Le flou artistique perdure

Des organisations de la société civile ont mené une enquête dans trois provinces du pays pour comprendre ce qui se passe dans les entreprises qui exploitent les ressources extractives. Le constat est accablant : la transparence est loin d’être la règle.  D’où le rapport intitulé « Qui cherche ne trouve pas.»

Un ouvrier dans une mine souterraine au Katanga.
Un ouvrier dans une mine souterraine au Katanga.

Il y a d’abord des noms : Plateforme des organisations de la société civile intervenant dans le secteur minier (POM); Cadre de concertation de la société civile sur les ressources naturelles en Ituri (CDC Ituri) ; Maison des mines du Kivu (MMKI); Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho). Ensuite, une démarche commune : faire une analyse exhaustive sur la transparence et l’accès à l’information dans  le  secteur minier industriel. Entre février et décembre 2014, ces organisations se sont ainsi intéressées à 17 projets miniers au Katanga, en Province-Orientale et au Sud-Kivu. Concrètement, il s’agissait de faire la lumière sur l’identité des actionnaires des entreprises minières ; savoir quels permis et contrats qui régissent les projets miniers ; connaître le niveau des réserves et de la production ; avoir une idée des profits générés et des taxes payées ; évaluer les impacts sur l’environnement et le plan social ainsi que les emplois créés. Sur la base de 15 critères précis, chaque entreprise a été cotée sur 10.

Premier constat : certaines informations sont plus que difficiles à trouver. « Malgré les progrès en matière de transparence fiscale suite aux succès de l’Initiative de transparence dans les industries extractives (ITIE) en République démocratique du Congo, les bilans financiers des entreprises minières sont très difficiles d’accès », signale le rapport. Deuxièmement, « les indicateurs qui traitent des aspects sociaux et environnementaux, tels que les impacts environnementaux, les engagements sociaux, les réalisations sociales et les impacts sociaux ont aussi des scores en dessous de la moyenne. » Le rapport insiste encore sur les difficultés rencontrées pour accéder sur les informations concernant les engagements sociaux et les réalisations des entreprises minières en faveur des communautés locales. Ces difficultés découlent surtout  du fait que « le cadre légal congolais est très peu précis non seulement sur l’étendue des obligations sociales des entreprises mais aussi sur la mise à disposition d’informations  y relatives. » Pire, révèlent les auteurs du rapport, « du côté étatique, il n’y a pas de service administratif en charge de gérer les données sociales et leur mise à disposition du grand  public. »

Faute de trouver des obligations de publication claires, les organisations de la société se sont alors tournées vers les entreprises minières pour obtenir des réponses à la demande d’informations sociales. Là, les choses n’ont pas du tout été simples. Résultat : « aucune société ne nous a fourni les informations sur les réalisations sociales demandées », insiste le rapport. Au Katanga, toutes les entreprises contactées – Minmetals Group Kinsevere, Kamoto Copper Company, Ruashi Mining, Boss Mining, notamment – n’ont pas réagi, alors que Mutanda Mining a conseillé aux enquêteurs de s’adresser aux « services de l’État ». Banro, dans le Sud-Kivu, a affirmé toute discussion « doit d’abord être autorisée par Toronto ». En Province-Orientale, les enquêteurs se sont laissé dire par les agents de la société Moku Beverendi que « c’est Kinshasa qui doit répandre les informations aux différents niveaux, tout en triant ces informations pour donner juste ce dont leurs destinataires peuvent avoir besoin ». Puis, cette confidence : « la divulgation de certaines informations nécessite même des autorisations de l’autorité morale au Canada ». Les portes de Kibali Goldmines ne se sont pas non plus ouvertes. Pourtant, s’étonnent  les enquêteurs, « au courant de la même période, l’équipe de chercheurs européens d’une organisation internationale a pourtant été reçue facilement, après avoir suivi plus ou moins la même procédure pour demander un entretien ».

Troisièmement, « il y a en plus des indicateurs pour lesquels les scores étaient plus bas que prévu : les contrats miniers et l’identité des entreprises. La publication des contrats miniers est requise légalement ; la charge en revient au ministère des Mines. Malgré les progrès généraux réalisés en termes  de publication des contrats au cours des dernières années, le score pour la transparence des contrats est bas et cela étonne : si le cadre légal était respecté, le score serait de 10/10. Le score pour les informations sur  l’identité des entreprises est également assez bas. Ceci peut s’expliquer par la difficulté d’accéder aux statuts des sociétés. »

Autre constat, la quasi-impossibilité de trouver la moindre information sur les risques et impacts environnementaux. D’où la certitude que, « dans plusieurs cas ils semblent ne même pas exister ». Pourtant, il y a une obligation légale  pour les entreprises minières de publier une Étude d’impact environnemental (EIE) et un Plan de gestion environnementale du projet (PGEP) « au moment où le permis de recherche est converti dans un permis d’exploitation ».  Sur les 17 projets miniers examinés, il n’y en a que deux où l’EIE est publiée sur un site web : ceux de Tenke Fungurume Mining et d’Ashanti Goldfields Kilo. En ce qui concerne African Minerals et la Sino-congolaise des mines, leurs PGEP et EIE sont disponibles auprès des autorités locales. Les enquêteurs ont même tenté, sans succès, d’obtenir des informations auprès des différents services du ministère des Mines, tant sur le plan national que local. D’où cette remarque : « On se retrouve en face d’un labyrinthe kafkaïen entre les différents niveaux de l’administration – nationale, provinciale, locale – et les pratiques d’entreprises réticentes à divulguer cette information. »

Partout ils sont passés, les chercheurs de la société civile n’ont pas eu la tâche facile. C’est le cas des contrats miniers, dont tout le monde dit qu’ils sont opaques. Les auteurs du rapport constatent d’abord que « malgré l’obligation légale de publier les contrats miniers, il y a pour la plupart des projets des documents qui ne sont pas trouvables sur  le site web du ministère des Mines ». Conséquence, sur les 17 projets de l’étude, seuls 15 sont régis par des contrats ou des conventions. Il n’y en a aucun, parmi les 15, « où il a été possible de trouver tous les contrats, avenants et annexes pertinents au projet », que ce soit sur le site du ministère des Mines ou ailleurs. Les enquêteurs ont néanmoins remarqué que 62 documents contractuels qui auraient dû être publiés ne le sont pas. Ce n’est pas tout : les contrats que le ministère des Mines a quand même publiés sur son site sont incompréhensibles.

Loin de se décourager, les équipes de la société civile ont cru bon d’aller frapper à la porte des tribunaux de commerce à Kolwezi, Likasi, Lubumbashi, Bukavu et Kinshasa, en partant du principe selon lequel les statuts des sociétés doivent être publiés au Journal officiel et être accessibles auprès du tribunal de commerce, ou s’il n’en existe pas, auprès du tribunal de grande instance. De prime abord, il ne peut s’agir de documents confidentiels. Or, cela va être compliqué d’autant que, partout, les préposés à la documentation ou aux archives, tout comme les présidents de certains tribunaux de commerce n’ont pas hésité à chercher à tirer profit de la situation. Les enquêteurs ont remarqué d’emblée que seuls deux projets sur les 17 étudiés avaient des statuts à jour. « Nous n’avons pas trouvé de raisons de croire que des sociétés minières négligent leurs obligations de déposer leurs statuts au Journal officiel et au greffe du tribunal de commerce. Les problèmes se posent plutôt quand le citoyen congolais essaie d’accéder aux informations auprès de ces deux institutions », constatent les membres de la société civile. La liste des obstacles est longue : une demande de « frais apparemment officiels qui sont très élevés, les demandes de motivation illicite, des systèmes souvent désordonnés de classement des dossiers, et la méfiance vis-à-vis des chercheurs de la société civile ». Parfois on leur dit que les documents qu’ils veulent consulter  « dont les statuts, ne sont pas accessibles à tous (…) uniquement pour les avocats pour des fins judiciaires ou aux actionnaires seulement ». Au service des archives du palais de justice de la Gombe, à Kinshasa, un chercheur se retrouve face  à une dame, la responsable, « qui lui a demandé 1000 dollars, « expliquant que c’est un grand travail et que ces frais motiveraient les agents pour fouiller et acheter du lait qui permettrait de remédier aux effets nocifs de la poussière des archives sur la santé des agents ». Au siège du Journal officiel, à Lubumbashi, on leur explique que « photocopier le Journal officiel est illégal. C’est préjudiciable aux droits d’auteur ». Toujours à Kinshasa, des membres de l’équipe se sont rendus au Cadastre minier pour accéder aux EIE. Là, on les dirige plutôt vers la Direction de la protection de l’environnement minier (DPEM), qui leur conseille d’adresser une lettre au secrétaire général du ministère des Mines, le seul habilité à autoriser la communication de toute information. Le courrier a été envoyé au secrétaire général, qui n’y a jamais donné suite.

Autre difficulté majeure, l’accès aux états financiers des sociétés minières ainsi qu’aux montants investis. Pour les chercheurs de la société civile, il est important d’avoir ce genre d’informations, qui sont des éléments importants pour le suivi du secteur minier. Ils insistent sur le fait que la taille et la nature (prêts, capitaux propres) des investissements et les profits enregistrés par une société en RDC sont capitales pour mieux comprendre les éventuelles retombées financières pour l’État congolais. Et d’ajouter que « dans de nombreux pays, ces informations sont publiées dans un registre en ligne et/ou accessible auprès d’un guichet unique ». Partout, les chercheurs ont entendu la même antienne : les informations recherchées sont sensibles et confidentielles », alors que, note le rapport, « ces mêmes informations sont régulièrement publiées en bourse par la maison mère pour attirer les investisseurs ». Parmi les entreprises qui ont de « bonnes pratiques » dans le sens d’une certaine transparence, à partir de la conduite de leurs maisons mères, Ashanti Goldfields et Tenke Fungurume Mining sont notamment cités.

L’enquête, dont la réalisation a été financée par le Centre Carter, l’UK aid et la coopération allemande, se termine par une série de recommandations adressées à la fois à la commission du Parlement sur les ressources naturelles et l’environnement dans la perspective de l’étude du projet de loi modifiant et complétant le code minier ; au ministère des Mines et aux entreprises du secteur  « afin d’améliorer l’accès à l’information dans le secteur minier industriel ».

Dans les annexes, le rapport  publie les scores détaillés des sociétés concernées  en termes d’identité de l’entreprise, d’actionnaires, de permis, de contrats, de réserves/ressources, de phases et calendrier d’activités, de production, de montant investi, de bilan, d’impôts, d’engagements sociaux, de réalisations sociales, de gestion des impacts sociaux, d’impacts environnementaux, d’emploi. Les critères de notation sont l’exhaustivité, l’accessibilité, la fiabilité. On apprend, par exemple, que l’investissement prévu par Ashanti Goldfields était de l’ordre de 345 millions de dollars, mais que seuls 77 millions ont été investis jusqu’en décembre 2012. En ce qui concerne les réalisations sociales, Ashanti a  dépensé, de 2009 à 2013, quelque 8, 633 millions de dollars. Par contre, aucune information n’est disponible sur le bilan de la société, des profits ou des pertes.  En ce qui concerne Tenke Fungurume Mining, la structure de son actionnariat est accessible, tout comme ses contrats, ses ressources-réserves. Selon sa phase et son calendrier d’activités, la durée de vie de sa mine est de 41 ans, à compter de mars 2009 pour une production maximale de 400 000 tonnes. En 2013, Tenke Fungurume 210 000 tonnes de cuivre et 12 700 tonnes de  cobalt. Or, pour la direction provinciale des Mines au Katanga parle, il s’agit plutôt de 210 155 tonnes de cuivre et 55 982 tonnes de cobalt. L’investissement de l’entreprise est le plus important du secteur minier : 3 milliards de dollars. Il ressort de cette évaluation qu’aucune entreprise n’est à 100 % irréprochable par rapport aux termes de référence choisis par les enquêteurs. Il manque toujours  des détails ou des précisions sur tel ou tel autre aspect. Mais Tenke Fungurume  est le seul à avoir obtenu la note la plus élevée : 6,8 sur 10.