L’Afrique du Sud vingt ans plus tard : un État en crise

Mandela et De Klerck, symboles de la fin du régime d’apartheid.
Mandela et De Klerck, symboles de la fin du régime d’apartheid.

Comme le vingtième anniversaire de la démocratie postapartheid touche à sa fin, l’Afrique du Sud est marquée par un profond sentiment de crise. Il concerne la gestion de l’État à tous les niveaux : aux principales institutions qui sont en butte aux attaques et sont devenues dysfonctionnelles ; aux perspectives de croissance avec des taux élevés de chômage ; et à la violence dans la société, en grande partie à l’instance de l’État et du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC).

Le président Jacob Zuma, qui est arrivé au pouvoir à la suite de l’étouffement de certaines accusations de fraude et de corruption, a été impliqué dans des scandales récents depuis son entrée en fonction. Le népotisme et la corruption sont présents à chaque niveau du gouvernement, et sont très liés à Zuma et à d’autres membres du comité directeur de l’ANC.

Comment l’Afrique du Sud en est-elle arrivée là, et y a-t-il une voie de sortie pour restaurer un peu de cet espoir que beaucoup caressaient il y a vingt ans ? La règle démocratique en avril 1994 a inauguré le premier gouvernement légitime et démocratiquement élu dans l’histoire de l’Afrique du Sud. Beaucoup de Sud-Africains avaient de grandes attentes liées au leadership de Nelson Mandela et aux freins et contrepoids constitutionnels mis en place comme sauvegardes contre l’abus de pouvoir.

Le nouveau gouvernement s’était engagé à assurer « une meilleure vie pour tous », mais la réalisation d’objectifs transformateurs exigeait des ressources qui avaient du mal à venir. Le contexte  dans lequel le nouveau gouvernement devait fonctionner n’était pas propice à un agenda de croissance. Une considérable pression financière internationale s’exerçait sur les marchés  pour réduire les tarifs douaniers et libérer le marché du travail, supposés conduire aux investissements et aux emplois. Le nouveau gouvernement adopta des politiques macroéconomiques conservatrices en 1996 à travers la politique de la Croissance, l’Emploi et la Redistribution (Growth, Employment and Redistribution), GEAR en anglais.

Bien que le GEAR n’ait pas mené à l’accroissement de l’investissement et de l’emploi, un financement substantiel du gouvernement était consacré aux dépenses sociales, notamment dans l’éducation, les services de santé, l’eau, l’électricité et les allocations aux indigents. Insuffisante, lente à venir et souvent inadéquatement soutenue comme elle l’était, elle a néanmoins amené des changements fondamentaux dans la vie de beaucoup.

Atteindre les objectifs transformateurs a posé des défis en termes de capacités de l’État. Jusqu’en 1994, l’État était adapté à faire face aux besoins d’une minorité de la population. Les ministres existants avaient une faible capacité institutionnelle et étaient incapables d’aborder les besoins de tous les citoyens.

L’un des moyens par lesquels cette capacité augmenta c’était à travers le recrutement de gens compétents ayant un savoir-faire technique, pendant que se construisait simultanément la capacité du nouvel État. Les entrepreneurs et d’autres qui se trouvaient en dehors du travail de l’État se rapprochèrent des activités publiques, apportant ce qui manquait à l’intérieur de l’ordre étatique pour qu’il atteigne ses objectifs macroéconomiques.

Pourtant, les contrats et le système des offres sont vulnérables aux abus. Comme le processus se développait, ceux qui s’étaient vu proposer des offres devenaient souvent substantiellement riches, pendant que la capacité de l’État restait faible. Les contrats pour entreprendre du travail pour l’État ont également ouvert des possibilités pour des réseaux de népotisme liés à des individus puissants. Très souvent, les accords contractuels n’étaient pas honorés. Auparavant, principalement lié à des objectifs politiques, le népotisme vint progressivement assurer l’enrichissement personnel et aussi les transactions malhonnêtes aux frais de l’État et des pauvres.

C’est dans ce contexte que l’ascension du président Jacob Zuma peut être comprise. Sa fortune était liée aux activités malhonnêtes en relation avec les offres publiques attribuées à l’homme d’affaires Schabir Shaik. Lorsque Shaik a été reconnu coupable de fraude et de corruption en 2005, la cour trouva que Zuma en avait bénéficié. Par conséquent, le président Thabo Mbeki démit Zuma de ses fonctions de vice-président.

Au lieu que la destitution soit considérée comme une action forte contre les irrégularités, une lame de fond se leva autour de Zuma parmi ceux qui étaient mécontents de la décentralisation et des austères politiques macroéconomiques associées à Mbeki. Les forces gauchistes, marginalisées sous Mbeki, et un cercle de patrons formèrent une coalition dans la perspective de profiter du remplacement de Mbeki et de la montée de Zuma. Certains de ces hommes d’affaires avaient des connections avec le milieu. Zuma lui-même faisait face à des centaines d’accusations de fraude, mais elles furent supprimées de façon controversée, ouvrant pour lui la voie pour devenir président en 2009.

La présidence de Zuma a maintenu les mêmes politiques macroéconomiques que sous Mbeki, en contradiction avec la prétendue raison pour laquelle la gauche avait proposé sa candidature. Son mandat a été marqué par l’extension de la violence, déjà une caractéristique de la société sud-africaine. Au niveau de l’État, les services chargés de faire respecter la loi n’avaient pas hésité à ouvrir le feu sur des manifestants, notamment dans le massacre de Marikana en 2012. Mais il y a eu aussi une violence politique contre des opposants de l’ANC et une violence incluant des meurtres au sein de l’ANC lui-même. Le dernier est lié à la compétition pour des postes dans les provinces et les gouvernements locaux.

L’une des caractéristiques de cette période c’est que la remilitarisation a tendance à effacer la possibilité de négocier sur les différences ou de débattre des griefs. Quand les communautés manifestent, elles ne sont pas reçues par des officiels qui peuvent résoudre leurs problèmes. Elles ont plutôt tendance à être traitées comme une « foule » qui devrait être dispersée par la police et des coups de feu.

Une série de nouveaux et de vieux scandales entourent Zuma et les conséquences se sont étendues à beaucoup d’institutions de l’État. Le plus notoire est l’utilisation de 21,3  millions de dollars dans les améliorations de la « sécurité » réalisées dans sa résidence privée, pour lesquelles le protecteur public a recommandé qu’il rembourse une raisonnable partie. Zuma, soutenu par l’ANC majoritaire au parlement, a refusé de s’engager dans le rapport du protecteur public et ne remboursera aucune somme d’argent. Son échec pour répondre aux questions au parlement a conduit à des perturbations et à l’entrée des unités antiémeutes en 2014.

Dans cette atmosphère d’anarchie, de corruption et de dysfonctionnement institutionnel, le climat des affaires est clairement instable. Le monde des affaires n’a pas encore fait vraiment entendre sa voix pour exprimer son opinion sur la situation actuelle préférant, semble-t-il, user de son accès personnel au leadership pour la sécurité de ses intérêts.

Une autre raison pour laquelle le monde des affaires et des autres parties prenantes peut être réservé c’est le doux espoir, dans quelques cercles, que le nouveau vice-président Cyril Ramaphosa, qui est considéré comme un potentiel successeur de Zuma, pourrait lui succéder.