La RDC, terre du numérique

Pendant quatre jours (24-27 mai), la Halle de la Gombe a été transformée en un haut lieu des échanges entre les milieux d’affaires français et congolais autour des enjeux des NTIC et de l’agribusiness, mais aussi en une mini-foire économique. 

 

La Chambre de commerce et de l’industrie franco-congolaise (CCIFC) qui a été à la manœuvre, a mis les petits plats dans les grands pour attirer un grand monde. Forte du succès de la troisième édition qui a accueilli plus de 11 000 visiteurs en quatre jours, la CCIFC a décidé de rééditer l’exploit. Désormais, la Semaine française de Kinshasa s’impose comme un événement économique incontournable pour les acteurs économiques de République démocratique du Congo. La 4è édition de la Semaine française de Kinshasa s’est déroulée du 24 au 27 mai, à la Halle de la Gombe. Cette année, deux thèmes centraux ont été retenus : le numérique et l’agribusiness. Les activités autour de ces thèmes ont été lancées en octobre 2016, à travers le concours d’identité visuelle.  Cet événement de promotion de l’offre française en République démocratique du Congo, a été organisé par la CCIFC, en partenariat avec l’ambassade de France et de la section locale des conseillers du commerce extérieur de la France. Comme pour les trois premières éditions, des activités culturelles ont été proposées, notamment le Festival de Kinshasa (Fest’Kin) avec à l’affiche l’artiste Slimane et le groupe Zaïko Langa Langa. Des conférences et tables ont été organisées afin de débattre de « l’existant et des potentialités de développement de ces secteurs ». Le coup d’envoi de cette édition a été donné par le vice-1ER Ministre en charge des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale, Léonard She Okitundu. À cette occasion, il a invité les hommes d’affaires français à venir investir en RDC, deuxième pays francophone au monde. Pour l’ambassadeur de France en RDC, la Semaine française de Kinshasa de cette année a offert l’opportunité de donner un contenu à la relation qui doit exister entre les milieux d’affaires français et congolais. D’ailleurs, le but de cette 4è édition a été de favoriser des synergies entre hommes d’affaires français et congolais. Dans le concret, le président de la CCIFC, Ambroise Tshiyoyo, a demandé d’agir dans l’agriculture… qui avec sa chaîne de valeurs garantit la création d’emplois et de richesses, contribue à l’émergence d’une classe moyenne.

Manque d’initiatives

L’organisation de cet événement économique autour du numérique et de l’agribusiness arrive à point nommé, étant donné qu’en matière d’économie numérique, la RDC est en manque d’initiatives. Le secteur des télécommunications connaît depuis 2000 un taux de croissance très élevé. De même sa contribution au budget de l’État et à la formation du Produit intérieur brut (PIB) ne cesse d’augmenter. Il est dommage de constater que le développement de la téléphonie mobile ne s’accompagne pas de celui de la téléphonie fixe et de l’Internet. Il faut dire que l’Internet est encore un luxe pour la grande partie de la population congolaise dont le revenu est faible.  Pourtant, la RDC s’est engagée à entreprendre plusieurs projets de technologies de l’information et de la communication (TIC). Le programme gouvernemental procède du potentiel dans ce secteur et de l’étendue du marché et des besoins, présents et à venir, des entreprises nationales encore sous-exploités. Pour accroître la contribution des télécommunications à la croissance, à l’emploi et au budget de l’État, le gouvernement s’est fixé comme objectifs de construire une infrastructure nationale moderne des télécommunications (téléphonie mobile et Internet à haut débit) par le biais d’un partenariat public-privé ; d’améliorer le taux d’accessibilité aux services des télécommunications et des nouvelles technologies ; et de renforcer la libéralisation et la compétitivité du secteur pour attirer les investissements privés.

En 2016, il fallait porter la télé-densité à 40 lignes de téléphone fixe ou mobile pour 100 habitants ; poser 5 000 km de câble de fibre optique sur toute l’étendue du territoire national (réseau national de fibre optique ou backbone); connecter environ 30 millions de lignes fixes et mobiles (réseau métropolitain) ; informatiser l’administration publique et les services spécialisés de l’État, ainsi que les postes frontaliers. Pour atteindre ces objectifs, il était prévu d’améliorer la gouvernance et la concurrence dans le secteur, par l’assainissement du spectre des fréquences ; mettre à jour le cadre légal et réglementaire des télécommunications et de renforcer les capacités de l’Autorité de régulation des poste et télécommunications au Congo (ARPTC) ; accroître le taux d’investissements public dans le secteur et favoriser les partenariats public-privé ; finaliser les travaux de construction de la station d’atterrage de Moanda en vue d’assurer la connexion du réseau de transmission par câble à fibre optique avec le câble sous-marin du consortium WACS ; assurer l’exploitation commerciale de la première phase du backbone national entre Muanda et Kinshasa ; poursuivre la construction du backbone entre Kinshasa et Kasumbalessa ; finaliser le passage de la télévision analogique à la télévision numérique (TNT) ; restructurer les opérateurs publics, le Réseau national de télétransmission par satellite (RENATELSAT) et la SCPT…

Tous ces projets n’ont pas été menés à leur terme en 2016. Conséquence : la RDC est encore à la traîne des pays africains en matière d’initiatives via les services en ligne ou le téléphone portable. Mis à part le système de publication des résultats de l’Examen d’État, l’équivalent du baccalauréat, et le paiement via le mobile, plus rien ou presque. Pourtant, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont un ministère de l’Économie numérique et investi dans les infrastructures télécoms et le développement de services en ligne ou via le téléphone portable. Autour de nous, après avoir lancé de nouvelles négociations pour l’attribution des licences 4G aux opérateurs de téléphonie mobile, le gouvernement togolais, par exemple, a inauguré dans plusieurs localités du pays un dispositif permettant d’offrir aux populations un service de communication à prix réduit baptisé « Wi-Fi Public ».

Puissance économique

Le monde est entré en plein dans la révolution digitale. En anglais, on l’appelle « the digital disruption ». C’est la révolution du siècle, selon de nombreux spécialistes. Grâce à elle, l’Afrique pourrait ainsi devenir la puissance économique de ce siècle. C’est qui est sûr, c’est que le continent a amorcé son « virage digital ». D’après ces spécialistes, l’Afrique est en bonne position pour

réussir ce saut historique. Le cabinet d’audit et de conseil américain PwC a publié une étude sur le sujet, intitulée « Disrupting Africa: riding the wave of the digital revolution ». Il est optimiste quant à l’avenir : « En accomplissant pleinement sa révolution digitale, l’Afrique a tous les atouts pour devenir la nouvelle puissance économique ».

Il est vrai que les atouts ne manquent pas pour y arriver : explosion démographique, extension de l’urbanisation, émergence de nouveaux modèles économiques et sociaux liés aux nouvelles technologies, montée en force de la classe moyenne. Pour PwC, l’Afrique qui n’a pas d’héritage économique marqué a « désormais toutes les cartes en main pour saisir les opportunités offertes par le virage digital et ainsi dépasser les économies développées dans de nombreux domaines : de l’énergie aux télécommunications, en passant par les services financiers ». Big data, blockchain, drones, Fintech, énergies renouvelables, objets connectés. Toutes ces nouvelles technologies constituent autant de registres sur lesquels le continent peut aisément jouer. Elles lui offrent la palette de couleurs grâce à laquelle il peut dessiner les contours de sa prospérité annoncée. Pour PwC, l’Afrique sera « le poumon de la croissance du monde ». Pour le cabinet américain, « d’ici à 2050, 50 % de la croissance démographique mondiale devrait venir d’Afrique, tandis que sa classe moyenne sera celle qui augmentera le plus rapidement (…). Bénéficiant d’une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse, le continent africain est appelé à devenir le 1er producteur industriel mondial d’ici 2050. Cependant, cet objectif ne pourra être atteint que si les acteurs économiques et politiques se saisissent pleinement des opportunités offertes par les nouvelles technologies. » Et c’est là, bien sûr, que des questionnements s’imposent sur la capacité de l’Afrique à réaliser les conditions qui s’imposent pour réussir cette révolution.  D’après PwC, il lui faut s’engager impérativement sur six chantiers pour construire cette prospérité. Créer des structures plus efficaces, grâce à la récolte et l’analyse de données, et mettre en place de nouveaux modes de travail collaboratifs et virtuels. Éradiquer la corruption, et créer la confiance et la légitimité des institutions. Inciter les entreprises à jouer sur le terrain des marchés « dématérialisés », tels que le e-commerce ou les services. Renforcer l’accès aux soins, à l’éducation, à la formation et à l’emploi. Enfin, promouvoir le secteur des services. Des pistes et des solutions pour réussir la révolution digitale existent donc, on le voit. Mais les élites politique, intellectuelle et celle des affaires ont-elles intégré le nouveau logiciel qui va avec cette révolution ? Il est toujours facile de rejeter la responsabilité des échecs de l’Afrique sur sa classe dirigeante. C’est oublier qu’elle est le produit de l’élite, de ses valeurs, de son mode de fonctionnement, bref de son logiciel. Par ailleurs, n’oublions jamais que l’Afrique ce n’est pas un pays, mais 54 ‚nations. Le pari est donc loin d’être gagné. La révolution devra d’abord être celle des esprits, ou elle ne sera pas.