L’aide internationale à l’heure du bilan

Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), approuvés par 194 États membres des Nations unies en 2000, arrivent à échéance à la fin de cette année. Des acteurs sociaux en font un constat plutôt mitigé.

Vue d’un marché de Kinshasa.
Vue d’un marché de Kinshasa.

L’aide au développement s’élève aujourd’hui à quelque 124 milliards de dollars par an. Il faudrait 100 à 200 milliards de plus si la communauté internationale veut atteindre les Objectifs du développement durable (ODD). « C’est possible », fait remarquer Alfred Lumingu Mbala, spécialiste du développement durable, « quand on voit les sommes vertigineuses que les États-Unis et des pays européens ont dépensées en 2008 pour sauver leurs systèmes bancaires après la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers. L’argent existe ». S’agissant des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il constate : « C’est pour la première fois dans l’histoire de l’humanité que la communauté internationale s’est engagée en faveur d’une contribution massive à l’aide publique au développement. Contrairement à ce que pensent de très nombreux sceptiques, c’est grâce à cette aide que la mortalité infantile a diminué de moitié en 25 ans ». Selon Lumingu Mbala, c’est la preuve que, lorsqu’on investit de l’argent au service d’une cause, ça marche. Les objectifs sont loin d’être tous atteints, ce qui signifie que nous devons faire davantage », insiste-t-il.

Dépenser utilement

Selon Léon Maviokele, activiste de la société civile, il faut trouver plus d’argent et s’assurer que cet argent sera dépensé utilement. Mais comment trouver davantage d’argent pour l’aide au développement quand le chômage augmente et les déficits se creusent dans la plupart des pays donateurs ? Léon Maviokele reconnaît que la crise économique qui touche les États les plus prospères se traduit par une diminution de l’aide publique au développement. C’est notamment le cas de la France. Mais d’autres pays parviennent à la maintenir tels que la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni.

Pour Benjamin Kambere, un autre activiste de la société civile, il faudrait convaincre les dirigeants actuels de parier sur le long terme en augmentant coûte que coûte l’aide au développement. D’après lui, c’est l’avenir des enfants qui est en jeu : « Il ne s’agit pas de charité, mais de solidarité bien comprise parce qu’on donne et on reçoit ». Il en veut pour preuve la crise migratoire actuelle qui montre bien que la solution au problème passe par une politique de développement qui permettrait aux migrants de rester chez eux. D’après lui, il faut faire en sorte que le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud (les BRICS) et les autres pays émergents mettent davantage la main à la poche d’autant plus qu’ils veulent entrer dans la cour des grands.

Financements innovants

Pour les activistes, il est temps de créer de nouvelles sources de financement. Lesquelles ? Des financements innovants, précise Léon Maviokele. « Il s’agit d’un nouveau paradigme qui consiste à trouver de l’argent et à mieux le dépenser ». Concrètement, cela consiste à obtenir une contribution de solidarité des secteurs économiques qui bénéficient le plus de la mondialisation. Par exemple, l’Internet (Google, Facebook…), le tourisme de masse (les vols par avion), les transactions financières, les ressources extractives (mines, pétrole, gaz), la téléphonie mobile…

Léon Maviokele cite le cas d’Unitaid comme le premier laboratoire de financement innovant dans le monde. Son but est de récolter des contributions de solidarité sur les billets d’avion, soit 1 euro par billet, pour combattre, essentiellement en Afrique, le sida, la tuberculose, le paludisme (OMD n°6) et centraliser les achats de médicaments afin d’obtenir les meilleurs prix possibles. Unitaid a été créée en 2007 à l’initiative de Jacques Chirac et de Luiz Inácio Lula da Silva, deux anciens chefs d’État français et brésilien.

À ce jour, il n’y a que 16 pays sur 194 (membres de l’ONU) qui ont souscrit à l’Unitaid. Avec ces 16 pays, le système a permis de récolter 2,5 milliards de dollars en huit ans. L’Unitaid a pu financer 355 millions de traitements contre le paludisme dans le monde et payer les soins de 8 enfants sur 10 malades du sida (entre 2009 et 2011) et 7,5 atteints de tuberculose. Les États-Unis ne sont pas donateurs de l’Unitaid. Pour contourner le gaspillage de fonds par les organismes publics, l’Unitaid ne travaille qu’avec des partenaires respectés, reconnus et régulièrement évalués. Par exemple, l’Unicef, Médecins sans frontières, l’OMS, la Fondation Clinton… L’Unitaid a pu faire baisser de 80 % le prix des médicaments contre le sida pour les enfants et de 60 % pour les adultes. Même chose (60 %) pour le prix des médicaments contre le paludisme dans les pays pauvres.

Un exemple à suivre

Alfred Lumingu estime que l’expérience d’Unitaid peut être transposée à d’autres sources de financement. D’après lui, il faudrait, par exemple, viser les transactions financières. En 1984, l’ancienne Premier ministre britannique, Margaret Thatcher, avait tenté l’expérience du « Stamp Duty » (droit de timbre) de 0,5 % sur les transactions financières en Grande-Bretagne. Toujours d’application, ce droit rapporte 4 à 5 milliards de livres sterling par an. La France a suivi, bien des années plus tard, avec une taxe de 0,1 % sous la présidence Sarkozy, passée à 0,2 % sous la présidence Hollande. Une dizaine d’autres pays vont taxer à leur tour les transactions financières, d’après Alfred Lumingu, pour qui si tous les pays instauraient cette taxe, elle produirait 400 milliards de dollars par an. L’argent récolté devrait être consacré à la lutte contre l’extrême pauvreté ou d’autres fléaux dans le monde, notamment la malnutrition chronique.

C’est la maladie la plus répandue au monde, la moins connue et la moins financée. Elle touche 32 % des enfants africains. Elle ne se voit pas, à la différence de la malnutrition aiguë. Benjamin Kambere explique que la malnutrition chronique a une incidence sur le développement. D’après lui, la croissance d’un pays qui s’attaque à ce fléau peut passer du simple au double. En Afrique, la moyenne de la croissance qui est actuellement de 4 %, passerait alors à 8 % !

D’autres programmes sont en train de se mettre en place. Il s’agit, par exemple, d’Unitlife. Il a été lancé le 28 septembre par un ancien ministre français des Sports, Philippe Douste-Blazy, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Son objectif est de prendre un petit pourcentage sur le gaz, le pétrole et les mines comme contribution à l’élimination de la malnutrition chronique. Il y a aussi l’International Finance Facility for Immunisation (IFFI). Ce système de prêts à long terme lancé en 2005 par l’ancien premier ministre britannique, Gordon Brown, participe au financement de l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI). C’est la plus grande organisation de vaccination dans les pays pauvres.  Lancée en 2000 grâce à la Fondation de Bill et Melinda Gates, la GAVI a permis d’immuniser 288 millions d’enfants contre des maladies mortelles entre 2000 et 2010. Bill Gates siège également au Conseil d’administration d’Unitaid et lui verse une dizaine de millions de dollars par an.