Le gouvernement prend la mesure des conséquences

Deux semaines après le déclenchement du mouvement, un comité de crise est à pied d’œuvre. Ses conclusions en vue d’un règlement sont attendues à l’issue de sa mission à Matadi.

Un véhicule remorque sur la route Kinshasa-Matadi.
Un véhicule remorque sur la route Kinshasa-Matadi.

Les transporteurs routiers sur l’axe Kinshasa-Matadi de la route nationale n° 1 ont bien choisi le moment pour déclencher leur grève. L’approche des fêtes de fin d’année (Noël et Nouvel an),  est un moment propice pour faire pression sur le gouvernement. En cette période, il se préoccupe du ravitaillement de la capitale en denrées alimentaires importées.

La crainte du pire  

Le débrayage des transporteurs routiers dure depuis deux semaines. Si rien n’est fait allant dans le sens de leurs revendications, il faudrait craindre donc le pire », fait remarquer le propriétaire d’une chaîne de chambres froides à Kinshasa. Il redoute une poussée inflationniste induite par la rareté des denrées de première nécessité et par la pression des consommateurs. Par ailleurs, des spécialistes observent le cadre macroéconomique dont la stabilité est déjà difficile à maintenir à cause de la conjoncture internationale (baisse des cours des principales matières premières) et nationale (pression sur la dépense dans la perspective des élections générales).  Mais les conséquences de la grève sont déjà palpables comme en témoigne l’engorgement du port de Matadi.

Genèse de la crise

C’est pour la cinquième fois en quatre ans que les transporteurs sur la route de Matadi débrayent. Le président de leur regroupement, André Tshikoji, explique que c’est le non respect des engagements contenus dans le protocole d’accord du 19 février 2013 qui est à l’origine de cette grève. Le document prévoyait un salaire de 375 dollars pour le chauffeur et 200 pour le convoyeur. Il était aussi prévu le paiement d’une prime de risque, un congé hebdomadaire de 48 heures et une police d’assurance-maladie. Autant d’engagements qui sont foulés au pied par leurs employeurs. A entendre les grévistes, le taux d’exécution de l’accord est de seulement 1 %. Pourtant, cette grève était évitable, soulignent les grévistes.

Ils déplorent que le vice-Premier ministre de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale, Willy Makiashi, n’ait pas pris au sérieux les différentes correspondances lui adressées. Au sein de l’association patronale de transport routier, les avis divergent. Minoritaires au sein de la chambre, certains patrons jugent fondé le mouvement de grève et demandent à se conformer aux clauses du protocole d’accord de 2013. C’est le cas de la société Congo Futur. Ce grand importateur a sa propre société de transport dénommé Cotrefor. Elle est l’une de rares sociétés qui respectent tant soit peu l’accord de février 2013. Mais un chauffeur de cette entreprise regrette que la majoration intervenue ne soit pas reprise sur le bulletin de paie. Le laxisme de l’État inquiète.

Le secteur dominé par trois entreprises

Sur la RN1, le trafic entre Kinshasa et Matadi  est dominé par trois grands importateurs : Congo Futur, Sokin et MinoCongo. Chacun d’eux possèdent sa propre société de transport des marchandises importées. Il s’agit de Cotrefort pour Congo Futur, Transbenz pour Sokin et Transgazelle pour MinoCongo. Les trois importateurs contrôleraient près de la moitié du parc estimé à plus de 1000 trucks. Avec plus de 200 véhicules lourds de plus de 20 tonnes, Transgazelle passe pour l’entreprise la plus importante dans le trafic routier entre Kinshasa et Matadi. A côté de ces mastodontes, il y a des particuliers et des sociétés de taille moyenne qui se partagent le marché.

Un business mal en point

Le marché n’est plus rentable, selon certains propriétaires de véhicules de grand tonnage. Son modèle économique a été perturbé par l’État. C’est pourquoi, ils  n’arrivent pas à respecter les engagements pris en 2013. Ce n’est pas de la mauvaise foi si les engagements ne sont pas respectés, souligne l’un d’eux. Au nombre des causes qui empêchent la rentabilité, les patrons évoquent notamment la pléthore des taxes, la cherté du carburant – principal intrant-, les tracasseries policières, le péage, l’insécurité et surtout le verrou de Mitendi. Un véritable casse-tête pour les transporteurs routiers interdits d’entrée dans Kinshasa et de sortie avant 22h00. Pour les patrons, le coupable est vite trouvé : l’État. Un contrat de transport Kinshasa-Matadi rapporte entre 2 500 et 3 000 dollars pour un truck de 20 tonnes. Quant aux charges, le carburant coûte 1000 dollars et le péage 460 dollars, le pont-bascule 250… Sans compter la prime des membres d’équipage et les frais qu’occasionnent les tracasseries policières. L’état de la chaussée occasionne également des dépenses pour l’entretien des véhicules. Pour toutes   ces raisons, les patrons disent qu’ils sont dans l’incapacité de tenir leurs engagements vis-à-vis des employés.

L’État répond aux transporteurs

Devant l’impasse et face aux conséquences de la crise sur l’économie, le premier ministre Augustin Matata Ponyo a réuni, le 25 novembre 2015, le Comité Permanent, une tripartite (gouvernement, patrons et syndicats des transporteurs routiers) chargée de la mise en œuvre du Protocole d’Accord de 2013. Cette tripartite ne s’était réunie qu’une seule fois, avant la crise actuelle. A la demande du Premier ministre, elle s’était rendue à Matadi, dans le Kongo- Central, pour rencontrer les différents milieux concernés par la crise. Les transporteurs exigent l’organisation d’élections syndicales. Mondialisation oblige, ils sont désormais en contact avec leurs homologues angolais qui ont un traitement à faire pâlir. Les conclusions du Comité Permanent sont attendues cette semaine. L’implication des autorités du gouvernement et le contexte des fêtes de fin d’année, incitent à l’optimisme quant au dénouement de la crise, espèrent les transporteurs. Ils souhaitent que les solutions envisagées soient durables. Sinon, Kinshasa risque d’être étouffée économiquement par une autre grève prochainement.

Pas d’alternative à la route

Tirant les leçons de la grève, le gouvernement réfléchit sur les voies alternatives pour l’approvisionnement de Kinshasa livrée à la merci des transporteurs routiers. La réhabilitation du chemin de fer Kinshasa-Matadi est une piste à explorer. En attendant sa mise en concession, le gouvernement pense à sa réhabilitation. L’appel d’offre international que l’État a lancé pour la modernisation des ports de Matadi, Boma et Kinshasa, ainsi que la ligne de chemin de fer reliant Kinshasa à Matadi, prendra beaucoup de temps.