Le franchissement du tumultueux fleuve Congo reste une aventure

KINSHASA, 17 fév 2013 (AFP) – La traversée du tumultueux fleuve Congo entre Kinshasa et Brazzaville, pourtant distantes de moins d’un kilomètre, reste une aventure que partagent de rares touristes avec les Congolais qui commercent sans cesse entre les deux pays.

Deuxième fleuve le plus puissant du monde après l’Amazone, le Congo sépare les deux villes et son franchissement, juste en amont de rapides qui interdisent toute navigation vers l’aval, reste périlleux.

De part et d’autre, de petits embarcadères ont gardé l’appellation de “beach” (plage), donnée par les premiers explorateurs britanniques. L’administration y règne en maître. En République démocratique du Congo comme en face, au Congo, elle s’efforce d’en tirer financièrement partie. Taxes diverses, redevances portuaires, tickets de fouille, laissez-passer, vignettes, visas et contrôles sanitaires, le passager ordinaire se résout finalement à se confier à un “protocole”, individu qui, pour une somme forfaitaire, s’occupe de tout.

Les passagers habituels ont leurs réseaux : “cousin ! frère !” entend-on. Les viatiques circulent, les passeports s’empilent, les billets pliés glissent d’une paume à l’autre, jusqu’à ce que quelqu’un lance “navette untel ! présence physique obligatoire !”. Une liste des passagers, appelée manifeste comme dans toutes les organisations de transport du monde, est en effet établie.

Cela pourrait être rassurant mais le bateau en question n’a rien à voir avec un bâtiment de transport. Surnommé “canot rapide” il était auparavant voué à la plaisance familiale, au ski nautique ou aux parties de pêche.

Sur ce hors-bord de 5 ou 6 mètres équipé d’un moteur puissant, une quinzaine de personnes s’entassent en équilibrant les charges et en surveillant la flottaison. Les enfants sont envoyés dans la cabine au milieu des bidons de plastique. De vieux gilets sont distribués, qui n’ont de sauvetage que le nom. Plus personne ne parle.

Quelques minutes plus tard, après avoir croisé à vive allure d’autres embarcations du même type et évité les îles flottantes faites d’épais bouquets de jacinthes d’eau jaunes qui descendent le courant, on arrive de l’autre côté. Les sourires reviennent.

Ceux qui choisissent de prendre leur temps, la majorité pour des raisons financières, prennent le bateau “normal”, moins cher (10 euros au lieu de 15) que les canots. Long d’une vingtaine de mètres, ce navire est doté d’une passerelle et d’un pont destiné à une centaine de passagers. Mais pour accroître sa capacité, il navigue avec deux bateaux semblables arrimés de part et d’autre, dont les moteurs sont hors d’usage. Près de 300 personnes montent donc à bord.

C’est sur ce trimaran antédiluvien, tenu par des câbles, rouillé, tordu, fumant, noir, que s’entassent passagers démunis mais aussi aveugles et paralytiques qui se sont vu attribuer depuis l’ère du Maréchal Mobutu, dans les années 70, un droit de passage gratuit, en compagnie d’un assistant.

 

Le privilège des handicapés —————————

 

Ils commercent du matin au soir entre les deux villes, sachant parfaitement que le lait en poudre ou la chaise en plastique sont moins chers à Kinshasa alors que le pétrole lampant y est plus cher. Les fauteuils roulants servent de brouettes, l’assistant a un énorme sac sur le dos. Le paralytique disparaît sous les cartons, les colis. Produits ménagers, récipients en plastique, biens de consommation sont mis en vente dès la sortie pour un bénéfice de quelques billets.

La traversée dure plus longtemps, une demi-heure, mais elle permet de se reposer avant et après la lutte intense qui oppose les uns aux autres pour entrer ou sortir sous le contrôle de policiers omniprésents, vibrionnants, la chicotte à la main, généralement un tuyau de plastique, pour écarter les resquilleurs.

Interrogée par l’AFP, une commissaire à la direction générale des migrations à Kinshasa explique “qu’environ un millier de personnes franchissent ainsi le fleuve chaque jour dans les deux sens”.

Mais Kinshasa, ville de 10 millions d’habitants tourne le dos au fleuve et à Brazzaville qui en compte un peu plus d’un million. Une étude est en cours pour mettre un terme à cet isolement entre deux populations à la langue commune, le lingala, et dont les vies quotidiennes sont aussi difficiles.

Un pont est prévu plus au nord entre Brazzaville, l’ancienne capitale de l’Afrique équatoriale française devenue celle d’un émirat pétrolier et la mégapole kinoise dont les habitants inventent chaque jour leurs moyens de survie. On ignore quand ce pont sera construit, faute de financement.

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