La présidente sud-coréenne destituée, une élection anticipée est en vue

Le verdict est tombé après des mois de turbulences politiques. La plus haute instance judiciaire de Corée du Sud a congédié Park Geun-Hye, poussée vers la sortie par un gigantesque scandale financier. 

Park, 65 ans, fille du dictateur militaire Park Chung-Hee, était devenue en 2012 la première femme chef de l’État de Corée du Sud, avec le plus grand nombre de voix d’un candidat de l’ère démocratique. La décision de sa destitution prise à l’unanimité par des juges de la Cour constitutionnelle signifie qu’une élection présidentielle anticipée doit être organisée sous 60 jours. Premier chef de l’État sud-coréen limogé de la sorte, park perd aussi son immunité présidentielle, ce qui l’expose désormais  à d’éventuelles poursuites judiciaires. Les agissements de Mme Park « ont porté gravement atteinte à l’esprit (…) de la démocratie et de l’État de droit », a déclaré le président de la Cour, Lee Jung-Mi: « La présidente Park Geun-Hye (…) a été congédiée ».

Scandale à tiroirs

Ce scandale à tiroirs est centré sur la confidente de l’ombre de Park Geun-Hye, Choi Soon-Sil, elle-même jugée pour avoir soutiré des millions de dollars à de grands groupes industriels. La Cour a estimé que Park avait enfreint la loi en permettant à son amie de se mêler des affaires de l’État et avait contrevenu aux règles sur le travail des fonctionnaires. « Le président doit user de son pouvoir conformément à la Constitution et aux lois, et les détails de son travail doivent être transparents, afin que le peuple puisse évaluer son travail », dit l’arrêt rendu vendredi 10 mars. « Mais Mme Park a complètement dissimulé les ingérences de Mme Choi dans les affaires de l’État, les a démenties quand des soupçons ont émergé, et a même critiqué ceux qui avaient émis ces soupçons ».

La défense de Mme Park a exprimé ses « profonds regrets ». Au plus bas dans les sondages, Mme Park avait été destituée le 9 décembre 2016 par l’Assemblée nationale, qui lui reprochait sa complicité avec Mme Choi. Des millions de Sud-Coréens étaient descendus dans la rue pour réclamer son départ. La police s’était déployée en force vendredi autour de la Cour, où des milliers de partisans et d’opposants à la présidente s’étaient rassemblés dans un climat tendu. Les sondages montraient qu’une grande majorité de Sud-Coréens – environ 77 % – étaient favorables à son départ définitif. Si Park s’est excusée à de multiples reprises pour ce scandale, elle a démenti toute malversation. « Je n’ai jamais recherché de profits personnels ou abusé de mon pouvoir de présidente. Je prie la Cour de prendre une décision sage ». Elle a constamment répété que sa seule faute était d’avoir fait trop confiance à son amie.

Élection présidentielle

Depuis le 9 décembre 2016, elle n’avait plus de présidentiel que le titre, tous ses pouvoirs exécutifs ayant été transmis au 1ER Ministre. Elle vivait recluse à la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne, d’où elle n’est sortie qu’une fois, pour visiter la tombe de ses parents. L’élection présidentielle devrait se tenir le 5 mai. Pour l’instant, Moon Jae-In, l’ancien leader du Parti démocratique, formation de l’opposition, tient largement la corde, avec le soutien de 36,1 % des électeurs, selon un récent sondage Realmeter. Dans cette affaire de scandale à tiroirs, l’héritier de Samsung, Lee Jae-Young, vice-président de Samsung Electronics, a été condamné à la prison comme son père, en son temps pour évasion fiscale. Un nouveau coup dur pour le groupe ébranlé par le fiasco du Galaxy Note 7 et qui tentait, depuis, de rassurer les marchés sous la houlette de son nouveau dirigeant.

Le vice-président de Samsung Electronics, fils du président du groupe Samsung, Lee Kun-Hee, et petit-fils de son fondateur, avait été entendu en tant que suspect, pendant 22 heures, sur des soupçons de corruption. Il n’est pas inhabituel en Corée du Sud que des suspects ou des témoins acceptent d’être entendus pendant de longues heures afin d’éviter des convocations à répétition.

Lee Jae-Yong était considéré comme un suspect dans ce scandale à rebondissements centré autour de l’amie de 40 ans de Park Geun-Hye, Choi Soon-Sil. Cette dernière est actuellement jugée pour avoir profité de ses relations avec Park Geun-Hye afin de soutirer des sommes astronomiques aux conglomérats sud-coréens qui ont versé des millions de dollars à des fondations privées créées par cette confidente de l’ombre. Samsung, le premier « chaebol » de Corée du Sud, est celui qui s’est montré le plus généreux envers les fondations de Choi Soon-Sil. Le géant sud-coréen est également accusé d’avoir versé des millions d’euros à Mme Choi sous couvert de financer en Allemagne les entraînements sportifs de cavaliers sud-coréens, parmi lesquels la fille de la confidente. Le géant de l’électronique aurait notamment offert un cheval à la fille de Choi et se serait engagé à couvrir tous les frais d’une équipe équestre, selon la presse sud-coréenne. Des pratiques qui ne surprennent pas au pays du matin calme, habitué aux connivences entre le pouvoir et les « chaebols ». Les enquêteurs entendaient Lee Jae-Yong et d’autres cadres dirigeants de Samsung pour déterminer si le groupe a soudoyé la présidente et son amie afin d’obtenir le feu vert du gouvernement à une fusion controversée en 2015. Cette fusion entre deux unités du groupe, Cheil Industries et C&T, était considérée comme une étape cruciale pour assurer une passation de pouvoir en douceur au profit de Lee Jae-Yong. Une manœuvre jugé essentielle pour réduire la facture fiscale qui pourrait s’élever à six milliards de dollars.

Réduire les frais de succession

Mais l’affaire est plus grave car elle menace potentiellement le montage industriel mis en place par Jae-Yong et ses deux sœurs pour assurer une transition dynastique limitant au maximum la colossale facture des droits de succession qui tombera à la mort du patriarche. À l’époque, un investisseur activiste new yorkais, Elliott, avait défié Samsung affirmant que cette fusion lésait les actionnaires. Parmi eux, la Caisse nationale de retraite (NPS), la troisième plus importante du monde qui avait finalement donné son feu vert à cette fusion, malgré la polémique. Ce que l’on redoutait est arrivé. Jae-Yong a été condamné. Il devient difficile de prendre des décisions d’investissement à risque en son absence, affirme une source du groupe, reprise par l’agence Yonhap. Le scandale dégrade également l’image de Samsung et de l’ensemble des « chaebols » aux yeux de l’opinion publique à la veille d’une campagne présidentielle où ils seront pointés du doigt par la gauche, qui a le vent en poupe. Une victoire de l’opposition « accélèrera la réforme des chaebols ainsi qu’une augmentation des dépenses en matière sociale », juge Scott Seaman, expert au Cabinet Eurasia. Sur cette affaire, l’ire populaire n’est pas encore retombée en Corée du Sud. Les capitaines d’industrie sud-coréens, qui ont été interrogés par une commission d’enquête parlementaire pugnace, sont toujours mal vus par la population qui réclame des comptes. En tout cas, ils ont peiné à défendre leurs pratiques entrepreneuriales devant sur ce retentissant scandale de corruption qui défraie la chronique dans le pays. Les huit plus grands patrons sud-coréens, d’ordinaire réticents à toute publicité, ont été interrogés sans merci devant des millions de téléspectateurs au sujet de leurs donations à deux fondations douteuses contrôlées par Choi Soo-Sil, amie proche de la présidente Park Geun-Hye.

Les « faiblesses » de Samsung

« J’ai tant de faiblesses et Samsung a des choses à corriger », avait répondu JY comme on lui demandait s’il était d’accord pour considérer que les entreprises étaient en collusion avec la confidente de l’ombre. « Cette crise m’a fait prendre conscience que nous avons besoin de changer pour répondre aux attentes du public », avait-il dit, suscitant l’exaspération d’un député: « Arrêtez vos excuses ridicules! ». Premier conglomérat du pays, Samsung est celui qui s’est montré le plus généreux en donnant aux fondations de Mme Choi 20 milliards de wons (17 millions de dollars), suivi par Hyundai, SK, LG et Lotte. Les conglomérats familiaux géants, les fameux « chaebols », dominent depuis des décennies la marche d’une économie portée par les exportations, la quatrième d’Asie. Leurs capitaines d’industrie ont démenti avoir troqué de l’argent contre des faveurs mais ont laissé entendre qu’ils étaient régulièrement l’objet de pressions de la part du sommet du pouvoir. « C’est difficile pour des entreprises de refuser une demande de la Maison bleue », la présidence sud-coréenne, avait dit Huh Chang-Soo, président de GS Group et de la Fédération des industries coréennes.