L’accès aux médicaments demeure un vrai casse-tête

Malgré les efforts de l’Organisation mondiale de la santé et des ONG présentes en Afrique, la majorité d’individus meurent des maladies et des épidémies faute de moyens pour les guérir. D’où la nécessité des partenariats public-privé, qui sont une véritable avancée. Éclairage.

Le bureau central du Programme national de lutte contre le sida à Kinshasa.
Le bureau central du Programme national de lutte contre le sida à Kinshasa.

Dans le domaine médical, les découvertes mettent beaucoup de temps pour être appliquées dans les pays moins développés, tels que les pays africains. Très souvent, l’accès aux médicaments ou aux vaccins est un véritable casse-tête pour les populations de ces pays à cause de leurs prix hors de portée. Dans le cadre des Objectifs pour le développement durable (ODD), la communauté internationale veut réparer ce qu’on considère comme « la plus grande honte de l’humanité ». Les partenariats public-privé sont considérés comme la planche de salut pour faciliter l’accès aux médicaments des populations pauvres.

Actuellement, les partenariats public-privé se nouent principalement dans ce qu’on appelle la « communauté de brevets » pour les médicaments. Le docteur Ambroise Mayala Ndongala, expert de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), explique comment le mécanisme fonctionne : « Quand un chercheur fait une découverte dans un pays occidental, bonne et applicable dans le domaine médical, on trouve généralement le médicament au bout de dix ans en pharmacie à Paris, Londres ou Berlin. Mais il faut attendre vingt ans pour acheter le même médicament à Kinshasa, Abidjan ou Ndjamena parce que le produit est protégé par un brevet pour quinze ou vingt ans ».

Les laboratoires pharmaceutiques n’y sont pour rien, précise-t-il. « Ce sont les entreprises qui sont à la base de cette situation parce qu’elles ont besoin de faire des bénéfices pour survivre et se développer », poursuit Mayala Ndongala. Face à la pression des humanitaires et des sociétés civiles, les dirigeants politiques commencent à agir pour que les progrès de la médecine ne profitent pas seulement à 1 milliard d’individus sur les sept que compte la planète. L’OMS et les ONG présentes en Afrique ou ailleurs font ce qu’elles peuvent avec les moyens du bord. Malgré les efforts, un enfant meurt du paludisme toutes les 50 secondes. Le guérir ne coûterait que moins d’un dollar. D’où la nécessité des initiatives, comme la « communauté de brevets » expérimentée par l’Unitaid, qui sont une avancée majeure.

C’est du gagnant-gagnant

Pour le moment, la « communauté de brevets » concerne le sida, mais l’Unitaid veut l’élargir à d’autres maladies, surtout dans les pays n’ayant pas d’assurance-maladie et encore moins de mutuelles. Dans le cas du sida, l’Unitaid a demandé aux laboratoires de « licencier » leurs brevets dans les pays très pauvres qui ne sont pas leurs clients. Il leur a aussi demandé d’accepter que des accords soient conclus avec des fabricants de génériques pour obtenir des médicaments 98 % moins chers. Le président Barack Obama s’est impliqué pour convaincre les laboratoires, qui sont aujourd’hui très satisfaits de leur action. À la question de savoir comment élargir le système à d’autres maladies que le sida, le docteur Mayala souligne que c’est là toute la difficulté. « Les laboratoires ne sont pas l’Armée du salut. Pour l’instant, ils sont prêts à le faire en faveur de la lutte contre la tuberculose ou l’hépatite ». Il faudrait donc agir avec prudence, car il s’agit, en effet, d’un partenariat public-privé. Sans les laboratoires, le succès ne peut pas être garanti. Il ne faut pas donc agir contre eux, mais avec eux.

Récemment, la lutte contre le virus Ebola en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone a montré que la communauté internationale n’était pas prête à combattre une épidémie dangereuse. « Si le virus était transmissible dans l’air, il y aurait eu des centaines de millions de morts. Aujourd’hui, grâce à la France, un vaccin va être mis en place. Mais à force de réduire le budget de l’OMS, on réduit son efficacité », déplore Mayala Ndongala. Il plaide pour l’augmentation de son budget et pense que les financements innovants peuvent y contribuer. « C’est même l’avenir », dit-il. Une étude de l’OMS montre que si l’on prenait 1 centime par paquet de cigarettes dans les pays pauvres, 3 centimes dans les pays à moyen revenu et 5 centimes dans les pays riches, on récupérerait 8 milliards de dollars par an.

Pour le docteur Mayala Ndongala, c’est possible, peu importe le temps que cela va prendre. Il faut continuer à faire le plaidoyer. La grande leçon que la communauté internationale peut tirer de l’épidémie d’Ebola est qu’il faut mettre sur pied une force d’action rapide pour agir en cas de catastrophe sanitaire. « Il ne s’agit pas d’embaucher des milliers de personnes, mais d’être concret et réaliste », précise le médecin. Si Ebola a surtout sévi en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, c’est parce qu’il n’y a pas de système de santé de base dans ces pays. Il faut, avant toute chose, mettre en place un système de santé de base dans tous les pays qui n’en ont pas, en installant, au moins, des dispensaires.

Fardeau économique

Le fardeau économique des maladies en Afrique dépasse de 15 % celui des maladies dans le reste du monde. Le nombre des travailleurs dans le domaine de la santé n’y est que de 1 %. Il est impératif de faire en sorte qu’il y ait davantage de médecins et d’infirmières en Afrique. Sinon, malgré un potentiel énorme, le continent sera toujours confronté à des crises endémiques. « La solution, c’est la bonne gouvernance. Avec une bonne gouvernance, il n’y a pas de corruption, mais la croissance », fait remarquer le médecin. Dans ce domaine, le Rwanda est souvent cité en exemple, considéré comme la Suisse de l’Afrique. Le pays n’est pas corrompu et près de 90 % des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) y sont atteints. Il n’y a pas que le Rwanda, qui soit le bon élève africain. Le Ghana ou l’Éthiopie ont aussi accompli des progrès notables dans la bonne gouvernance ces dernières années. Si l’Afrique est confrontée à de multiples problèmes, notamment la corruption, les épidémies et l’analphabétisme, c’est parce qu’on continue avec l’assistanat économique, surtout en Afrique subsaharienne. Les populations de cette région ont besoin d’avoir accès aux cinq biens publics essentiels : la nourriture, l’eau potable, la santé, l’école et les toilettes. « Ce n’est qu’à cette condition qu’on favorisera l’émergence d’une économie saine et qu’on mettra fin au cercle vicieux pauvreté-violence-guerre civile. La nécessité des financements innovants n’en est que plus évidente », croit fermement Mayala Ndongala.

Pour lutter contre l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne, une sorte de plan Marshall s’impose, selon certains analystes. Grâce à la mondialisation, par exemple, 700 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté en vingt ans, soit une population supérieure à celle de l’Europe. Mais la mondialisation a montré ses limites en cherchant à tirer tout le monde vers le haut. L’un de ses effets pervers, c’est le capitalisme financier. Ceux qui ont de l’argent le multiplient par cent, alors que ceux qui en manquent ne décollent pas. Du coup, le fossé entre les riches et les pauvres s’élargit, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi au sein d’un même pays. Ce qui est très dangereux.

La mondialisation de l’économie est concrète : Sanofi ne vend que 8 % de ses médicaments en France. Celle de la communication est également atteinte : n’importe qui suit sur son smartphone les événements du monde. Elles sont une réussite parce qu’elles dépendent des hommes et des femmes d’affaires qui raisonnent globalement. Mais la mondialisation de la solidarité n’est pas encore effective parce qu’elle dépend des politiques. Il faut des événements graves comme l’épidémie d’Ebola pour leur ouvrir les yeux et les conduire à regarder un peu plus loin.

Le continent des urgences

Jean-Louis Borloo déclare que l’Afrique est le « continent de tous les possibles et de toutes les urgences ». Il pilote un vaste plan de 260 milliards de dollars visant à électrifier l’ensemble de l’Afrique. Ce qui permettrait, d’après lui, de « résoudre les problèmes politiques majeurs du continent ». Il n’y a pas que l’accès à l’électricité qui soit une urgence cardinale. L’essentiel est d’obtenir le financement et de commencer avec un projet concret, même modeste. La recherche de financements est la quadrature du cercle. Le combat du développement passe pour être le seul combat politique qui vaille aujourd’hui. La vraie bombe atomique, aujourd’hui, c’est l’extrême pauvreté et la faim…