L’argent du cuivre divise les Katangais

L’instruction du ministre des Mines priant huit sociétés minières à relocaliser leur siège administratif au site d’exploitation est un véritable remue-ménage au Katanga.

Tel qu’il a été exécuté, on savait que le découpage territorial qui a été décidé en 2015, à l’initiative du président Joseph Kabila, allait se gripper. Presque deux ans après, les effets tant redoutés commencent à se faire sentir. Fini, la solidarité régionale entre les nouvelles provinces  (Lualaba, Haut-Katanga, Haut-Lomami et Tanganyika) nées du démembrement de l’ancienne Katanga ! Désormais, c’est « aide-toi, et le ciel t’aidera » ou « chacun pour soi, Dieu pour tous ». À l’origine de cette situation, une instruction du ministre (national) des Mines, pourtant sortant, Martin Kabwelulu, qui enjoint aux huit importantes sociétés minières du Katanga de déménager leur siège de Lubumbashi (Haut-Katanga) à Kolwezi (Lualaba), Loin d’être une simple mesure administrative, l’instruction du ministre des Mines soulève en fait un problème de fond : les recettes fiscales provinciales.

À Lubumbashi, on a le sentiment que le gouvernement arrache le beefsteak de la bouche. Près de deux ans après que la République démocratique du Congo a été écartelée en 26 provinces, ce qu’on craignait, entre autres, est vite arrivé : les remous sociaux, notamment au Katanga. Selon l’instruction du ministre des Mines, le groupe suisse Glencore et sa filiale Mutanda Group, le chinois China Molybdenum Co., détenteur de la mine géante de cuivre de Tenke-Fungurume après son rachat chaotique à l’américain Freeport-McMoRan Inc., et le canadien Ivanhoe Mines. Les noms des autres sociétés concernées n’est pas connu à ce jour, précise l’agence Bloomberg. D’après Valery Mukasa, le directeur de cabinet de Martin Kabwelulu, « l’objectif est de déplacer l’administration des sociétés au plus proche des mines et de consolider la processus de décentralisation entre les sociétés et l’autorité territoriale pertinente. »

Enjeu fiscal

Le ministre a indiqué à Bloomberg avoir diffusé cette instruction après avoir reçu des préconisations en ce sens du gouverneur du Lualaba, Richard Muyej Mangez. L’instruction du ministre est intervenue quatre jours avant que le gouverneur du Haut-Katanga Jean-Claude Kazembe ne soit désavoué par le l’Assemblée provinciale pour « mauvaise gestion. » Derrière l’instruction ministérielle, un enjeu fiscal évident : pour preuve le récent paiement par Mutanda, la filiale de Glencore, d’une taxe de 27 millions de dollars au titre du rachat de 922 millions de dollars d’actions que détenait dans la société le groupe Fleurette de l’homme d’affaires israélien Dan Gertler. Or cette taxe, payée sous la forme de « droits de timbre » a été réglée dans le Haut-Katanga, du fait de la domiciliation de Mutanda à Lubumbashi. Aucune des sociétés n’a pour l’heure réagi à la demande, ni indiqué si elles appliquaient l’instruction ministérielle.

Épuisement des minerais

Au-delà de l’enjeu fiscal, on ne semble pas s’intéresser à la question de l’après-mines. Ailleurs, les autorités auraient profité de l’exploitation des matières premières pour diversifier leurs économies en construisant des infrastructures, des commerces, des industries de transformation… Mais en RDC, on ne semble pas tirer de leçons pour le futur. La RDC a été longtemps le premier producteur mondial de diamants. Cette place de choix, il la doit en grande partie à la ville de Tshikapa, dans l’actuelle province du Kasaï. De 1970 à ce jour, plus de 90 millions de carats de diamants de joaillerie produits Tshikapa, selon les statistiques du ministère des Mines. Et ce qui devait arriver arriva : l’usure des mines de diamants. Mais bien avant l’épuisement de ces gisements, les diamants y extraits, d’une valeur de 10 milliards de dollars n’ont pas permis à la ville et ses environs de se développer un tant soit peu. Quant à la population, elle n’en a tiré aucun profit : pas un seul kilomètre de routes asphaltées, pas d’écoles viables, pas d’hôpitaux, pas d’eau potable ni d’électricité, pas d’infrastructures de base. : C’est le syndrome de Tshikapa , qui illustre parfaitement le paradoxe congolais : un sous-sol riche avec une population misérable.

Beaucoup de Congolais ne connaissent pas le syndrome de Tshikapa. Mais ils ont certainement entendu parler de celui dit de Stockholm, tiré d’une prise d’otages dans la ville éponyme qui avait vu la victime s’éprendre de son bourreau. Le syndrome de Tshikapa est en fait une déclinaison congolaise de la mauvaise gestion des ressources minières.

Et la ville de Tshikapa en est le symbole parfait. Le syndrome de Tshikapa est également révélateur de la gestion catastrophique de l’après-mines. On ne le dira. L’abondance des ressources minières fait souvent perdre de vue que ces ressources naturelles sont épuisables. Tshikapa est là pour le rappeler. Il accrédite la théorie de la « malédiction des ressources naturelles » qui postule que les ressources naturelles, loin d’apporter bien-être et prospérité aux populations, charrient guerres, misère et pauvreté. Fausse théorie car les ressources naturelles n’ont pas de valeur morale, tout dépend de l’usage qu’on en fait. Et d’ailleurs, plusieurs pays ont bâti leur prospérité en s’appuyant sur leurs ressources naturelles, minières, gazières et pétrolières notamment.

Californie, un modèle réussi de l’après-mines

La RDC doit s’inspirer de l’État de Californie, aux États-Unis, modèle en matière de gestion des ressources naturelles. Les villes de San Francisco et de Sacramento, grâce à l’or découvert en 1848, Los Angeles, pour son pétrole découvert en 1920, ont radicalement transformé l’économie de la Californie et des États-Unis. Pendant que l’industrie aurifère et pétrolière tiraient la croissance de la Californie, les autorités en ont profité pour diversifier leur économie en construisant des infrastructures (route, rail, etc.), des universités, des musées, des commerces, des industries de transformation…. Ce qui fait qu’une fois les gisements épuisés, l’activité économique a poursuivi sa progression. En Californie, par exemple, l’après-mines fut préparée par la réalisation de deux infrastructures majeures, selon Léonide Mupepele, un expert en mines. Les Américains construisirent, en 1869, la transcontinentale, un chemin de fer reliant

l’Est à l’Ouest. Ils percèrent aussi le canal de Panama, en 1914, qui relia

par la mer la côte Est à l’Ouest de ce pays continent. Avec ces deux infrastructures, les jalons d’une économie florissante étaient jetés. Ainsi se développa une véritable industrie touristique, une industrie agricole, et une industrie cinématographique, notamment. La Californie avait un autre atout : la démographie. Avec 30 millions d’habitants parmi lesquels une main-d’œuvre abondante et qualifiée, elle a su rapidement tirer son épingle du jeu en exploitant judicieusement ses ressources naturelles. Aujourd’hui, son économie représente 13% du PIB américain. C’est donc l’État le plus riche des États-Unis. Dans l’absolu, la Californie est donc le contre-exemple de Tshikapa. Plus près de nous, l’Afrique du Sud, doit son leadership économique à ses innombrables ressources naturelles. En 1913, elle produisait jusqu’à 40% de l’or mondial grâce à sa mine de Witwatersrand, où le métal jaune fut découvert en 1886. L’industrie aurifère a fait de Johannesburg un carrefour de l’Afrique australe grâce à ses infrastructures : aéroports, chemin de fer, musées, industries, manufactures, bourses de valeurs et zoo.C’est aussi le cas du Botswana un exemple qui interpelle car ce pays s’épanouit avec son diamant dont il est le troisième producteur au monde.

Or la RDC fut pendant des décennies le premier producteur au monde de diamants grâce, notamment, à la ville de Tshikapa. Le malheur de Tshikapa a commencé avec le départ, en 1968, de la Forminière, qui exploitait le diamant

de manière industrielle. Vide mal comblé par Britmond, en 1974, qui se lança dans l’exploitation artisanale de la pierre précieuse. Le mouvement fut amplifié par la libéralisation de l’exploitation artisanale, en 1982, décidée par le gouvernement d’alors.