Le «petit émirat » préfère le shilling ougandais au franc

La présence d’importantes quantités de pétrole dans cette nouvelle province va-t-elle devenir une source de malheurs pour cette région qui est plus proche de Kampala que de Kinshasa ? Certains le pensent.

Un tronçon de la route nationale numéro 2, entre Durba et Faradje, en Ituri.
Un tronçon de la route nationale numéro 2, entre Durba et Faradje, en Ituri.

Du «diktat» de Kisangani, chef-lieu et centre décisionnel de la Province- Orientale, l’élite iturienne, – Marini Bodho, John Tibansima, Tinazabo…et même le rebelle Cobra Matata – avait dit, urbi et orbi, en avoir marre et menaçait de proclamer, en 2008 déjà, la province de l’Ituri. Comme le gouvernement prenait son temps pour se conformer à la Constitution du 18 février 2006, qui érige en provinces tous les districts, à l’exception du Bas-Congo (Kongo- Central), du Nord-Kivu et du Sud- Kivu, le Maniema et Kinshasa. Voilà qui est fait. Mais l’élection des nouveaux gouverneurs de province, annoncée pour le 26 août, a été reportée à octobre. En attendant, Business et Finances propose un zoom sur l’Ituri, une nouvelle province où les attributs de l’État s’érodent chaque jour. La monnaie est l’un des principaux attributs de la souveraineté d’un État. La République démocratique du Congo s’est engagée à abandonner, s’il le faut, une partie de sa souveraineté en vue de la consolidation de l’unité africaine. C’est constitutionnel. D’ailleurs, elle a décidé, avec les autres pays membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) de la création d’une monnaie commune régionale. Pour le moment, c’est le franc qui reste l’unique monnaie nationale. Mais dans l’extrême nord-est du pays, à Aru, Faradje, Mahagi… en Ituri, le plus petit (quelque 65 000 km²) mais aussi le plus peuplé (autour de 10 millions d’habitants ) de tous les quatre districts de la Province-Orientale érigés en provinces, de grandes transactions financières aux petits marchés de la pacotille, tout ou presque se fait en monnaie étrangère. Le franc n’est quasiment pas connu. Ce qui arrange les choses pour le shilling ougandais – à côté du roi dollar. Ici, la souveraineté nationale et internationale de la RDC ne tient plus, en réalité, qu’à l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Un principe qui aura, on le sait, perdu tout de sa sacralité. Et qui, bien au contraire, paraît désormais être un sacrilège contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’on n’en veut pour exemple que le Soudan du Sud, à quelques encablures de l’Ituri, qui s’est détaché de l’ensemble soudanais depuis le 9 juillet 2011 … avec son pétrole. En Ituri, particulièrement dans les grands centres d’affaires, Bunia, Kasenyi, Mahagi-Port, Faradje, Aru, tous les attributs de la souveraineté de l’État se conjuguent à l’étranger. Le commerce du café répond plus aux exigences du marché ougandais qu’à celles de l’Office national du café (ONC). L’or transite plutôt par Entebbe que Kinshasa pour les grandes places internationales dont Dubaï. Les produits pétroliers viennent du Kenya. Où les importateurs, des privés, semblent tout ignorer de la COHYDRO, dont la principale mission est d’approvisionner tout le pays en produits pétroliers. Selon les experts, voilà une province promue à une destinée de cocagne…koweitienne, mais soumise quasiment à jeun. La future province doit encore se contenter, pour sa survie, de rétrocessions dues aux Entités territoriales décentralisées (ETD), qui ne viennent qu’à compte-gouttes de Kisangani, chef-lieu de la Province-Orientale, situé à plus de 500 km de Bunia, capitale de l’Ituri. Pourtant, l’Ituri qui ouvre sur le lac Albert, a de l’or noir à l’image d’un émirat. Mais Kinshasa a toujours renvoyé aux calendes grecques son exploitation, alors que l’Ouganda, de son côté, est en pleine production avec le canadien Heritage Oil, l’irlandais Tullow… Pendant ce temps, en RDC, l’on assiste plutôt à un jeu de passe-passe des blocs pétroliers : H. Oil, Divine Inspiration, Tullow Oil, Capricat, Foxwhelp, Sud-Oil… En fin de compte, la justice internationale a dû interdire toute exploitation de l’or noir de l’Ituri, le temps de départager Tullow Oil qui s’estime roulé par l’État, alors qu’il a déjà investi des millions de dollars, au profit du consortium Capricat/Fox créé aux Îles Vierges, un paradis fiscal. Depuis, Dan Gertler, l’homme d’affaires israélien, a sauté sur le pactole. Mais en partie seulement. Dans l’entre-temps, la Chine, par exemple, a, elle seule, besoin de 10% du pétrole mondial et soutient, officiellement, que seul l’accès aux marchés africains lui permettrait de répondre à de tels besoins. L’Ituri a donc beaucoup d’argent à gagner. Mais c’est à Kinshasa que tout doit encore se décider en dépit de l’affranchissement de Kisangani. Par conséquent, en Ituri, il y a de la grogne, parfois de la fronde, par milices interposées, à l’instigation des acteurs politiques et des milieux d’affaires. D’aucuns pensent que, si jamais un référendum d’autodétermination venait à être proposé, une bonne frange de l’élite iturienne battrait campagne pour le « oui» qui, fort probablement, l’emporterait. Sur le plan international, l’on mûrirait déjà des réflexions sur le devenir de la région. La Chine compte aussi parmi les plus grands exportateurs d’armes et son soutien permet au régime de contourner les embargos décrétés par les Occidentaux. « Mais que se passera-t-il », s’ interroge la journaliste belge Colette Braeckman, « lorsque les Chinois s’estimeront en droit de protéger leurs investissements dans l’Est du Congo ? D’aucuns voient déjà le Kivu et l’Ituri comme l’épicentre d’une future confrontation historique entre les deux superpuissances, les États-Unis et la Chine ». Il y a près de cinquante ans, vers 1962, une tentative de création de la République de Kibali-Ituri, avec Jean-Foster Manzikala et consort avait été étouffée dans l’œuf.