Le parcours du combattant

Réformateur contesté, Tshisekedi se déclarait pour l’indépendance de la justice et pour une administration et un appareil judiciaire débarrassés de « danseurs », « corrompus » et « profiteurs patentés ». Bref, personne ne doutait qu’il allait mettre en pratique ses intentions de débarrasser la République du système qui ne profite qu’à une minorité. Quoi de plus normal que les conservateurs ont eu envers lui un sentiment proche de la haine et lui ont réservé un accueil hostile à chaque fois qu’il se rapprochait du pouvoir d’État.

Luba, originaire de Kabeya Kamuanga dans le Kasaï-Oriental, Tshisekedi est le premier diplômé « docteur » en droit de l’université Lovanium de Kinshasa. Ce qui lui a valu d’être tour à tour commissaire général dans le tout premier gouvernement de Mobutu, directeur général de l’École nationale d’administration (ENDA), ministre de la Justice et de l’Intérieur, ambassadeur, député national, 1ER Ministre… En 1982, faisant partie du groupe de 13 parlementaires qui adressèrent une lettre ouverte au président Mobutu, il est arrêté par les services secrets du dictateur. Après la prison et la torture, la relégation pour les 13 parlementaires dans leurs villages d’origine respectifs… C’est pendant ces années de souffrance que le mythe de Tshisekedi s’est construit. Pour les uns, c’est le « Moïse » qui est venu libérer les Zaïrois des griffes du dictateur Mobutu, pour les autres, il est le héraut-héros de la démocratie.

En 2016, quand il est rentré des soins médicaux en Belgique, on le savait malade et fatigué. Mais le « vieux » ne s’empêchait pas de monter en première ligne pour le compte du Rassemblement (de l’opposition radicale). Des hommes du sérail confient qu’il faisait déjà part de son intention de quitter la scène politique active pour incarner le rôle de l’autorité morale à l’instar de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Certains « jeunes turcs » dans et en dehors de son parti avaient déjà la confiance du Sphinx de Limete, au regard de leur pedigree révolutionnaire ne souffrant d’aucune contestation. La mort de Tshisekedi intervient à un moment critique, en pleine crise de la négociation de l’arrangement particulier du dialogue politique du centre interdiocésain. D’aucuns pensent que Tshitshi aura lutté presque pour rien car il n’a pas atteint son but, c’est-à-dire il n’est pas entré comme Moïse de la Bible dans Canaan, la Terre promise, après tant d’années de sacrifices. Pour les chrétiens, l’homme véritable c’est celui qui donne sa vie pour les autres. À ce titre, Tshisekedi est une victoire. Des aviseurs sur  la politique de la RDC estiment que par-dessus tout, le plus grand mérite de Tshisekedi aura été son combat pour l’éthique et la morale dans la vie politique nationale. Pour la petite anecdote, aussi paradoxal que cela puisse paraître, au plus fort de la transition démocratique des années 1990, Mobutu faisait foi aux propos de Tshisekedi plus qu’aux BI (bulletins d’information) de ses collaborateurs et/ou ses services sur Tshisekedi.

Depuis qu’ils lui avaient menti en 1991 que Tshisekedi avait mis à l’abri femme et enfants suite aux événements dans le pays, alors que cela n’était pas vrai. Un proche du maréchal nous a confié un jour ceci : « Lorsque Tshisekedi, alors 1Er Ministre, décide de démonétiser le billet de 5 000 000 zaïres surnommé Dona Beija du haut de la tribune du Parlement de transition (HCR), après avoir contesté les chiffres du gouverneur de la Banque centrale, le professeur Nyembo Shabani, sur la masse réelle en circulation de ce billet, le PF est dans tous ses états et convoque toutes affaires cessantes ses collaborateurs concernés. Il voulait des explications claires parce que, leur dit-il en lingala : tata wana (Tshisekedi) akosaka te (traduisez : cet homme-là ne ment jamais)… » Authentique !

Reste une inconnue, de taille : qui va reprendre le flambeau, vu le charisme de l’illustre disparu ? La plupart des analystes estiment que la marge de manœuvre au sein de sa base politique (UDPS) est si étroite qu’elle pourrait donner lieu à une guerre des clans. Ce qui profiterait à coup sûr aux adversaires politiques. Une chose est sûre : les jeux ne sont pas faits.