Le « Petit Livre rouge » de la révolution microcapitaliste

La technologie bouleverse tout : nos façons de produire, de consommer, de travailler. Pour y faire face, il ne suffit pas de définir un cadre légal aux plates-formes internet : il faut tout revoir, en commençant par la Constitution. Un ouvrage de la pensée libérale disruptif et constructif.

«Un nouveau pacte social est à notre portée. Le voulons-nous ? » La conclusion est abrupte, la démonstration efficace. Beaucoup d’ouvrages se penchent sur les implications de la révolution technologique, du développement des plates-formes numériques, mais François-Xavier Oliveau pousse très loin la réflexion, en imaginant de A à Z un nouveau modèle politique, économique et social, partant du constat que celui hérité de l’après-guerre est en ruine.

La plus grande mutation de l’histoire du capitalisme

Le constat, croit-on initialement, est assez classique. On décrit le succès fulgurant de deux jeunes entrepreneurs qui imaginent en 2008 louer des chambres chez les particuliers avec un matelas pneumatique (« air bed ») et qui, neuf ans plus tard, proposent 2 millions de logements dans 190 pays, Airbnb déstabilisant les plus grands groupes hôteliers. Et l’on prévient le lecteur : « Nous n’avons encore rien vu  », eu égard aux bouleversements de l’intelligence artificielle ou de l’impression 3D.  La palette des métiers concernés par l’automatisation des tâches et la numérisation est sans précédent, du caissier de supermarché au trader qu’on licencie déjà à Wall Street.

Mais, au-delà, l’analyse s’attache à montrer les changements de paradigme en cours, qui font subir au capitalisme «  la plus grande mutation de son histoire  ». A son petit niveau, l’individu fait fructifier son capital et devient producteur – microcapitaliste – en faisant du covoiturage, en louant une place de parking inoccupée ou sa toiture pour des panneaux solaires. Les entreprises voient leur rôle d’intermédiaire se réduire, le salariat recule au profit du travail indépendant. L’individu reprend le pouvoir.

Société d’abondance inédite 

« Ironie de l’histoire, le microcapitalisme est une évolution presque marxiste du capitalisme », souligne l’auteur, ex-patron de PME et conseiller de dirigeants d’entreprise. Tout en prévenant aussitôt que l’économie dite « du partage » est en réalité ultracapitaliste : tout ou presque fait l’objet d’une transaction financière.

Le microcapitalisme se rapproche même de la concurrence pure et parfaite, au grand dam des entreprises. Et il doit nous conduire à une société d’abondance inédite, puisque jamais autant de travail et de capital n’auront été rendus disponibles, les progrès technologiques promettant aussi un avenir où l’on «  travaillera moins pour gagner plus  ». Paradoxalement, cette abondance et ce confort effraient. Car la crainte est forte de perdre son emploi, de voir son salaire baisser, cette révolution industrielle s’annonçant «  soustractive  » : elle nous permet de consommer les mêmes choses, mais moins cher. Le monde serait entré dans une phase de déflation structurelle, au risque de la décroissance.

Une vision libérale qui ne craint pas la décroissance

Alors, le microcapitalisme, un désastre ? Oui, en chaussant les lunettes classiques du raisonnement macroéconomique. Non, avec celles de l’auteur, pour qui cette révolution va permettre d’obtenir plus de biens et de services, moins chers, plus durables, en travaillant moins. Une vision libérale qui ne craint pas la décroissance, voilà qui fait bouger les lignes.

Le hic, c’est que notre système, construit pour une société de rareté, est totalement inadapté à la société d’abondance. Il faut dès lors établir un nouveau pacte social, et c’est l’objet de la deuxième partie, en repartant sur de nouvelles bases. Libérales, bien sûr, mais pas seulement. Les deux principes issus de notre Constitution qui doivent guider la démarche sont la liberté et la solidarité, dans une version maximaliste.

Exit le SMIC et les cotisations

Libre accès aux professions réglementées, liberté de contracter, liberté surtout pour l’entreprise : elle doit pouvoir organiser le travail selon ses besoins et être déchargée des mécanismes de solidarité : exit le SMIC, exit toutes les cotisations sociales ! C’est au salarié, dont la rémunération nette bondira, de choisir d’épargner pour sa retraite ou l’assurance-chômage.

Solidarité maximum en face : la nation doit garantir une série de droits : accès à la santé, à l’éducation, au logement, etc. Et, surtout, un  revenu universel d’existence, dans une logique non pas d’assistanat mais d’affranchissement (partiel) de la contrainte pécuniaire. Une sécurité indispensable dans une société microcapitaliste où les transitions professionnelles seront fréquentes, les incertitudes permanentes. L’individu doit être rendu libre de ses choix.

Révolution fiscale

Ce nouveau pacte social est-il infinançable ? L’auteur tord le cou à cette idée bien ancrée depuis les inquiétants chiffrages du revenu universel façon Benoît Hamon (qui s’additionnait à l’existant plus qu’il ne s’y substituait). La faisabilité est ici assurée par une autre révolution, fiscale cette fois, nos 360 taxes actuelles étant remplacées principalement par un impôt sur tous les revenus, quels qu’ils soient, au taux unique de 38 %. Autant de changements qui semblent irréalistes dans un pays irréformable ? La vraie utopie, répond François-Xavier Oliveau, serait de penser qu’on peut améliorer le système en posant de nouvelles rustines : « On ne répare pas un immeuble vétuste, on le rase et on le reconstruit. » Disruptif et constructif.