Le compte à rebours

 

En attendant, dans moins de deux mois, la mise en application de la loi n°17/001 du 8 février 2017 sur la sous-traitance en République démocratique du Congo, le débat est relancé de plus belle. Bien des opérateurs économiques continuent de penser que la nouvelle législation comporte plusieurs contradictions qui la rendent complexe. Et de ce fait, ils exigent que des « mesures correctives » soient rapidement prises avant l’entrée en application de cette loi. D’après eux, elle constitue même un « danger » pour certains d’entre eux, qui redoutent d’en être exclus.

Pour rappel, la nouvelle loi fixe les règles applicables à la sous-traitance. Avant sa promulgation en avril 2017, la matière de sous-traitance était réglementée par un simple arrêté ministériel signé en 2013, portant uniquement sur le secteur minier. Un délai de 12 mois a été accordé aux entreprises exerçant dans ce secteur pour terminer les contrats en cours avant sa mise en application (mars 2018). En promulguant la loi, le président de la République, Joseph Kabila Kabange, a répondu à une attente de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). En effet, le principal patronat du pays s’inquiétait de « l’afflux » de sous-traitants étrangers qui ne laissaient pas d’espace aux entrepreneurs et aux petites et moyennes entreprises (PME) congolaises. C’est même une « évolution significative » que la FEC a salué patriotiquement.

Cependant, le patronat regrette de ne pas avoir été « consulté » ni lors de l’élaboration de la loi ni lors du débat quant à son adoption. Depuis la promulgation de la loi sur la sous-traitance, la FEC réclame une commission tripartite (gouvernement-secteur privé-présidence de la République) pour prendre de commun accord les mesures d’application. Selon Me Declerc Mavinga, vice-président de la commission juridique de la FEC, ceci évitera « l’insécurité juridique ».

Le débat sur l’insécurité juridique

Le rôle de la FEC n’est pas de « contester systématiquement » les décisions du gouvernement. Au contraire, explique son président, Albert Yuma Mulimbi, c’est même un devoir pour elle de « les accompagner en amont afin de leur donner la chance de réussite sur le terrain ». Après le 17 mars, les sociétés étrangères ayant des contrats de sous-traitance devront se constituer déjà en société de droit congolais pour mener à bien leurs activités. Dans le débat en cours, la  question qui se pose vraiment problème est celle de savoir comment les sociétés étrangères doivent être des sociétés congolaises à capitaux congolais et promues par des Congolais.

Selon l’article 6 de la nouvelle loi, une entreprise ne pourra accéder à un marché de sous-traitance à la condition que ses capitaux doivent être congolais, que ses organes de direction doivent être animés par des Congolais et que son siège social doive être établi sur le territoire congolais. Par ailleurs, en cas d’indisponibilité ou d’inaccessibilité d’expertise dûment prouvée dans le secteur d’activité visé, l’entrepreneur peut recourir à toute autre entreprise de droit congolais ou à une entreprise étrangère pour autant que l’activité visée ne dépasse pas six mois. À défaut, il crée une société de droit congolais.

La violation de ces conditions expose naturellement à des peines et amendes, voire à la fermeture momentanée de l’entreprise ou à la suspension de l’entrepreneur principal. Selon des observateurs, l’application de cette loi dans ces conditions est en contradiction avec la constitution, qui prône la liberté d’entreprendre en RDC, qu’on soit Congolais ou étranger. D’autres estiment que la nouvelle législation met la RDC en porte à faux avec plusieurs organisations régionales à caractère économique, notamment l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), le Marché commun des États de l’Afrique de l’Est (COMESA), la communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)…

Néanmoins, tous sont d’accord que la loi fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé vient donner corps au rôle que doit jouer le Congolais en tant qu’acteur économique actif dans son pays. On entend dire que le but est de voir éclore, à brève échéance, une classe moyenne nationale en RDC et la promotion d’une croissance économique véritablement inclusive et créatrice d’emplois.

Mesures autour des zones d’ombre

À la FEC, on estime qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Puisqu’une loi s’accompagne toujours des mesures d’application, elle souhaite vivement  la convocation d’une commission tripartite chargée de proposer justement les mesures d’application de la loi n°17/001. Pour rappel, le président de la FEC avait écrit au 1ER Ministre (Samy Badibanga Ntita, à l’époque), le 4 avril 2017, avec copie au Président de la République. Dans la lettre, Albert Yuma rassurait que le patronat avait favorablement accueilli la promulgation par le président de la République de la loi sur la sous-traitance dans le secteur privé. Et qu’elle réaffirmait son soutien à sa mise en œuvre pour « l’émergence d’une classe moyenne congolaise ».

Cependant, le patronat dit avoir décelé, après analyse, « certaines zones d’ombre » qui nécessitent « la prise urgente de mesures d’application pour sa meilleure exécution ». Comme zones d’ombre, la FEC en a relevé quatre des principales : « le manque de clarté de certains termes et concepts utilisés ». Par exemple, que faut-il entendre par entreprise, société, entreprenant, entreprise à capitaux congolais promue par des Congolais… ; « l’absence de mesures incitatives sur le plan fiscal et douanier » ; « la difficulté d’application de la loi au regard de l’exercice de la sous-traitance par l’entreprenant » ; « le risque de conflit entre cette loi et d’autres lois promulguées antérieurement, régissant certaines professions ».

Les assurances du ministre des PME

Alors, ces lacunes dans la loi ont fait l’objet de plusieurs réunions techniques à la FEC, notamment au sein de la commission juridique que dirige Upio Kakura (Gécamines). Elle s’est encore réunie, le 11 août, pour préparer une mouture des mesures d’application à soumettre à l’appréciation de la tripartite. La clarification est une nécessité d’évidence pour éviter des conflits dans l’interprétation de la loi. Le ministre des PME, Bienvenu Liyota Ndjoli, réaffirme la détermination du gouvernement d’œuvrer pour rendre les PME plus compétitives grâce à une expertise locale outillée et compétente. Pour lui, il est question de traduire en acte la volonté du chef de l’État, celle « de faire du Congolais le premier investisseur dans son pays, et de la demande intérieure, le moteur de l’économie congolaise ». En effet, dans le cadre de la recherche des solutions appropriées aux difficultés d’expertise locale liée à la compétitivité auxquelles sont butées les PME, le ministère Liyota affirme ne ménager aucun  effort. « Le ministère des PME a, depuis quelques mois, pris l’option d’implanter, par l’entremise de l’Office de promotion des PME congolaises (OPEC), avec le concours de quelques partenaires extérieurs, des incubateurs d’entreprises pour permettre aux promoteurs des PME d’accéder aux équipements collectifs de qualité et d’acquérir le savoir-faire et l’expertise qui leur font grandement défaut », fait-il savoir. Convaincu que la RDC restera « une terre d’accueil pour tous les opérateurs économiques désireux de contribuer à sa croissance ».

C’est ainsi qu’en partenariat avec la Banque mondiale, le ministère des PME met en place un programme d’appui à leur développement. Tout cela dans « une approche innovante et adaptée au contexte congolais consistant à créer un maillage des PME autour de grandes entreprises existantes ». d’après Liyota Ndjoli, cette approche rejoint le vœu du législateur de la loi sur la sous-traitance en ce qu’il fait obligation à toute entreprise principale installée sur le territoire national de non seulement publier annuellement le chiffre d’affaires réalisé avec les sous-traitants ainsi que la liste de ces derniers, mais aussi de mettre en œuvre, en son sein, une politique de formation devant permettre aux Congolais d’acquérir la technicité et la qualification nécessaires à l’accomplissement de certaines activités. Si l’ouverture de l’accès à des marchés naturellement fermés aux sous-traitants congolais est « une avancée significative mais pas suffisante », le ministre des PME estime que la mise en œuvre de la politique du gouvernement, dans un élan de collaboration avec le secteur privé et les partenaires, conduira le pays à relever le défi du développement de l’entreprenariat local, gage de la prospérité de l’économie congolaise.