L’Afrique entre serpents de mer et éléphants blancs

L’Union africaine a soufflé sur ses 54 bougies. Plus d’un demi-siècle après, le débat sur le développement de l’Afrique ne fait que commencer. Quid du NEPAD ? Quid des communautés économiques régionales sur lesquelles l’UA dit s’appuyer pour assurer stabilité et développement du continent ? 

33rd NEPAD HSGOC meeting held at the AU Summit, Johannesburg, South Africa. President Jacob Zuma delivering welcoming remarks. On the podium:  left to right President of Zimbabwe Robert Mugabe Senegal President Macky Sall South Africa President Jacob Zuma  Dr Ibrahim Mayaki, Chief Executive Officer of the NEPAD Agency Picture byline:  Jacoline Schoonees

 

L’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui deviendra plus tard Union africaine (UA) a été créée le 25 mai 1963 dans l’euphorie des indépendances de la plupart des pays africains. Cinquante-quatre ans après, l’histoire de l’organisation panafricaine bégaie… La stabilité politique n’est pas totalement acquise, l’intégration économique s’éloigne davantage…

Beaucoup de spécialistes pensent que si ces deux principaux objectifs ne sont pas atteints, c’est par manque de volonté politique. Avec ses nombreuses petites économies isolées, la géographie économique de l’Afrique constitue un réel défi. Selon les spécialistes du développement, l’intégration régionale est sans doute la seule voie pour surmonter ces handicaps et participer à l’économie globale. Cependant, l’enjeu de l’intégration économique est conditionné par l’intégration de l’infrastructure physique, qui est à la fois un début et un moyen de favoriser une intégration économique plus profonde, permettant aux pays de faire des économies d’échelle et d’exploiter les biens publics régionaux.

Pour réussir l’intégration régionale, les pays africains doivent commencer « petit », prendre appui sur les réussites, penser « mondial », relier l’Afrique à plus de marchés étrangers, et offrir des compensations aux moins nantis en reconnaissant que les avantages ne sont pas toujours équitablement distribués.

Les avantages de l’intégration économique régionale sont visibles dans tous les aspects des réseaux d’infrastructures. Dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) et de l’énergie, l’infrastructure régionale permet des économies d’échelle qui réduisent substantiellement les coûts d’exploitation.

Ainsi, des câbles continentaux sous-marins en fibre optique peuvent réduire de moitié les tarifs d’Internet et des appels internationaux.

De même, des pôles énergétiques régionaux permettant aux pays de partager les ressources énergétiques les plus rentables peuvent réduire les coûts de l’électricité de deux milliards de dollars par an. Pour les transports et l’eau, la collaboration régionale permet une gestion optimale et le développement de biens publics transfrontaliers. Les corridors routiers et ferroviaires reliant à la mer les pays enclavés sont des exemples de ce genre de biens publics régionaux, de même que les ports de mer et les centres aéroportuaires régionaux. C’est le cas aussi des 63 bassins fluviaux internationaux de l’Afrique.

Construire un consensus politique

La mise à profit effective de ces avantages pose cependant des défis institutionnels. Premièrement, il faudrait construire un consensus politique sur la base des arguments économiques en évitant les pièges politiques. L’intégration économique régionale présuppose un haut degré de confiance entre les pays, ne fût-ce qu’à cause de la dépendance qu’elle implique vis-à-vis des voisins pour des ressources clé comme l’eau et l’électricité. Deuxièmement, il faudrait mettre en place des institutions régionales efficaces. Ces institutions régionales doivent faciliter les accords et la compensation. L’Afrique possède une vaste trame d’organismes politiques et techniques régionaux, mais ceux-ci sont confrontés à des problèmes dus au chevauchement des affiliations, à la limitation des capacités techniques et à la faiblesse des pouvoirs de mise en application. Troisièmement, fixer des priorités pour les investissements régionaux. Étant donné le caractère impressionnant de l’agenda d’investissement, les questions d’amélioration de l’ordonnancement et de fixation des priorités des projets régionaux ont été éludées. Les approches politique, économique et spatiale de la détermination des priorités ont toutes fait l’objet de vastes débats.

Quatrièmement, élaborer des cadres réglementaires régionaux. L’intégration physique des réseaux d’infrastructure ne sera réalisable qu’avec des cadres réglementaires harmonisés et des procédures administratives permettant la libre circulation des services à travers les frontières nationales.

L’infrastructure régionale est un excellent point d’entrée pour les processus d’intégration, parce que les coûts et avantages ainsi que les droits et responsabilités y sont plus faciles à définir. Par le passé, beaucoup d’accords régionaux ont échoué parce que, trop ambitieux, ils voulaient en faire trop et trop vite. Le partage régional des infrastructures met en place des institutions qui encouragent une plus étroite intégration économique, et la dépendance mutuelle est un facteur de stabilité politique. Les pays seront plus disposés à céder un peu de leur souveraineté en échange d’avantages concrets, comme le partage de l’eau ou des prix plus avantageux pour l’électricité ou les TIC.

L’intégration régionale ne devrait pas se contenter d’adapter au niveau régional des politiques ratées de substitution des importations. Elle ouvre au contraire la voie vers une meilleure intégration mondiale. Même regroupés par régions, les marchés africains sont trop petits pour soutenir une croissance élevée. L’intégration régionale fait passer l’offre à une échelle supérieure en créant de plus grands réseaux de production et une agglomération avantageuse. Cependant, l’objectif clé est la connexion des intrants intermédiaires et des produits semi-finis ou finis aux marchés mondiaux. Cette approche comporte des implications pour le développement de l’infrastructure régionale.

Pour se connecter aux marchés mondiaux, les principaux centres de production (le plus souvent situés près des côtes) doivent devenir des centres infrastructurels régionaux dotés de ports et d’aéroports performants. Ces grands blocs d’investissements doivent être concentrés là où s’annoncent les meilleures rentabilités économiques. Il est absurde de construire plusieurs ports en eaux profondes dans des pays voisins, alors que leur trop petite échelle dissuade les compagnies de fret internationales de desservir beaucoup de ports africains. L’infrastructure de connexion complémentaire (routes, services de transports, allègement des procédures douanières) encourage la mobilité régionale des facteurs régionaux et le commerce des intrants intermédiaires. Avec ses nombreux petits pays, l’Afrique rencontre un gros problème de coordination dans la gestion des infrastructures de réseaux. Par exemple, pour relier les principales agglomérations du Ghana et du Nigéria, les moyens de transport régionaux traversent aussi le Togo et le Bénin.

Des compensations aux moins nantis

Les avantages de la concentration impliquent en fait que la croissance devrait le plus souvent se produire dans un petit nombre de villes bénéficiant d’avantages géographiques et d’une base économique existante, telles que les villes côtières dotées d’un bon climat d’investissement. Il est économiquement raisonnable de favoriser de telles zones, du moins au début, lorsqu’on planifie des investissements dans l’infrastructure régionale. Avec les politiques complémentaires adéquates, d’autres zones de la région pourraient également bénéficier d’avantages. La mobilité de la main-d’œuvre donnera lieu à des envois d’argent par les travailleurs migrants trouvant un emploi dans les centres de croissance dynamiques.

Dans certaines régions, cependant, aucun investissement, quel que soit son volume, ne pourra déclencher la croissance. Là, il faudra des incitations coordonnées, des allocations préférentielles soutenant l’éducation et la santé pour créer des « actifs portables » sous la forme de capital humain, pouvant émigrer là où se trouvent les possibilités d’emploi. L’Afrique est confrontée à de sérieux défi s pour se diversifier en dehors des exportations de matières premières et pour pénétrer les marchés mondiaux avec des produits manufacturés. La Chine et l’Inde ont des marchés unifiés avec des populations respectivement de 70 % et 50 % plus nombreuses que celle de toute l’Afrique subsaharienne. Alors que Shanghai ou Shenzhen en Chine, disposent pour leur main-d’œuvre et leurs produits, d’un marché captif de plusieurs centaines de millions de personnes, le marché local de la plupart des centres de croissance africains est limité à quelques millions. Pour permettre à l’Afrique de développer des noyaux industriels régionaux capables de soutenir la concurrence mondiale, il faut abaisser les barrières à la fois à l’interaction productive et (au moins temporairement) à l’accès préférentiel aux marchés mondiaux en assouplissant les règles d’origine. L’intégration régionale est capitale, et le partage des infrastructures régionales doit être une toute première priorité. Les programmes nationaux d’infrastructure comme ceux de l’Inde ou de la Chine (par exemple, le programme autoroutier du Quadrilatère d’Or) nécessiteront des accords entre de nombreux pays d’Afrique. Mais les bénéfices d’une meilleure coordination et d’une intégration des infrastructures seront considérables.