La terrible fuite en avant de la dette mondiale

Derrière le retour de la croissance mondiale se cache une menace que personne ne veut combattre : Etats, entreprises, ménages recourent à l’endettement au-delà du raisonnable. Un phénomène dû à la politique de taux bas des banques centrales et à la domination exorbitante du dollar.

 

Certes, il doit dans l’immédiat débloquer les trains, les ZAD et les universités. Certes, il doit demain relancer l’Europe. Tout cela fait déjà un bel agenda pour Emmanuel Macron. Mais dès qu’il aura redressé la France et l’Europe, il faudra vite changer de braquet et s’occuper du monde.

L’économie mondiale va très mal. La croissance se confirme, tout le monde en profite, mais ces bonnes nouvelles cachent une terrible réalité d’arrière-scène : tout cela ne marche que par endettement. Etats, entreprises, ménages se ruent sur les emprunts. Les taux sont à zéro, endettez-vous ! Endettez-vous ! Les chiffres qui viennent d’être publiés cette semaine sont déments. Selon l’Institute of International Finance (IIF), l a montagne atteint 237.000 milliards de dollars à la fin 2017 . En un an, elle a crû de 11.000 milliards c’est-à-dire l’équivalent du PIB annuel de la Chine, deuxième économie de la planète. Par parenthèse, la France est le pays qui a le taux d’endettement des ménages le plus élevé d’Europe, ce n’est pas rassurant. 

Selon le FMI, la hauteur de la montagne est un peu moindre, 164.000 milliards de dollars. La différence statistique immense entre les deux évaluations prouve que la finance internationale est une galaxie noire qui échappe tellement au contrôle qu’on se sait même pas la mesurer. Certitude : l’expansion de ladite galaxie.

Christine Lagarde en fait son « deuxième sujet d’inquiétude », après le protectionnisme poussé par Trump.  La directrice générale du FMI a expliqué devant l’université de Hong Kong que cette dette atteint un record historique. Elle a crû de 40 % depuis l’avant crise financière, en 2007. La Chine est responsable de 40 % de cette hausse. Les pays avancés ne sont pas en reste, leur niveau de dette atteint celui de la sortie de la deuxième guerre mondiale et merci à Trump de l’aggraver encore aux Etats-Unis. Quant aux pays pauvres, beaucoup foncent vers une crise des paiements.

Si les taux d’intérêt remontent, prévient Christine Lagarde, ce qui est en cours avec la normalisation des politiques monétaires des banques centrales, toute la montagne va trembler. Et si le cycle économique se retourne – il est également logique que cela arrive -, les autorités seront privées de moyens pour faire face. En 2008, elles ont pu laisser filer les déficits et abaisser les taux, mais comme rien n’a été remis à sa place depuis, ces armes sont aujourd’hui sans munition.

Une nouvelle crise pourrait en conséquence provoquer, calcule le FMI, dix fois plus de dégâts qu’il y a dix ans. En outre, dans les conditions politiques actuelles, le multilatéralisme qui en 2007 avait fait « relancer ensemble » tous les pays du G20, pourrait laisser place à la désunion.

L’orchestre du Titanic

Serrez les boulons tant que la croissance est là, exhorte Mme Lagarde. Il faut réparer le toit tant que dure la belle saison, dit-elle. De la rigueur pour les Etats, les firmes et les banques, des mesures pour éviter la flambée des prix de l’immobilier qui est générale dans les métropoles, des amortisseurs pour tenter d’amoindrir les mouvements violents de capitaux qui affecteront les pays les plus vulnérables.

Mais rien ne se passe vraiment dans ce sens, l’orchestre du Titanic continue de jouer. La croissance fait illusion et la fragilité du système ne cesse de croître. « La crise financière a eu pour cause immédiate un excès général d’endettement. La manière dont les banques centrales ont dû affronter cette crise systémique d’une magnitude extrême a eu pour résultat de poursuivre la course à l’endettement », résume  Michel Aglietta (1).

Pour l’économiste, la racine du problème remonte aux années 1970, quand Paul Volker décide de lutter contre l’inflation en remontant les taux mais surtout en mettant en doute des dettes publiques : la finance invente les outils de couverture. Le génie est sorti de la bouteille. Il n’a depuis cessé de grandir, tout est financiarisé à commencer par « la raison d’être » des entreprises, comme on dit aujourd’hui. Ce système est intrinsèquement instable : la spéculation va de bulles en bulles, l’économie de crise en crise. Pour éviter leur éclatement, Alan Greenspan achète massivement des actifs. C’est reculer pour mieux sauter. Le ratio dette/PIB s’élève partout mais sans traduction dans l’investissement qui, au contraire, se rétracte et manque pour reconstruire les solides fondements de la croissance.

Un système monétaire déréglé

Motif ultime de cette fuite en avant dans la finance ? Le dollar. On cherche dans la pseudo « couverture » des outils financiers de plus en plus mathématiques une stabilité impossible à trouver du fait de la place de plus en plus « exorbitante » de la monnaie américaine. Le dollar domine de façon extravagante cette finance globalisée (87 % des marchés de change, 61 % des réserves, 57 % des prêts bancaires), ses acteurs font la loi (ils gèrent 55 % des actifs) et elle reste le refuge ultime de sécurité alors que l’économie américaine ne représente plus que 23 % du PIB mondial et 12 % du commerce international.

Sans cadre multilatéral de coopération monétaire, la globalisation financière est une fausse solution, elle renforce l’instabilité, elle l’amplifie. L’économie souffre du système monétaire international déréglé depuis l’abandon des accords de Bretton Woods par Richard Nixon.

La bonne solution est de redéfinir le cadre institutionnel d’une coopération monétaire internationale. Cela nous ramène au FMI à qui il faut redonner un rôle majeur, et pas seulement « de surveillance ». On le devine, Donald Trump s’