Le moral des patrons après les élections

Face à une situation caractérisée principalement par un cadre macroéconomique peu propice au développement de l’activité des opérateurs-investisseurs et à un appareil d’État qui ne joue pas son rôle de soutien du secteur privé, y a-t-il encore des raisons d’espérer ? Quelles sont les attentes du microcosme économique vis-à-vis du monde politique ?

D’HABITUDE, quand Albert Yuma Mulimbi parle, comme président national de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), c’est toujours pour dire quelque chose. Il ne fait pas dans la dentelle. Généralement, ses discours durent le temps d’une mi-temps de match de football, soit 45 minutes. La première sortie de l’année du président national de la FEC était donc très attendue, voire vivement souhaitée, à l’aune des élections présidentielle et législatives du 30 décembre 2018. Pour deux raisons.

La première raison : la confiance des chefs d’entreprises congolais s’était affaiblie au cours des trois derniers mois de 2018, avait annoncé le 21 décembre Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), à l’issue de la 11è réunion du Comité de politique monétaire. D’après lui, l’activité économique est demeurée prospère sur fond d’une relative stabilité sur les marchés en 2018. 

Paradoxalement, les chefs d’entreprises sont restés « globalement pessimistes » pour le troisième mois consécutif, au sujet de l’évolution de la conjoncture économique du pays, avec un solde global d’opinion établi à -5,4 % en novembre et à -3,1 % en octobre. Le Gouv’ de la Banque centrale a imputé cette « évolution défavorable » du solde d’opinions principalement aux facteurs internes. Lesquels ont affecté les secteurs des mines, de la construction et des services. La seconde raison : l’incertitude politique qui a pesé sur le processus électoral qualifié de « scrutin de tous les dangers ». Personne, alors personne, n’avait pronostiqué qu’il allait se dérouler dans le plus grand calme.

Un discours qui apaise

Mardi 29 janvier, la FEC a organisé à son siège à Kinshasa sa traditionnelle cérémonie d’échange de vœux de ses membres devant un parterre d’invités. Tous ceux qui étaient à cette cérémonie ont pu constater que cette année les vœux n’ont pas ressemblé à ceux des années précédentes. En effet, a dit Albert Yuma, ces vœux arrivent à la fin d’un cycle ouvert en 2001 et à l’ouverture d’un nouveau, qui a débuté avec la proclamation des scrutins du 30 décembre 2018 et l’élection du nouveau président de la République ainsi que des députés nationaux et provinciaux. 

Cela restera dans les annales du pays comme un « moment de haute portée historique » pour la RDC, permettant une « passation civilisée du pouvoir ». Les élections se sont déroulées dans « le plus grand calme » alors que le spectre du chaos profilait à l’horizon. Cela compte pour les milieux d’affaires, et cela n’est pas rien pour le développement du pays. 

« (…) en vérité et en toute conscience, quelle était la probabilité que notre pays, en situation de post-conflit en 2001, ne sombre pas à nouveau dans le chaos après ces années de guerres fratricides, souvent fondées sur des haines ethniques ou tribales ancestrales ; probabilité renforcée à la fois par les tentatives de pillages de ses ressources naturelles par des intérêts étrangers, par les difficultés économiques liées à la dette et à la reconstruction du pays, par la frustration ressentie par nos populations de ne pouvoir accéder plus rapidement à des conditions de vie plus décentes et par l’existence d’une jeunesse nombreuse et désœuvrée ? », pose le président national de la FEC.

Et de poursuivre : « Quelle était cette probabilité pour que 18 années après la fin des luttes, sur un territoire presque vaste comme l’Europe occidentale, mais dont le PIB nous place néanmoins entre la Serbie et l’Azerbaïdjan, qui sans faire injure à ces deux nations ne possèdent pas les mêmes potentiels que la RDC, la passation de pouvoir s’effectue de manière apaisée ? » Mais cela suffit-il pour dissiper le doute dans les esprits des patrons ?

Albert Yuma anticipe : « On peut sans aucun doute regretter que beaucoup de choses n’aient pas pu être faites, ou qu’elles auraient dû être faites différemment, ou qu’elles auraient dû être faites plus tôt. D’ailleurs à la FEC, j’ai été un des seuls qui ont publiquement porté le fer contre la politique économique menée par le gouvernement quand celle-ci ne semblait pas conforme aux attentes du secteur privé et au-delà du pays ». Des critiques qui ne lui ont pas valu à l’époque que des amitiés parmi certaines autorités du pays. 

De même, on peut s’interroger de l’imperfection de certains processus. Mais Albert Yuma appelle avant tout à se réjouir que « notre situation soit celle qui est la nôtre aujourd’hui… Nous sommes en véritable démocratie progressiste ». Il est vrai que les équilibres sur lesquels repose la stabilité du pays restent précaire en dépit de cet atterrissage politique en douceur. 

Albert Yuma se veut rassurant, seuls le développement économique et la croissance partagée pourront renforcer cette stabilité dans la durée. « La richesse et le développement des pays développés viennent de loin et se sont bâtis dans la durée et souvent au prix de sacrifices que bien peu de populations accepteraient de subir aujourd’hui. Ne nous imposons pas des chemins de développement impossibles à tenir, qui bien loin de nous aider, contribuent à entretenir nos difficultés », souligne-t-il.

D’après le président national de la FEC, Joseph Kabila Kabange, le président de la République sortant, a engagé des « réformes économiques importantes » qui demandent à être consolidées pour « accélérer notre développement ». Une de ces réformes majeures a été la promulgation du code minier révisé malgré la pression des multinationales étrangères, que les Congolais doivent protéger. À ses yeux, il est important de veiller à « ne pas mettre en danger cette stabilité qui a été si complexe à reconstruire ».

Un partenariat constructif

C’est dans cette perspective que la FEC salue l’élection de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo et l’assure de son soutien et de son accompagnement dans « l’accomplissement de ses lourdes tâches pour le bien-être du peuple congolais ». La FEC lui promet qu’elle sera un « partenaire actif et engagé au côté des institutions du pays, souvent exigeant, parfois critique, mais toujours constructif vis-à-vis de l’action de l’État congolais ».

Au sein de la FEC, on partage les mêmes convictions, par exemple, la pierre angulaire de l’émergence de la RDC repose sur le développement des activités économiques dans le pays afin de générer des revenus, tant pour la population et lui permettre de vivre dignement, que pour l’État qui a besoin de moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses politiques publiques. De ce point de vue, le patronat se met en situation de « partenaire loyal » de l’action du nouveau président de la République. Au service du développement du pays. À lui et aux élus du peuple, le message du patronat se résume à ceci : « Rassurez-nous de nous construire de la bonne politique, nous nous engageons à vous réaliser de la bonne économie. »