l’auteur.

De fait si l’économie impose sa loi. Si le peuple continue à ne pas voter. Alors la logique du marché sera à l’œuvre. Emmanuel Macron est-il annonciateur de ce changement, lui, qui, dans un gouvernement socialiste veut changer les règles du jeu en matière sociale sans jamais avoir été élu ?

Service public

Dans son livre, Colin Crouch s’interroge non seulement sur la place de l’Etat dans la démocratie, le fort amoindrissement de sa puissance en Grande-Bretagne, la diminution de son rôle mais aussi sur la notion de service public à l’heure où l’Etat fait appel à des prestataires privés pour remplir ses missions.

Selon le sociologue anglais : « la relation entre l’Etat et les prestataires privés se déroule dans le cadre d’un contrat juridique. Mais les citoyens, eux, n’ont aucune possibilité d’établir une relation avec les prestataires, puisque ni le marché ni leurs droits démocratiques ne définissent ce lien. Lorsqu’une institution est privatisée, les citoyens ne peuvent plus interpeller l’Etat à propos de la qualité de ses services dans la mesure où ceux-ci ont été sous-traités à un acteur privé. Par conséquent, le service public est devenu un service post-démocratique : désormais le gouvernement n’est responsable devant le démos que pour les grandes lignes de sa politique, pas pour leur application détaillée ».

Préoccupation d’un intellectuel qui vit dans un pays où les privatisations ont profondément transformé l’économie ? Peut-être, mais les Français sont aussi concernés par le sujet.

Faire renaître la démocratie

Pour sortir de cette ère post-démocratique en rétablissant le rôle de l’Etat, de la politique sans laquelle il n’existe pas démocratie, Colin Crouch ne prône pas une révolution marxiste. Il ne remet pas en cause l’entreprise capitaliste. Pas du tout. Il veut la remettre à la place qu’elle n’aurait jamais du quitter. « Il faut nous pencher sur des méthodes qui conservent le dynamisme et l’esprit d’entreprise du capitalisme tout en empêchant les firmes et leurs dirigeants d’exercer un pouvoir incompatible avec la démocratie », écrit-il. Il faut trouver un accord avec « le capitalisme financier mondialisé ». Impossible ? Lui croit le contraire.

Colin Crouch estime qu’après les graves dérives de ces dernières années, le moment du changement est arrivé. Comment ? Sous la pression des peuples, des organisations non gouvernementales, de ce que l’auteur appelle « les nouvelles identités » (par exemple les écologistes) qui peuvent (et doivent) prendre la politique au sérieux. Après, la démocratie sera de retour…