L’Afrique a besoin d’une ZLECAF numérique

La troisième édition du Next Einstein Forum organisé à l’initiative de Thierry Zomahoun, le président de l’Institut Panafricain des sciences mathématiques, est censée mettre le continent africain en branle dans la digitalisation.

POUR Thierry Zomahoun, l’Afrique a plus que jamais besoin d’une « ZLECAF numérique ». Après l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), il est temps de lancer une autre initiative africaine. C’est l’appel lancé par le président de l’Institut panafricain des sciences mathématiques (AIMS), qui organise ce mois-ci la troisième édition du Next Einstein Forum (NEF). Le 30 mai 2019 marquait l’entrée en vigueur de la ZLECAF. Cette nouvelle ère s’est ouverte après la ratification par 22 États africains de cet accord signé lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) en mars 2018 à Kigali. 

À l’instar des dirigeants africains et d’une bonne partie des observateurs avertis, Thierry Zomahoun reste convaincu que « la ZLECAF est une belle opportunité de développement et d’intégration de notre continent ». D’après lui, une zone de libre-échange englobant près d’un milliard de consommateurs peut, en effet, s’avérer être un puissant levier pour l’essor de la plupart des secteurs pouvant assurer l’émergence de notre continent. Parmi eux, l’économie numérique. Encore à la traîne

L’Afrique est encore à la traîne dans ce domaine. À y voir de près, on a même l’impression que le continent s’est résigné à ne pas prendre part à cette compétition qui façonne déjà le monde de demain. Thierry Zomahoun estime qu’une recolonisation numérique plane sur l’Afrique. « Vous avez peut-être déjà entendu parler des licornes. Celles-ci désignent des microentreprises du web qui sont parties de rien et ont construit un empire intergalactique en quelques années. Notez-le : sur les 575 licornes répertoriées à travers le monde, seulement 3 sont issues du continent. Ce retard africain s’explique par plusieurs facteurs, parmi lesquels : une infrastructure inadaptée, sans parler du manque de compétences adéquates », fait-il remarquer. 

D’après lui, ce sont de vrais défis qui entravent l’essor de l’innovation et l’émergence d’industries liées aux nouvelles technologies. Ces blocages empêchent, in fine, la création de nouvelles branches d’activités sur le continent. « Et pourtant, l’économie numérique se présente comme un facteur déterminant d’innovation. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, par exemple, dont les retombées financières s’élèveront à 15,7 trillions de dollars d’ici 2030 au niveau global, quelques exemples africains démontrent le potentiel transformateur lié aux nouvelles technologies », souligne-t-il. 

Dans ce contexte, quel cadre le continent doit-il mettre en place pour tirer profit des bénéfices liés à l’innovation technologique, dont les revenues pourraient s’élever à plus de 60 trillions de dollars d’ici 2025 ?  Thierry Zomahoun répond : « À mon avis, une ZLECAF numérique s’impose pour l’Afrique, à l’instar de celle sur les échanges commerciaux. Cette feuille de route numérique sera certainement moins compliquée à mettre en œuvre, car elle nécessitera moins de négociations et de tractations pour en dessiner les contours. Au contraire, ici, tous les pas à franchir et les bénéfices qu’ils peuvent apporter sont clairement identifiés. »

Et de poursuivre : « Au niveau de l’AIMS, la mise sur orbite de notre continent dans l’univers des sciences et du numérique a toujours été notre principale préoccupation. Au lieu de nous résigner et de céder au fatalisme, nous essayons d’apporter tout une panoplie de solutions. 

C’est une question essentielle sur laquelle s’est penchée le Next Einstein Forum depuis plus de 18 mois et les discussions avec les secteurs, tant publics que privés, ont montré que l’Afrique ne disposait tout simplement pas d’un cadre nécessaire de collaboration lié à l’innovation pour accélérer et tirer profit des avantages issus de l’économie numérique. »  

Valoriser le potentiel

En partant du principe que l’éducation doit être perçue comme une chaîne de valeur nécessitant des interventions distinctes à chaque niveau, le NEF a établi un plan pour permettre au continent de valoriser le potentiel offert par l’économie digitale. « Il s’agit d’une feuille de route panafricaine de l’économie digitale qui identifie les besoins à venir de l’industrie, à court et moyen termes, dans ses différentes chaines de valeurs », explique Thierry Zomahoun. 

Qui estime par ailleurs qu’il faut d’abord un développement des infrastructures basiques et digitales adaptées aux besoins du type d’économie qui émergera et qui sera en place dans les années à venir. Aussi, pense-t-il, la mise sur pied de nouvelles méthodes d’apprentissage permettra aux jeunes de se doter des aptitudes requises et de créer de nouvelles chaines de valeurs et de branches d’activités. 

« Le financement est en outre un autre volet essentiel sur lequel nous nous sommes longuement intéressés. Cela, parce que nous sommes conscients que le processus qui consiste à transposer les solutions trouvées en laboratoire en produits commercialisables à l’échelle continentale requiert des capitaux astronomiques – on parle ici de milliards de dollars nécessaires », renchérit-il. À ses yeux, cette concrétisation impose également de nouveaux partenariats, notamment publics-privés, ainsi que la création d’instruments de financements innovants. 

« Partout en Afrique, il demeure alors urgent d’identifier, comme l’a fait le NEF, les domaines prioritaires sur lesquels nous devons nous concentrer. Dans l’immédiat, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, voire le cloud computing, doivent concentrer nos efforts. Et à moyen terme, nous devons booster des secteurs comme l’impression en 3D, afin de permettre à toutes les parties prenantes de mobiliser les ressources et d’élaborer des stratégies communes répondant aux besoins du continent », déclare-t-il. Persuadé que ce sont là autant de mesures qui, si elles sont appliquées de manière cohérente, accélèreront la transformation économique de l’Afrique dans lequel le NEF et AIMS jouent déjà un rôle très actif. 

À propos d’AIMS

Fort de plus de 1 900 étudiants qui appliquent déjà les mathématiques dans des secteurs clés de l’économie africaine, l’AIMS s’applique à former les élites scientifiques africains à travers des cursus de très haut niveau en mathématique et en intelligence artificielle. « Notre action intéresse et attire l’attention des plus grands acteurs mondiaux du numérique. Il serait opportun que les acteurs africains, à leur tour, rejoignent cette marche vers l’émergence numérique du continent », explique Thierry Zomahoun. 

Quant au NEF, une initiative issue d’AIMS, elle s’attèle à faire de la science une discipline qui séduit les jeunes. « Nous sommes convaincus que beaucoup reste encore à faire et le chemin est plus que long. Mais nous nous réjouissons déjà que nos programmes aient permis de concrétiser quelques succès, qui sont pour nous un motif d’encouragement », déclare-t-il. Par exemple, la bourse d’excellence qui récompense des scientifiques à la pointe dans leur domaine respectif et contribue à jouer un rôle d’inspiration pour les autres.

La Semaine africaine de la science, tenue dans plus de 30 pays, qui met en lumière la manière dont les scientifiques influent sur l’émergence économique du continent, figure également parmi les activités phares d’AIMS. Qui publie aussi un magazine, le « Scientific African Magazine ». Il permet à un large public de se faire une idée plus précise sur les effets bénéfiques et prépondérants de la science dans le paysage de nombreux pays. AIMS compte lancer prochainement un Indice sur le progrès de la science et de l’innovation au niveau continental, pour définir les éléments clés de réussite dans ces domaines. L’ensemble de ces initiatives et cadres d’actions, sont pour AIMS, des moyens de créer un environnement propice à l’essor de l’innovation en Afrique, contribuant ainsi à l’accélération de sa transformation économique.