Le projet ZES peine à prendre ses marques

Depuis que la commune de Nsele, à Kinshasa, a été choisie comme site pilote pour l’implantation des infrastructures, on ne voit rien venir depuis 2011, année de sa mise en oeuvre. 

Germain Kambinga, ministre de l’Industrie.
Germain Kambinga, ministre de l’Industrie.

La visite du ministre de l’Industrie, Germain Kambinga, le 12 septembre, sur le site où sera implantée la Zone économique spéciale (ZES) à Nsele, à soixante kilomètres de la capitale, suscite des commentaires en sens divers dans les milieux des affaires. Pour les uns, c’est un signe que le projet, initié en 2008, va démarrer réellement. Pour d’autres, ce n’est rien de plus que de la poudre aux yeux. Sur ce site, on trouve actuellement une fabrique de fer à béton. Germain Kambinga s’y est rendu pour lancer les travaux de construction d’une usine de batteries pour automobiles. Mais beaucoup continuent de se demander si cette Zone économique spéciale (ZES) a été créée « rien que pour ça ».

Au ministère de l’Industrie où ce projet a été conçu avec le concours de la Société financière internationale,une filiale de la Banque mondiale, on affirme que la réalisation de la nouvelle ZES est en marche. Il est prévu d’implanter sur le site de Nsele des zones logistiques où seront traitées les marchandises (entrée et sortie) ; une zone franche (hors taxes et droits de douane), des parcs pour la transformation  industrielle et des zones de production agricole. On souligne aussi que les équipements (eau, électricité, infrastructures routières, de télécommunications, de santé, banque, etc.) nécessaires à la zone sont en cours de réalisation. Conçu pour les « synergies industrielles pérennes », rappelle-t-on, ce site-pilote propose de nombreuses opportunités de création au sein d’un environnement privilégié.

Gagnant-gagnant

Les promoteurs de l’initiative soulignent que l’entrepreneur y trouvera toutes les conditions d’une diversification réussie. Dans le concret, la RDC fournira les matières premières et la main-d’œuvre, tandis que l’entrepreneur créera l’outil et apportera sa technologie. Les produits qui y seront transformés seront en partie consommés en RDC et en partie exportés. Les groupes industriels, les petites et moyennes entreprises (PME), les petites et moyennes industries (PMI), les experts et les porteurs de projets sont invités à s’informer sur les modalités d’implantation auprès du ministère de l’Industrie car les accords sont conclus au cas par cas avec les structures définies par la nouvelle loi sur les ZES. Il s’agit d’un organe national de régulation des ZES, dénommé Agence des zones économiques spéciales (AZES). Elle a été créée en avril dernier un décret du Premier ministre, cosigné avec le ministre de l’Industrie. Outre l’AZES, un établissement public pour réguler les aménageurs et les gestionnaires des ZES, la loi prévoit également la création d’un Conseil technique des Zones économiques spéciales. Ce conseil sera composé de délégués des administrations concernées par la mise en œuvre des ZES. La loi sur les ZES a été votée en mai 2013. Pour la création effective des zones économiques spéciales, elle prévoit aussi la collaboration de l’AZES et du Conseil technique avec les opérateurs économiques nationaux ou étrangers ayant signé un contrat d’aménagement et de gestion de ZES ; ou avec les opérateurs ayant signé avec l’aménageur d’une ZES un contrat de gestion ou de maintien de certains éléments critiques du patrimoine immobilier de cette dernière. Les industries attendues dans les ZES sont l’agro-alimentaire, les matériaux de construction, les produits chimiques et pharmaceutiques, les bio-carburants, les pièces de rechange, les machines et outils agricoles, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les mines, le bois et dérivés, le pétrole.

Les critères d’évaluation

C’est au terme d’un processus d’évaluation que le site de Nsele a été retenu par le Comité de pilotage du ministère de l’Industrie comme une des ZES de la RDC en fonction de ses potentialités énormes en matière de production agricole et vivrière. Dans la conception du projet, la commune de Nsele, située dans l’hinterland est de la capitale, devrait servir de « site pilote » pour l’implantation des Zones économiques spéciales à travers le pays.  L’option avait été levée par le Comité de pilotage du ministère de l’Industrie au terme d’un processus d’évaluation des sites présélectionnés. L’évaluation a été faite sous la conduite d’un  expert de la Banque mondiale. Sur la liste des cinq sites présélectionnés, Nsele venait en tête devant Maluku (Kinshasa), Muanda et Matadi (Bas-Congo), Lubumbashi (Katanga). Les critères d’évaluation portaient notamment sur le tissu industriel, l’accessibilité et les connectivités des biens et des personnes aux conditions environnementales pour le bien-être. Dans le dossier technique de l’étude, le choix porté sur  NSele tient à sa conformité aux critères prédéfinis d’une ZES. Julien Galant, l’expert de la Banque mondiale avait noté que « N’Sele est, dans sa configuration, prédisposé à se muer en un espace économique viable et performant à l’instar d’autres ZES reconnues à travers le monde ». En précisant, par ailleurs, que « les investigations de terrain démontrent que Nsele offre plusieurs avantages, notamment une vaste étendue foncière de plus de trois mille hectares appartenant à l’État, l’accessibilité et la proximité avec l’axe de transport multimodal ». Pour cet expert, « la topographie est favorable à l’érection des bâtiments dans de bonnes conditions et en conformité avec le schéma directeur de développement de la ville de Kinshasa ».

Pour le ministère de l’Industrie, Nsele devrait s’orienter plus vers l’agro-industrie et l’agroforesterie comme l’avait recommandé au gouvernement son Comité de pilotage. Une étude de visibilité devrait être réalisée, suivie de la définition d’un schéma directeur de la mise en œuvre de la ZES qui devait commencer fin 2011. L’objectif visé par ce projet financé à hauteur de trois millions de dollars est de contribuer à l’amélioration du climat des affaires en RDC ainsi que de doter le pays de nouvelles infrastructures modernes et performantes. Le projet ZES, comme l’a expliqué Julien Galant, est « un programme transversal censé impliquer plusieurs services publics et des privés dans une optique de développement intégral d’une entité ». Pour lui, les Congolais doivent s’inspirer de l’exemple de Dubaï et de Hong Kong. Les entreprises qui s’implanteront dans les ZES seront exemptées de taxes pendant les dix premières années de leurs activités conformément au code des investissements. Le gouvernement a décidé de créer cinq zones économiques spéciales de 2012 à 2015. Auguy Bolanda, qui a dirigé la cellule d’appui à ce projet, rappelle que la deuxième ZES sera créée dans le Katanga (la Zone Sud autour de l’axe Kolwezi-Likasi-Lubumbashi-Sakania), la troisième vers Ilebo dans le Kasaï (Zone Centre autour de l’axe Ilebo-Tshikapa-Kananga-Mbuji-Mayi), la quatrième vers Kisangani (Zone Nord-Ouest autour de l’axe Kisangani-Bumba-Mbandaka) et la cinquième vers Uvira (Zone Est autour de l’axe Uvira-Bukavu-Goma-Butembo-Beni-Bunia). Tout ce qui va se faire à Nsele devrait être dupliqué dans les autres zones.

Priorité à l’agro-industrie

Pour le gouvernement, la priorité est à l’agro-industrie. Les entreprises œuvrant dans ce secteur seront les plus favorisées. Il est prévu que la ZES se concentre sur des activités agricoles tout en comprenant des installations multi-usages dédiées à la vente au détail, au commerce et à l’industrie. Les produits qui y seront transformés seront transportés par la route de la province du Bas-Congo et par voies navigables et par route du Bandundu et de l’Équateur. Une ZES est généralement créée pour attirer les investisseurs, notamment à travers des lois économiques plus flexibles que celles appliquées en dehors d’elle.

C’est à la demande du gouvernement de la RDC que la Société financière internationale développe un programme d’assistance technique pour l’implantation de la ZES pilote. L’objectif principal est de redynamiser le secteur privé et la création d’emplois. La ZES de Nsele s’étend sur une superficie de 190 hectares destinés à accueillir près 120 à 180 entreprises sur une période de dix ans. Cette zone réunit deux quartiers dont Mangengenge et Monaco et trois sous- quartiers dont Village Maes, Inkiene et Camp Yaye. Une commission ad hoc évalue les concessions à délocaliser de ce site. Sur la base du Plan d’action de réinstallation (PAR) qui a été rendu public par la Banque mondiale, 58 ménages (545 personnes) seront réinstallés et les titulaires de concessions foncières indemnisés.

La question de l’acquisition des terres

Dans la majorité des cas, les acquéreurs des terres, comme c’est le cas en Inde ou en Chine, promettent monts et merveilles aux agriculteurs, en matière d’emploi, par exemple. Dans la réalité, cependant, étant donné les lacunes en matière d’éducation dans les zones rurales, les possibilités de reconversion se révèlent quasi-nulles, et les emplois créés dans le cadre des nouvelles ZES attirent surtout les jeunes citadins, mieux formés.

On assiste ainsi à une acquisition forcée directement et indirectement des terres pour constituer les ZES. Dans le cas de la RDC, l’option choisie est celle d’associer la communauté locale dans le processus d’expropriation  avec, pour objectif, l’indemnisation des occupants des terres susceptibles de faire partie de la zone, a été préférée à celle de considérer l’État propriétaire du sol et du sous-sol auxquels il a accès à tout moment.