Le Mémo des défenseurs de forêts aux candidats

Avec en toile de fond la Conférence de l’ONU sur le climat ou la COP24 qui vient de se tenir en Pologne, le problème de gestion des forêts en RDC reviendrait-il d’actualité ? C’est en tout cas ce que laissent croire les récentes conclusions du Forum des parties prenantes sur la gestion durable des forêts et le processus des réformes de gouvernance forestière.

RÉUNIS à Kinshasa du 6 au 8 décembre, les participants – des délégués venus de l’administration forestière (ministère de l’Environnement et du Développement durable, Institut congolais pour la conservation de nature, Fonds forestier national, etc.), du secteur privé (exploitants forestiers industriels et artisanaux), du BNCF, de la société civile environnementale (ONG intervenant dans la gouvernance forestière), des communautés locales et autochtones, des cadres scientifiques et techniques, des organisations féminines environnementales et des jeunes -, tous ont réaffirmé leur soutien aux « stratégies pertinentes » de gestion durable des forêts en République démocratique du Congo. 

À l’issue de ce forum, des recommandations ont été formulées pour les décideurs (lire le Mémo des parties prenantes). Un des participant a même indiqué à « Business et Finances » que cette fois-ci, les choses semblent aller dans la bonne direction, car le dialogue a été renoué entre le gouvernement et les ONG. Il y a des avancées, certes. Mais « beaucoup de barrières » restent à lever avant qu’un tel projet de gestion durable des forêts et de bonne gouvernance forestière, ô combien bénéfique, ne devienne réalité en RDC.

Le moratoire sans cesse violé 

Voilà peu de temps encore, les experts du ministère de l’Environnement et du Développement durable étaient empêchés de prendre part aux discussions des parties prenantes. Une réticence qui s’explique sans doute par la violation en février dernier du moratoire ‘interdiction) de 2002 sur la conversion des anciens titres forestiers en contrats de concession forestière. En 2017, les défenseurs de forêts ont organisé une conférence à Kinshasa et ont fait le constat suivant : la RDC est en mal pour mettre de l’ordre dans le secteur du bois. 

L’autorité de l’État est bafouée avant tout par ceux-là mêmes qui devraient la rendre. Conséquence : le moratoire a été violé par l’administration forestière de juin 2002 à février 2007, puis en février 2018. D’après l’ONG Greenpeace, les forêts de RDC jouent un rôle crucial dans la régulation du climat dans le monde. Si les coupes forestières se poursuivent au rythme actuel, le pays risque de perdre 40 % de ses forêts dans les 40 prochaines années. L’exploitation de ces concessions a des répercussions environnementales, notamment dans la zone des tourbières (145 000 km²). Les tourbières qui consacrent près de 30 milliards de tonnes de carbone, ne peuvent rendre service à l’environnement que quand elles sont gardées humides et intactes.

Les données du problème

Le forum du centre Saint Pierre Claver a eu pour tâches de faire les états des lieux de la gestion durable des forêts et de la gouvernance forestière en RDC, de partager et consolider les informations pertinentes sur les initiatives existantes de contributions aux réformes en cours (révision du code forestier, politique forestière, réflexion sur le moratoire), de produire la note de contribution en termes de consensus minima sur base des initiatives de contribution aux réformes forestières existantes, et bien évidemment d’identifier et formuler pour les décideurs des stratégies ainsi que des recommandations pertinentes pour la gestion durable des forêts en RDC.

Selon des participants, le forum devait, en premier lieu, clarifier et actualiser les données du problème. C’est en tout cas ce qu’ils ont décidé. Dans ce but, ils devaient aussi produire un Mémo à adresser aux décideurs de demain sur la nécessité de préserver et de gérer durablement les forêts de la RDC. 

Organisée à l’initiative du Forum national CEFDHAC/RDC, avec le support pédagogique du GTF et en partenariat avec la Coalition nationale contre l’exploitation illégale des bois (CNCEIB) et l’appui financier de WWF à travers son programme de gouvernance forestière (PGF) financé par NORAD, cette rencontre aura été donc l’occasion d’un bon départ.

Selon les données du ministère de l’Environnement et du Développement durable, la RDC dispose d’une superficie forestière estimée à 155 millions d’ha. Par ailleurs, le pays est doté d’immenses ressources naturelles qui sont un atout indéniable pour assurer son développement socioéconomique harmonieux, à condition que ces forêts soient gérées durablement, avec une gouvernance améliorée, en intégrant dans la mesure du possible toutes les parties prenantes dans le processus de prise de décisions concernant les ressources naturelles, en particulier les ressources forestières.

Les forêts de la RDC jouent un rôle capital dans la lutte contre le changement climatique dans le monde. Elles constituent l’un des poumons de notre planète encore relativement intact avec une très grande dépendance en moyens de substance et d’existence pour des populations locales et des peuples autochtones.

À ce jour, on estime, en effet, que les forêts peuvent jouer un rôle économique, environnemental, social, culturel majeur si des mesures d’assainissement efficaces (courageuses, inclusives et méthodiques) du secteur forestier sont mises en œuvre. Dans le passé, Joseph Kabila Kabange, le président de la République, avait promulgué la loi n°011/2002 du 29 août, portant code forestier pour régir la gouvernance forestière en RDC. Mais son application pose problème. 

C’est ainsi que les observateurs avertis en appellent à sa révision pour le mettre en phase avec l’évolution des circonstances et des thématiques émergentes ayant une incidence réelle sur les forêts. Les mêmes observateurs soulignent la nécessité d’une politique forestière qui aurait pu se mettre en place avant même l’adoption du code forestier.

Le contexte est-il favorable ?

En dépit du lot d’hypothèques à lever, le régime forestier actuel a permis quand même quelques avancées. Mais ce n’est pas assez suffisant, estiment les ONG. Parmi les éléments positifs, on peut citer la revue légale des anciens titres forestiers en nouveau contrats de concession forestière représentant une superficie de plus de 12 millions d’ha (décret n°05/116 du 24 novembre 2005, fixant les modalités de conversion des anciens titres forestiers en contrats de concession forestière et portant extension du moratoire en matière d’octroi des titres d’exploitation forestière).

Il y a aussi la revue institutionnelle du secteur forêt-environnement, la production de la quasi majorité des mesures d’application du code forestier et la mise en place du comité de validation desdites mesures, la production et l’effort d’actualisation des guides opérationnels sur la mise en œuvre de l’aménagement durable des forêts. 

Il y a également le plan de zonage national pour sécuriser les espaces et instituer un domaine forestier permanent géré durablement, la publication de l’arrêté ministériel fixant le modèle d’accord constituant la clause sociale du cahier des charges du contrat de concession forestière des communautés locales conformément aux arrêtés ministériels n°090/CAB/MIN/ECN-T/15/JEB/2009 – n°023 et n°028/CAB/ECN-T/15/JEB/08 du 7 août 2008, la mise en place du Programme national Environnement, Forêts, Eaux et Biodiversité (PNFEEB).

Il y a enfin la publication des textes de base y relatifs (décret n°14/018 du 2 août 2014 fixant les modalités d’attribution des concessions forestières aux communautés locales, en application des dispositions de l’article 22 du code forestier de 2002, ainsi que l’arrêté ministériel 025 de février 2016), le passage de la phase de préparation à celle des investissements de la REDD+ en RDC, la mise en place du Fonds national REDD+ (FONAREDD) dans le cadre de l’initiative CAFI, la mise en place des conseils consultatifs provinciaux des forêts…

Malgré ces avancées et des efforts considérables des partenaires au développement et des autres parties prenantes, les défis restent encore énormes en matière de gestion durable des forêts et de gouvernance, comme les participants à la Table verte organisée par la GIZ l’avaient constaté. 

Ces défis se résument à peu près à ceci : améliorer la gouvernance dans le secteur, engager les réformes nécessaires d’assainissement du secteur (levée ou non du moratoire, révision du code forestier, élaboration d’une politique forestière, etc.), appliquer strictement les dispositions légales et réglementaires sur l’ensemble du secteur, se doter d’une vision holistique partagée sur la gestion des forêts dans leur globalité. 

Il s’agit aussi d’allouer des ressources nécessaires, diversifier l’économie forestière, aménager de façon durable les concessions et les autres espaces rurales, prendre des mesures de valorisation des ressources forestières dans leur diversité, de contrôle forestier et faunique, certifier et tracer les forêts à conquérir, mettre fin à l’exploitation forestière abusive et illégale, et de réchauffer les négociations APV FLEGT.

Le contexte est-il aujourd’hui plus favorable à un tel pari ? Le pari sera gagné, à condition d’améliorer la gouvernance forestière. À ce stade de la réflexion, la RDC se doit d’engager les réformes nécessaires, même si dans certains milieux on exprime d’ores et déjà la plus grande réserve. On estime néanmoins que le gouvernement issu des scrutins du 23 décembre jouera pleinement son rôle. C’est tout le sens qu’il faut donner au Mémo des parties prenantes.