Le coup de gueule d’Albert Yuma

Son mandat s’achève en mai prochain. La cérémonie d’échange de vœux pour la nouvelle année aura été l’occasion pour le président de la FEC de faire un tour d’horizon, sans complaisance, de l’état de notre économie nationale.

L’industrie nationale se meurt. C’est la conséquence de peu d’intérêt que l’État lui accorde. L’attaque est en règle. C’est du Yuma tout craché, a laissé entendre un entrepreneur national membre de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Ce n’est pas la première fois que le président de la FEC, Albert Yuma, dénonce l’incurie dans le chef des dirigeants politiques. Son speech de la rentrée, plutôt vert, lors de la cérémonie d’échange de vœux avec, entre autres, les membres du gouvernement. Face à eux, Yuma a déploré le fait que les unités sidérurgiques, les chaudronneries et les cimenteries locales ne profitent pas du boom du BTP. Pire, tout en se défendant de verser dans le protectionnisme à outrance, le président de la FEC dont le mandat prend fin en mai 2017, s’est offusqué de la ruée des matériaux de construction venus d’Angola, sans le citer nommément, sur le marché local… à moindre frais de douane, pour ne pas dire nul.

Jamais le secteur du bâtiment tiré par les privés n’avait aussi explosé depuis l’indépendance, aimait à répéter l’ancien Premier ministre, Matata Ponyo. Malheureusement, ce boom ne profite guère aux industries locales du secteur, dont la cimenterie et la sidérurgie. Comme la Cimenterie nationale (CINAT), la Cimenterie de Lukula (CILU) quasiment à l’arrêt, a abandonné le marché fort achalandé depuis dix ans aux importations chinoises, angolaises et turques dans une moindre mesure. Quant à la Société sidérurgique de Maluku (SOSIDER), le gouvernement l’a pratiquement abandonné à une mort lente. Et pourtant, le ministère de l’Industrie a, selon toute vraisemblance, perçu des fonds pour relancer la société sidérurgique de Maluku. Fer à béton, fer plat, fer carré, cornière… tôles galvanisés, tôles pour meubles,   tout est, mieux était, censé provenir de Maluku et non de la Chine, hélas, a déploré un expert de l’Association nationale des entreprises du portefeuille (ANEP). Si la SOSODER était opérationnelle, fait-il remarquer, l’État devrait gagner entre 500 millions et 1 milliard de dollars l’an.

Durant près de trois ans de son passage au ministère de l’Industrie, Germain Kambinga, a usé de toutes ses subtilités, recourant même à des circonvolutions phraséologiques devant la presse pour éluder la question SOSIDER. Et pourtant, son prédécesseur Rémy Musungayi avait soutenu avoir obtenu du Fonds de promotion de l’industrie (FPI), une ligne des crédits pour le redémarrage des activités de la Société sidérurgique de Maluku. Mais il s’est refusé d’avancer un quelconque chiffre sur cet emprunt. Nul doute, il devrait s’agir de quelques millions de dollars. Les créances certifiées de la sidérurgie sur l’État est de 13 millions de dollars. « Il n’y a pas une volonté politique pour rallumer la sidérurgie », confie Kabuya, ingénieur et cadre à la SOSIDER. « Il n’y a que des autorités pour nous dire où nous en sommes… », poursuit-il. L’on se souviendra que l’alors ministre de l’Industrie, Rémy Musungayi avait solennellement annoncé la date du 25 juillet 2012 pour la relance de la SOSIDER. Rien ne s’est passé. Puis, accompagnée de sa collègue du Portefeuille, Louise Munga, le redémarrage de la SOSIDER a été reprogrammé à trois mois plus tard, rien n’est venu, non plus. Depuis plus rien.

Parc d’attraction 

Pourtant, après le départ d’un groupe privé indien qui a fait redémarrer la SOSIDER pendant quelques mois en 1998, le groupe américain Global s’est proposé partenaire avec la ferme ambition de faire tourner aussi l’usine à froid de la sidérurgie en vue de produire notamment des tôles galvanisés, ondulés très prisées actuellement dans les grandes agglomérations de la RDC. Non seulement l’argent pris au FPI n’a pas servi à quelque-chose à la SOSIDER, mais le partenaire américain se retrouve bloqué à travers des chinoiseries administratives. Ce, alors que le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP) avait jugé recevable l’offre de Global et transmis le dossier au gouvernement, à travers le ministère du Portefeuille géré à l’époque par Jeannine Mabunda. Selon des sources proches du principal patronat congolais, une tout autre option avait été levée au Portefeuille, dit-on, sur le devenir de la sidérurgie de Maluku: démonter toutes les machines et faire du site un parc d’attraction genre Palm Beach, Simon’s Plazza.

Mais le projet sera court-circuité par la firme Global qui saisit la Primature. À l’époque, les relations étaient plutôt moroses entre la primature et le portefeuille. À la suite de la relance manqué de la CINAT par la famille RAWJI (propriétaire de la Rawbank et actionnaire minoritaire à la Cimenterie nationale), à qui l’alors ministre du Portefeuille opposa un veto. Accusée d’insubordination vis-à-vis du Premier ministre, Antoine Gizenga, Jeannine Mabunda rétorqua en se fondant sur un prescrit constitutionnel selon lequel nul n’a le droit d’obtempérer à un ordre manifestement illégal. Adolphe Muzito devint Premier ministre et reprit le dossier Global/Sosider. Toutes les entraves à la relance de la sidérurgie ont semblé être aplanies, même la question de la gestion de quelque 1 028 maisons (aux camps Mangengenge et Monaco). Mais la SNEL a déboulonné l’un de deux puissants transformateurs qui assuraient l’alimentation en électricité à la sidérurgie.

Pour d’aucuns, la SNEL n’aurait fait qu’exécuter un ordre venu de quelque part. D’autres indexent, sans preuves irréfragables, cependant, le ministère du Portefeuille. C’est également par faute de courant que la Société de fer et d’acier, une autre unité sidérurgique privée peine à démarrer à Maluku. Son patron, un Indien, Soultan Rashid, avait pourtant eu des assurances du ministère de l’Industrie qu’il instruirait la SNEL de doter derechef Maluku d’une puissance électrique susceptible de faire tourner la sidérurgie. Rien n’est venu.

Made in Congo … pour rire  

La Sidérurgie de Maluku a, en effet, des machines (des laminoirs à chaud et à froid) capables de produire tous les matériaux métalliques de construction: fer à béton, fer plat, fer carré, cornière, tôles galvanisés ou pour meubles. « Des sous-traitants ne pouvaient-ils pas s’amarrer à la sidérurgie publique? Combien d’emplois réels, quantifiables, ne pouvait-on pas y créer? », déplore l’expert de l’ANEP, estimant que la campagne « made in Congo, Mela, lia, lata RDC » n’aura été qu’une grosse farce. « Elle n’avait de finalité que se faire des sous pour ses promoteurs. Pas d’investissement ni de subvention notable en faveur d’une industrie n’aura été effectué par le gouvernement ces 5 dernières années », fait-il comprendre. L’ambitieux programme de la Révolution de la modernité se fait avec des matériaux étrangers, regrette-t-il. Que de sorties des devises! L’Angola a pu stabiliser quelque peu son taux de change kwanza-dollar grâce à la masse de billets verts déversés par les Congolais au port sec de Lufu. Au grand dam du Trésor public, côte RDC.  À la suite de la dégringolade du cours mondial du baril de pétrole, l’État n’espérait que 175,8 milliards de francs (environ 200 millions de dollars) en 2016 contre 427,5 milliards (environ 430 millions de dollars) en 2015, soit une régression de 58,9 %. Par contre, le boom des constructions va crescendo. Les dépenses de l’État, pour 2016, dans la construction, réfection, réhabilitation et addition d’ouvrages et d’édifices sont de l’ordre de 668,9 milliards de francs, soit plus de 700 millions de dollars. Créée au début des années 70, grâce à la coopération allemande, la SOSIDER aura coûté à l’État une bagatelle somme de 450 millions de dollars. L’État doit quelque 13 millions de dollars à la sidérurgie à titre de dettes. Il y a à peine 5 ans, les experts estimaient que 15 millions de dollars suffiraient pour faire tourner à plein régime la Sidérurgie de Maluku.

Des exonérations accordées aux privés. 

Alors que l’État tient manifestement à éteindre sa sidérurgie, il accorde cependant des régimes de faveur aux initiatives privées. Selon nos sources, le groupe Ledya plutôt spécialisé dans les surgelés, a monté une unité métallurgique depuis quelques années pour fabriquer notamment du fer à béton. Ledya aurait même bénéficié d’une exonération fiscale totale de 3 ans en vue de décupler sa production. Socimex et Congo Futur ne sont pas du reste. Ils ont aussi monté des unités de fonderie et de chaudronnerie en achetant des mitrailles et tout autre métal pour en faire du fer à béton.