Le lac Tanganyika est l’un des défis majeurs

Dans certains milieux d’affaires, on prend pour un effet d’annonce la déclaration du gouvernement de promouvoir l’exploitation industrielle des ressources halieutiques dans le cadre de la diversification de l’économie nationale.

Pêcheurs artisanaux sur le lac Tanganyika.
Pêcheurs artisanaux sur le lac Tanganyika.

Le ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Élevage et du Développement rural a mis à jour les données sur les ressources halieutiques et sur les entreprises intéressées par leur exploitation industrielle. Actuellement, le potentiel halieutique du Congo est estimé à 700 000 tonnes de poissons par an, alors que les besoins en consommation intérieure sont évalués à quelque 500 000 tonnes. Par ailleurs, le pays importe près de 150 000 tonnes de poissons par an. Il y a donc de la place pour l’exploitation industrielle, fait remarquer un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture. Un programme spécifique de relance de la production piscicole existe dans ce ministère. Il fait la part belle aux privés, aux ONG et aux partenaires au développement pour investir dans ce secteur. Dans les détails, la stratégie gouvernementale consiste à développer la pêche dans les plans d’eau, moderniser les équipements et les matériels de pêche et à promouvoir la pêche semi-industrielle. Le ministère devra faire l’état des lieux et mener une étude de relance des pêcheries existantes dans le cadre d’un partenariat public-privé. L’autre volet du programme, concerne l’encadrement et la formation des pêcheurs aux techniques nouvelles de pêche durable préservant les ressources halieutiques et de conservation. Il s’agit également d’améliorer le système d’approvisionnement et de distribution des intrants, de promouvoir la pisciculture, ainsi que d’implanter des centres d’alevinage ou bassins de reproduction des espèces halieutiques. Toutes ces actions devraient être réalisées avant 2017

Enjeux de l’heure

Face aux enjeux mondiaux et nationaux de sécurité alimentaire, le Congo a des défis majeurs. L’un de ces défis, c’est le lac Tanganyika, considéré comme le deuxième lac le plus poissonneux du monde, après le lac Baïkal en Russie. D’après les spécialistes, quelque 500 espèces de poissons y vivent, dont seule la moitié est connue. Pourtant, Kinshasa posait la question sécuritaire comme préalable à la ratification de la Convention de l’Autorité du lac Tanganyika. De tous les pays du Bassin du lac Tanganyika, le Congo était le seul à ne l’avoir pas encore ratifiée. Il semble que les deux chambres du Parlement en débattent. Ce qui permettrait la mise en œuvre du programme d’aménagement et d’exploitation de ses ressources.

Outre les ressources halieutiques, le lac Tanganyika offre d’immenses opportunités pour développer l’écotourisme. Avec une profondeur de 1 740 km, environ 666 km de longueur et 150 km de large, ce lac fait les frais d’une sécheresse dévastatrice depuis plus d’une décennie. Cette situation affecte sensiblement ses eaux qui connaissent une baisse constante, ainsi que l’écosystème de son bassin.  Véritable mer intérieure, il est le trait d’union entre les États de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), la Communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC), le Marché  commun des États de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA) que sont le Burundi, la Tanzanie, la Zambie et le Congo.

La Convention sur le lac Tanganyika recommande aux États riverains de développer, à court terme, un outil scientifique en vue d’inscrire dans la durée les activités de la pêche. L’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’est engagée à aider ces États à mettre en application cet accord régional. « Il est temps de penser à la prospérité de la postérité », explique un expert de l’Autorité du lac Tanganyika. Les Nations unies et l’Union européenne attendent que le Congo ratifie cet accord pour financer l’industrie de la pêche. La Banque africaine de développement (BAD) a prévu 80 millions de dollars pour appuyer l’exploitation industrielle dans le lac. Dans ce financement, le Congo bénéficierait de 10 millions de dollars (6 millions de dollars à titre de dons et 4 millions comme prêts) parce que la moitié des eaux du lac Tanganyika se trouve sur son territoire.

Déboisement

Depuis 2001, des défenseurs de l’environnement se plaignent que les poissons se fassent de plus en plus rares dans le lac Tanganyika. Ils mettent en cause les riverains qui déboisent sans ménagement ses versants et les pêcheurs qui ne respectent plus les normes de capture. Dans le territoire d’Uvira, situé à quelque 125 km au sud de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, la situation est jugée préoccupante. Les pêcheurs ont tendance à migrer vers le territoire de Fizi et plus au sud, à Kalemie, dans la nouvelle province du Tanganyika. La croissance démographique a un impact sur l’environnement et sur la pêche. La population d’Uvira a triplé en moins de 20 ans pour se situer autour de 210 000 habitants. Selon les services de l’Environnement, la pêche est tombée en deçà de 86 tonnes de poissons depuis 2005. Les raisons en sont nombreuses : les ménages coupent du bois de chauffe sur les versants du bassin, les eaux de pluie charrient des masses de boue dans le lac, les riverains construisent des maisons à moins de 10 m des rives tout en en extrayant des pierres… Comme si cela ne suffisait pas, la brasserie Brarudi, l’usine textile Cotebu et le marché Ruvumera de Bujumbura sont constamment accusés d’y déverser des déchets toxiques et ménagers qui polluent les eaux et détruisent les frayères des poissons et les nids d’alevins.

Tout le monde pêche n’importe quand avec n’importe quel matériel : moustiquaires, filets, nasses… « Un seul petit verre d’alevins de sambaza (fretins) pêchés à l’aide d’une moustiquaire aurait donné 375 kg de poissons six mois plus tard», fait remarquer un agent du Centre de recherche en hydrobiologie d’Uvira où plus d’une cinquantaine de plages de pêche actives a été recensée sur les 12 km côtiers. L’association Sauvons les Enfants de Fizi (ASEF) tire la sonnette d’alarme sur le déboisement des hauteurs de la chaîne de Mitumba et les mouvements des populations vers la forêt d’Itombwe en territoire de Fizi. « Nous sensibilisons la population pour qu’elle plante des arbres. Il faut surtout que l’État fasse respecter les lois sur la conservation de la nature », indique Benjamin Misabiko, joint au téléphone. Le ministère de l’Environnement et de la Conservation de la nature avait décidé de réglementer la pêche sur le lac Tanganyika. « En principe, il faudrait un pêcheur par km², prévoir des périodes de fermeture des baies, réglementer les types de filets à utiliser», explique-t-il.