Le débat Clinton-Trump analysé par un spécialiste romand de l’argumentation

Hillary Clinton et Donald Trump se sont retrouvés sur la même tribune lundi 26 septembre. Un débat musclé entre deux candidats aux caractères opposés. Le linguiste Steve Oswald analyse cette joute verbale pour «Le Temps»

Republican U.S. presidential nominee Donald Trump speaks as Democratic U.S. presidential nominee Hillary Clinton listens during their first presidential debate at Hofstra University in Hempstead, New York, U.S., September 26, 2016. REUTERS/Pool TPX IMAGES OF THE DAY - RTSPKFI

Le face-à-face était attendu. Pendant une heure et demie, Hillary Clinton et Donald Trump se sont retrouvés sur la même tribune. Une joute verbale musclée entre deux candidats à la Maison-Blanche au profil et au style opposés. Le linguiste Steve Oswald de l’Université de Fribourg a regardé ce premier débat de la présidentielle américaine pour «Le Temps». Le spécialiste en argumentation décode leurs discours, et astuces, en décortiquant les séquences marquantes du débat.

L’attaque de Donald Trump: «Vous faites ça depuis trente ans!»

C’est un axe fort de sa campagne. Donald Trump se positionne comme le candidat du renouveau, «anti-establishment», capable de relancer les Etats-Unis. Il ne s’est pas privé d’attaquer sa rivale sur sa carrière politique longue de plusieurs années. D’abord première dame, Hillary Clinton est devenue sénatrice puis secrétaire d’Etat. «Je vous pose une question: vous faites ça depuis trente ans! Pourquoi vous ne pensez aux solutions que maintenant?», assène Donald Trump, en faisant référence à une supposée inaction de son adversaire. Avant d’ajouter: «Je vais rapatrier les emplois, vous ne pouvez pas le faire.»

Pour le linguiste Steve Oswald, Donald Trump a réussi son coup. «Il renforce son attaque en utilisant l’humour, cela montre qu’il est malin et opportuniste. Il utilise la parole d’Hillary Clinton pour la ridiculiser. Cela donne la sensation qu’elle s’est fait prendre au piège toute seule. D’ailleurs, on voit sur les images que la candidate démocrate a compris qu’elle s’est fait avoir. Donald Trump a très bien utilisé cette opportunité, il a marqué un point.»

Hillary Clinton réclame l’avis d’imposition de son rival

Hillary Clinton voulait prouver sa bonne forme, elle s’est donc montrée très offensive. L’ancienne secrétaire d’Etat a insisté à plusieurs reprises pour consulter l’avis d’imposition de Donald Trump. Le magnat de l’immobilier a toujours refusé de publier son patrimoine, et sa rivale le soupçonne de vouloir cacher «quelque chose de grave». Une accusation balayée par son adversaire qui rappelle qu’Hillary Clinton avait utilisé sa messagerie privée lorsqu’elle dirigeait la diplomatie américaine. «Je publierai mon avis d’imposition lorsqu’elle publiera ses e-mails», a rétorqué Donald Trump.

Avec une pareille réponse, Donald Trump détourne habilement l’attention. «Cette réponse rejoint un point central de sa rhétorique. Le candidat républicain est très à l’aise lorsqu’il attaque son adversaire mais il se défausse lorsqu’il s’agit de se défendre. Dans cette séquence, il parvient à détourner l’attention de son auditoire en évoquant l’affaire des mails d’Hillary Clinton. C’est un effet miroir, il dévie l’accusation.»

Donald Trump déstabilisé sur les sujets sensibles

Politique internationale, cybersécurité… Les deux candidats n’ont pas pu échapper aux sujets délicats. Donald Trump a montré ses limites sur ces différents dossiers. Sur le second thème, le candidat républicain ne se prive pas de vanter les capacités incroyables de son fils de 10 ans sur Internet. Il fait par ailleurs preuve de retenue sur les problèmes raciaux qui touchent les Etats-Unis. Face à lui, Hillary Clinton propose des thèses et essaye de les défendre. Une pensée plus structurée pour souligner son expérience politique.

«Hillary Clinton se repose plus sur son savoir et son expérience», confirme le linguiste romand. Donald Trump opte quant à lui pour une stratégie bien différente. «Il se contente de qualifier la politique de ses adversaires et la situation des Etats-Unis. Mais il ne démontre rien, il répète simplement des idées qui deviennent accessibles et saillantes. Depuis les années 1960, la psychologie cognitive montre qu’une information répétée et familière gagne en crédibilité. Donald Trump nous épargne l’effort d’évaluation de ses propos, l’argumentation passe au deuxième plan.»

Hillary Clinton et «l’accès aux boutons nucléaires»

C’est un argument qui rythme la campagne du camp démocrate: Donald Trump est bien trop imprévisible pour prendre la tête d’un pays comme les Etats-Unis. Au cours du débat, Hillary Clinton a une nouvelle fois dépeint son adversaire comme une personne irresponsable. Une phrase illustre cette stratégie: «Un homme qui se sent provoqué par un tweet ne devrait jamais avoir accès aux boutons nucléaires.»

Un angle d’attaque qui perd de son efficacité, selon Steve Oswald. «Hillary Clinton continue à dépeindre Donald Trump comme un enfant irresponsable. Cela n’a rien de résolument nouveau. La candidate démocrate fait d’ailleurs moins de coups d’éclat rhétoriques. Or la politique est très souvent devenue une question de spectacle. Donald Trump est plus compétent à ce niveau-là.» Mais Hillary Clinton insiste sur son expérience. «Quand il aura voyagé dans 112 pays et négocié un traité de paix, un cessez-le-feu, une libération de dissident […], là il pourra me parler d’endurance.» A ce moment du débat, le linguiste souligne le caractère puéril de sa réponse. «Donald Trump se contente de répondre que c’est une «mauvaise expérience». Il ne prend pas la peine d’argumenter cette attaque. Sa réfutation est pauvre, elle rappelle la logique du «c’est celui qui dit, qui y est».

Le «tempérament de vainqueur» de Donald Trump

Habitué aux sorties polémiques, Donald Trump se devait de montrer qu’il est un candidat crédible. Au cours du débat présidentiel, il a aligné les chiffres et les exemples. Le candidat républicain a également insisté sur son parcours comme homme d’affaires. «Je pense que mon meilleur atout, c’est mon tempérament. J’ai un tempérament de vainqueur», a-t-il affirmé.

Un profil qui peut séduire. «Son électorat le voit comme un homme de poigne. La marque Trump est synonyme de succès dans la culture américaine contemporaine. Il fait référence à l’empire économique qu’il a bâti lorsqu’il affirme que les Etats-Unis ont besoin d’un nouveau leadership», analyse Steve Oswald. Mais sur le plan des valeurs et de la morale, le portrait de Donald Trump s’assombrit. «Hillary Clinton a exposé quelques-unes de ses failles. A un moment, elle avance l’hypothèse qu’il ne paie pas d’impôts fédéraux. Donald Trump répond alors qu’il est malin, voire qu’il éprouve une certaine fierté d’avoir réussi à contourner le système. C’est une autoroute pour sa rivale. Lors des deux prochains débats, Hillary Clinton va pouvoir dire que Donald Trump est un sacré mauvais exemple.»