Le FIDA souhaite l’assouplissement de leurs conditions

 Les fonds des migrants africains peuvent-ils mieux contribuer au développement du continent ? L’organisme onusien répond par l’affirmative. À condition, toutefois, de rendre ce marché plus concurrentiel et d’étoffer le réseau d’agences pour que les transactions empruntent des voies formelles.

Le reportage que RFI a consacré au Fonds international des Nations unies pour le développement de l’agriculture apporte un élément nouveau à ce que l’on savait déjà sur les transferts d’argent des migrants vers leurs pays d’origine. Il a souligné que leur volume est actuellement trois fois plus important que les investissements directs étrangers (IDE) ou l’aide publique au développement. D’après ce reportage, les migrants venant de pays en développement sont à ce jour plus de 200 millions dans le monde.

Comme le FIDA et d’autres institutions internationales, la Banque africaine de développement (BAD) se penche sur ce phénomène et cherche à sensibiliser les gouvernants sur les opportunités offertes par cette manne financière pour les économies nationales. La BAD mène, depuis quelques années, une vaste étude sur les transferts de fonds des migrants pour déterminer leur impact sur les économies africaines. La première étape de cette étude a été menée auprès de migrants résidant en France et des destinataires dans quatre pays africains : le Maroc, le Sénégal, le Mali et les Comores. La deuxième étape concerne d’autres pays du continent, dont la RDC. Mais les enquêteurs laissent entendre que la situation est presque la même partout, toutes choses restant égales par ailleurs.

L’on sait que les transferts de fonds des migrants sont considérables, en ce sens qu’ils aident les familles dans leurs dépenses de base. En s’intéressant au phénomène, la BAD a ouvert le débat pour tenter de canaliser ces flux vers les secteurs porteurs. Au cours des vingt dernières années, les transferts de fonds des migrants africains vers leurs pays d’origine ont pris une part prépondérante dans les efforts de développement. La BAD dit vouloir accorder une grande importance à la promotion des transferts de fonds effectués par les travailleurs migrants et à leur impact sur le développement en Afrique.

Le phénomène

Diverses études indiquent que ces transferts jouent un rôle de plus en plus important dans les économies des pays à forte migration. Cependant, malgré leur poids, les flux financiers générés en direction des pays africains demeurent mal connus. De nombreuses zones d’ombre concernant la structure du marché ou l’utilisation de ces ressources subsistent. Le premier mérite de l’étude de la BAD c’est d’avoir tenté de mesurer un phénomène primordial et croissant : ces transferts représentent aujourd’hui 9% du PIB au Maroc (4,070 milliards d’euros), 11% au Mali (450 millions d’euros), 19% au Sénégal (1,250 milliards d’euros) et 24% aux Comores (70 millions d’euros). Mais il est bien difficile de quantifier ces transferts tant ils empruntent des voies diverses et souvent informelles.

La BAD se propose d’identifier les mécanismes qui gouvernent le marché des transferts de fonds et les déterminants de l’offre et de la demande ; de quantifier les flux et les canaux formels et informels qu’ils empruntent ; ainsi que de cerner leur répartition et leur utilisation.

Plus que les IDE

L’étude relève que les transferts représentent entre 80% et 750% de l’aide publique au développement dont les quatre États bénéficient. Mais, cette comparaison a quelque chose de trompeur. Une grande partie de cet argent sert, en réalité, à couvrir les besoins de base et les dépenses d’urgence ou sociales des familles proches du seuil de la pauvreté. Ainsi la quasi-totalité (sauf au Maroc) des bénéficiaires interrogés affirment utiliser au moins une partie de cet argent dans leur budget familial. Viennent ensuite les dépenses de santé, puis d’éducation. Le rapport confirme d’ailleurs que la précarité économique est souvent la raison d’être de la migration.

Bien sûr, ces dépenses participent à l’amélioration du pouvoir d’achat de cette population et, donc, au soutien à l’économie locale, notamment au secteur des services.

Mais, à la différence des investissements, les fonds transférés par les migrants ne participent pas à l’essor de nouvelles activités économiques. Pire, la BAD note un «effet de rente» pervers en matière de dynamisme économique, lorsque les transferts d’argent deviennent «la principale source de revenus des bénéficiaires, s’érigeant en modèle économique principal et non plus alternatif». Par conséquent, comment améliorer les effets positifs de ces transferts ?

L’étude de la BAD propose des pistes. Les enquêtes menées auprès des migrants résidant en France, des bénéficiaires dans les pays d’origine et des structures opérant dans les transferts de fonds ainsi que des organismes chargés du contrôle des flux financiers, font ressortir l’importance sociale, économique et financière de ces transferts dans les pays récipiendaires. L’étude montre des différences significatives  des volumes de transferts informels. Ils varient, selon les pays, entre 25 et 80%. Le comportement des migrants est essentiellement déterminé par la performance et la diversité de l’offre de services des banques, d’une part, et des sociétés de transfert d’argent, d’autre part. En fait, souligne l’étude, plus le marché est concurrentiel et le réseau d’agences étoffé, plus les transferts empruntent des voies formelles.

Canaliser les fonds

Les sociétés de transferts d’argent, présentes depuis la fin des années 1990 en Afrique, ont permis de résorber en un délai très court une grande partie des flux informels et de répondre aux besoins des bénéficiaires, largement sous-bancarisés, par les transferts en cash. Ce segment du marché est dominé par deux majors (Western Union et Money Gram) qui contrôlent entre 85% et 100 % du volume total de ce type de transfert. Ces deux agents ont développé des stratégies d’alliance avec des organismes bancaires, les postes et des institutions de micro finance, leur permettant de compter sur un important réseau d’agences de collectes et de distribution de fonds. En même temps, cela permet de maintenir des marges bénéficiaires élevées, partagées entre ces divers intervenants. Ce sont ces sociétés qui contribuent à la réputation des coûts prohibitifs des transferts (de 5% à 20 % des commissions perçues selon les sommes transférées).

Pour les banques, beaucoup plus compétitives sur les tarifs, le facteur limitant réside principalement dans la sous-bancarisation des bénéficiaires, due principalement à un niveau de revenus par ménage bénéficiaire proche du seuil de pauvreté pour 75% à 80 % des cas dans les quatre pays. L’étude confirme la forte corrélation entre migration et volume des transferts et précarité économique des familles bénéficiaires. Si le taux de bancarisation des bénéficiaires est faible, celui des migrants en revanche est comparable à la moyenne de la population du pays d’accueil.

La capacité d’épargne de la population immigrée demeure toutefois inférieure, reflet du plus bas niveau de revenus et du volume, ainsi que de la régularité des transferts vers les pays d’origine.

Les transferts peuvent être regroupés en deux grandes catégories: ceux correspondant à une épargne individuelle ou destinés à l’investissement dans des activités économiques ou dans l’immobilier ; ceux destinés à la consommation familiale des bénéficiaires, principalement les dépenses d’alimentation, de santé et d’éducation ainsi que les dépenses liées aux cérémonies religieuses et collectives. La deuxième catégorie concerne 60% à 85 % des ménages bénéficiaires. La proportion est plus élevée dans les pays les plus pauvres. Cependant, les transferts réalisés à des fins d’investissements immobiliers (individuel ou familial) et dans une moindre mesure d’investissements productifs sont partout importants. Ils représentent entre 25% et 60% des montants transférés.

L’étude fait également ressortir la forte corrélation entre le niveau de qualification des migrants et l’utilisation des fonds transférés. Les migrants occupant des emplois faiblement qualifiés (75%) transfèrent de 10% à 15 % de leurs revenus (soit entre 100 et 160 euros par mois et par migrant) au titre de l’appui à la consommation familiale des ménages bénéficiaires. Les migrants les plus qualifiés ou les mieux rémunérés consacrent l’essentiel de leurs transferts à l’investissement dans leur pays d’origine.

La seconde corrélation est entre l’âge et l’utilisation des fonds transférés. La part des fonds consacrés à l’immobilier et au secteur productif dans le volume des transferts augmentent au-delà de 40 ans. Le rôle de l’investissement dans le secteur immobilier des pays d’origine constitue un segment de marché très attractif pour le secteur bancaire de par son volume.

Son développement aura pour effet à court et moyen termes de faire baisser les coûts des transferts qui pourraient devenir à leur tour un produit d’appel pour les migrants. En même temps, il devrait inciter au même moment les banques à élargir leurs réseaux de collecte et de distribution, contribuant ainsi à une plus grande bancarisation de la population bénéficiaire.

Cependant, si le développement du secteur immobilier au profit de l’émigration présente des avantages, il n’est pas sans impact négatif. Il pourrait affecter les prix du foncier et contribuer ainsi à accroître la pression foncière déjà forte dans les grands centres urbains comme Casablanca, Dakar ou Bamako. Second risque à prendre en ligne de compte, un renchérissement du prix du foncier qui pourrait entraîner une exclusion de certains segments de la population locale. Enfin, il peut avoir un impact sur l’évolution des prix des matériaux de construction, avec des effets sur le reste de l’économie locale, voire nationale.

La question des transferts de fonds et de la mobilisation de ces ressources est l’objet de trois types d’approche. L’approche anglo-saxonne qui considère que l’essentiel de l’action doit porter sur la fluidification de l’offre de services. Pour ce faire, il convient de stimuler la concurrence par une réglementation souple, la diffusion d’informations sur les prestations des opérateurs à la clientèle et la diversification des modes de transferts rapides (par innovations technologiques notamment). L’approche hispanique, prévalant dans les pays d’Amérique latine et adoptée par le Maroc, privilégie une stratégie de bancarisation des migrants afin de capter les ressources consacrées à l’épargne. Les migrants se voient proposer une vaste gamme de produits bancaires spécifiques à leurs besoins et les transferts deviennent alors un produit d’appel à coût très bas. Cette approche gagne du terrain avec les rapprochements en cours entre les banques marocaines et leurs consœurs d’autres pays africains. Enfin, l’approche francophone qui tente davantage de canaliser les ressources des migrants vers des investissements collectifs dans les  infrastructures de santé et d’éducation ou dans des projets productifs entrant dans le cadre de programmes de co-développement.

La BAD recommande une démarche intégrée : la mise en place de conditions favorables à une concurrence accrue entre les opérateurs de transferts de fonds (amélioration de l’offre de services, réduction des coûts et absorption progressive du secteur informel). Cela, afin de réduire les coûts et d’accroître la sécurité des transferts, et contribuer en même temps à implanter le secteur bancaire en Afrique. À côté de ces mesures visant à assurer la pérennisation et l’augmentation du volume des transferts de la diaspora, l’étude de la BAD s’attarde aussi sur l’utilisation des fonds, avec pour objectif d’élargir la part de l’épargne et de l’investissement.