Le débat se corse sur la vision économique des minerais stratégiques

Depuis 2000, l’embellie des cours des matières premières minérales conjuguée à l’émergence de nouveaux acteurs miniers originaires des BRICS incitent le pays à forte spécialisation minière à entreprendre des réformes visant le remodelage de leur cadre réglementaire.

LA TENDANCE aujourd’hui est à une logique d’intégration sous-régionale favorisant une canalisation plus optimale des retombées économiques, et une meilleure prise en compte des impacts environnementaux et sociaux de l’industrie minière. Les spécialistes expliquent que les produits miniers présentent « une assez grande homogénéité », et se prêtent ainsi à un commerce centralisé et à la formation des prix unifiés. 

Ils poursuivent en soulignant que les quatre principaux modes d’échange des produits de base sont les bourses, les marchés de gré à gré, les contrats à long terme et les échanges au sein des chaînes d’approvisionnement. Lesquels visent à atténuer les risques du marché.

Selon eux, bien qu’assurant la mise en valeur des substances minérales en faisant appel à des investisseurs privés, l’État a essentiellement un rôle limité à la promotion et à la régulation du secteur minier. Comme ils le disent, « la régulation est toute intervention réalisée dans le cadre d’une action appropriée et dosée en vue de maintenir ou de rétablir l’état réputé souhaitable ou acceptable d’un système économique ou social ». 

Concernant le cobalt, font remarquer les mêmes spécialistes, il a des critères et des caractéristiques qui lui confèrent le caractère de « produit minier stratégique ». 

Les critères retenus sont : 50 % des réserves mondiales connues ; plus ou moins 60 % de cobalt consommé, soit 84 400 tonnes sur 138 500 tonnes de cobalt mondial en 2015 ; hausse vertigineuse du prix de 23 dollars le kg en 2015 à environ 90 dollars le kg en 2018, avec une perspective de stabilisation autour de 100 dollars le kg. 

Quant aux caractéristiques, le cobalt est un sous-produit du cuivre. Sa production est directement liée à celle du cuivre. Une augmentation de la demande ne peut être conçue sans une augmentation simultanée du cuivre. Issue principalement des mines industrielles à ciel ouvert, le cobalt est aussi exploité artisanalement. 

Concernant la production, plus de 50 % proviennent des compagnies industrielles KCC-MUMI de Glencore, TFM, BOSS Mining… Le raffinage du cobalt se fait principalement en Chine, Belgique, Finlande et au Canada. Les enjeux économiques autour du cobalt sont tels que la RDC a la capacité de générer plus de 10 milliards de dollars l’an de chiffre d’affaires. Par ailleurs, ils offrent l’opportunité de rentabilisation fiscale, de développer une politique industrielle propre à la filière cobalt, de positionner la RDC en tant que 1er pays fournisseur de cobalt au monde… À Kolwezi, dans les allées de l’Athénée Hewa Bora, ex-royale, où se tenait la 3è édition de la Conférence minière de la RDC, des experts dévissaient sur la vision économique du secteur minier. 

Pour la plupart des participants interrogés, il faut promouvoir un type d’homme d’affaires compétitif et maîtrisant le secteur minier, avoir dans le pays un entreprenariat minier et industriel national conquérant et élargir la classe moyenne pour une stabilité sociale du pays.

Politique publique

La RDC se retrouve une fois de plus au cœur des enjeux stratégiques mondiaux liés à ses minerais stratégiques, notamment le cobalt. Ce minerai est devenu brusquement la matière première la plus stratégique et l’élément essentiel, voire incontournable pour le futur de l’industrie automobile et des smartphones. 

Par conséquent, estiment bon nombre d’experts, une politique publique de ses minerais stratégiques, bien définie, est une nécessité pour la RDC. Une politique de maîtrise scientifique (exploration, exploitation, production, commercialisation) et sociale ; de la formation et de la recherche (création des centres d’études, d’une école minière artisanale et des techniciens des mines). À les entendre, la politique publique devra surtout répondre aux défis de la transition minière et du capital humain formé. En effet, la mutation de l’artisanat à l’industrie en passant par la petite mine est à la fois souhaitée et redoutée. 

Vu la pratique actuelle d’accaparement de grandes concessions minières industrielles au dépens de l’artisanat minier qui pourtant emploie le plus grand nombre de creuseurs ; vu les enjeux et les incidences des minerais de sang et de conflits dans les sites miniers artisanaux ; vu la politique minière nationale (industrialisation du secteur minier) dans le Plan national stratégique de développement (PNSD) ; compte tenu de la vision 2050, l’erreur n’est pas permise dans la transition minière en RDC.

Des milliers d’exploitants artisanaux vont perdre leur emploi ou leur travail à cause du manque de compétences et de qualifications. Ce qui va grossir les rangs des chômeurs, amplifier la misère de tous ceux qui dépendent et vivent directement et indirectement de l’artisanat minier, et les risques de violence et conflits dans les zones minières à cause de la frustration industrielle.

La gouvernance

La réforme du secteur minier appuyée par une forte hausse des prix  du cuivre et du cobalt  a relancé les activités minières dans les pays tributaires des ressources minières, d’où une croissance plus soutenue et davantage d’investissements. Mais pour que leur impact sur la réduction de la pauvreté soit plus important, le gouvernement doivent convertir le capital non renouvelable en compétences et en infrastructures, le mener à participer au développement des affaires. Cela impose d’améliorer la gouvernance économique, la gestion fiscale et la politique budgétaire.

L’objectif est de construire des usines de transformation et de raffinage du cobalt et des autres minerais stratégiques ; d’attirer les utilisateurs finaux du cobalt et les autres minerais stratégiques à s’installer ; d’éviter de simples investisseurs traders des minerais. Il est aussi question de construire des usines de fabrication des batteries pour véhicules électriques ; des usines de fabrication des batteries rechargeables pour les smartphones, tablettes et ordinateurs… 

Par ailleurs, il faut une politique de protection et réhabilitation de l’environnement ; une politique économique de prise de participation minière par les Congolais dans les entreprises minières privées ; la promotion et l’émergence de l’entrepreneuriat minier local. D’après ces experts, il faut bâtir une vision économique des minerais stratégiques ; instituer un fonds souverain minier pour les générations futures ; diversifier l’économie, pas seulement les mines ; créer des ponts entre les mines et les secteurs agricole, énergétique, manufacturier et les réseaux ferroviaires et routiers du pays.

Les enjeux énergétiques et financiers dans le secteur minier industriel et artisanal se résument à mettre en place une politique énergétique pour soutenir le développement industriel des mines ; une politique d’investissement à travers un fonds d’investissement minier public et privé ; à la maîtrise de la financiarisation moderne du secteur minier pour éviter des investisseurs aventuriers, des simples traders, sans expérience ni capacités minières de taille, comme c’est le cas dans la plupart des projets miniers en RDC; à la création des banques d’investissements miniers pour soutenir les entrepreneurs miniers locaux au niveau de l’artisanat, des coopératives minières, des centres de négoces, des comptoirs, de la petite mine, entité de traitement ainsi qu’au niveau industriel ; à la création de la bourse locale des valeurs des produits miniers artisanaux…