Le monde de l’économie souterraine

La prédominance du secteur informel constitue un véritable manque à gagner pour l’état qui, en plus, peine à trouver la bonne formule pour tirer ces unités économiques vers le formel. L’une des causes principales de cette incapacité reste le peu d’attrait du système fiscal.  

Un  « cambiste » et vendeur de cartes téléphoniques à Kintambo-Magasin.
Un « cambiste » et vendeur de cartes téléphoniques à Kintambo-Magasin.

John Sango Kayembe a obtenu son diplôme de licence en gestion financière à l’Université de Lubumbashi en 2009. Faute de trouver un emploi, il s’est lancé, depuis, dans l’informel. Il est « cambiste » et vend des cartes téléphoniques dans une rue de Kintambo. « Je n’ai pas le choix. La conjoncture du pays m’oblige à me débrouiller et ce que je fais me permet, quand même, de joindre les deux bouts. J’ai frappé à plusieurs portes sans succès », constate-t-il. Célibataire et père d’un petit garçon, il dépense 50 dollars par mois pour son loyer.

De son côté, Solange Mbuyi, la cinquantaine, s’évertue à prendre en charge ses six enfants grâce à ses ventes de farine de manioc et de maïs, d’épices, de savons, de boîtes de conserves, de vivres frais… Son mari est sous emploi.

Détérioration du tissu économique   

En République démocratique du Congo, plus de 80 % de la population exerce une activité dans le secteur informel. « L’économie informelle, appelée également souterraine, est favorisée premièrement par la pauvreté. En réponse à la persistance de la crise économique congolaise, les populations paupérisées, livrées à elles-mêmes, ont appris à se prendre en charge, en recherchant parallèlement d’autres sources de revenus par l’invention d’activités indépendantes, en vue de suppléer à l’insuffisance du revenu formel », affirme Prince Leta, professeur à la faculté des sciences économiques et administration des affaires de l’Université protestante au Congo. C’est depuis près de quatre décennies que le secteur informel a pris de l’ampleur suite à la détérioration du tissu économique ayant caractérisé cette période : zaïrianisation, pillages, guerres, etc. Rien qu’à Kinshasa, l’informel emploie plus de 75 % des personnes actives alors que le secteur formel public et privé n’absorbe respectivement que moins de 20 % et 5 %, selon une étude menée dans le cadre de l’élaboration des Documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté (DSRP). L’économie informelle apparaît, ainsi, d’abord comme un correctif à la baisse du pouvoir d’achat du consommateur et se présente, ensuite, comme une alternative au chômage de masse qui ne cesse de gangrener le pays. Ce secteur, surtout sous la forme petit commerce, gagne largement du terrain. Toutes les catégories de la société s’y retrouvent. Certains font du cumul à cause, notamment, de la modicité des salaires dans le formel. Toutefois, la femme se place au centre de cette activité.

Les limites de l’état 

évoluant en marge de la législation pénale, sociale, fiscale et échappant à la comptabilité nationale et aux statistiques du pays, le commerce informel constitue un véritable manque à gagner pour le Trésor public. Le circuit fiscal, en particulier, se retrouve handicapé car il perd une source importante de revenus. Le gouvernement, qui devrait mettre en place des politiques efficaces pour attirer tous les acteurs du secteur formel, se montre, jusque-là, incapable de redresser la pente. Selon Prosper Tshiamala, spécialiste en  économie publique, ramener les activités du secteur informel dans le formel passe par l’assainissement du système fiscal congolais. « Le gouvernement doit accorder des avantages au secteur informel notamment dans la baisse du taux d’imposition. Les gens doivent se sentir sécurisés en s’approchant des circuits officiels », soutient-il. Et d’ajouter : « Il faudrait que l’état arrive à élargir son assiette fiscale. La pression fiscale ne s’exerce que sur une poignée de personnes. Il y a même des grandes entreprises qui s’organisent pour rester dans l’informel et échappent, ainsi, au fisc. » Il arrive aux pouvoirs publics de récolter des taxes auprès de certains agents du commerce informel. C’est le cas de la patente ou encore de certains frais que payent les responsables de maisons de commerce non formelles. Ce que regrette Prosper Tshiamala, qui pense que la priorité devrait être de les attirer d’abord dans le formel. C’est aussi l’avis de plusieurs autres analystes qui s’accordent que la fiscalisation de l’informel, dans l’état actuel, reviendrait à étouffer son expansion et à réduire, par la même occasion, sa participation à la promotion de l’emploi et sa contribution au supplément du revenu insuffisant distribué dans le secteur formel.  Un autre aspect qui nuit au secteur formel, c’est la multiplicité des taxes et des services mobilisateurs de recettes, remarque Prince Leta. « L’administration fiscale n’est pas bien organisée et elle ne participe pas à l’amélioration du climat des affaires. Avant d’ouvrir, par exemple, une micro-entreprise, l’agent économique a sur son dos plusieurs services. Ce qui ne l’arrange pas. D’où la plupart préfèrent rester dans l’économie souterraine », argumente-t-il. Depuis 2012, le gouvernement a instauré un guichet unique de création d’entreprise. Pour monter une société, il est désormais possible de remplir toutes les formalités dans les trois jours en ne payant que l’équivalent, en francs, de 120 dollars pour une personne morale et 40 dollars pour une personne physique. Mais, pour Prince Leta, cela ne suffit pas pour attirer plus de monde dans le formel d’autant plus que, une fois créée, l’entreprise n’est pas à l’abri de la multiplicité des taxes. « La création d’une entreprise est un autre aspect. Son existence en est un autre. Il faut une continuité dans cette politique d’amélioration du climat des affaires », poursuit-il.