Le site web du ministère du Budget serait truffé de faux chiffres

Alors que la polémique est repartie de plus belle sur les dépenses outrées des institutions politiques, voilà que la publication des états de suivi budgétaire mensuels est mise en veilleuse au motif que le portail a été piraté.

SELON une information non encore confirmée, des ministres du cabinet Tshibala auraient touché 90 000 dollars d’indemnités de sortie, en plus des autres avantages matériels. Selon les mêmes sources, des commandes de véhicules pour les mêmes ministres auraient été passées en dépit de l’imminence de la formation du nouveau gouvernement qui sera dirigé par Sylvestre Ilunga Ilunkamba. S’agit-il des fake news ou infox montés de bric et de broc ? L’ONG de défense des droits humains Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) est pointée du doigt, accusée « de méprise et de mauvaise foi », par Pierre Kangudia Mbayi, le ministre d’État, ministre du Budget.

Le ministère du Budget qui publie chaque mois les chiffres sur les dépenses publiques, a, à brûle-pourpoint, cessé toute publication sur la Toile. Motif : son site a été piraté. Par qui ? Des hackers y auraient même introduit des données fallacieuses à telle enseigne que le ministère du Budget déconseille à quiconque de s’y attarder au risque de se faire piquer ses données personnelles. D’ailleurs, l’ACAJ que dirige l’avocat Georges Kapambia, fonde « ses dénonciations » sur des informations à lui fournies par « des fonctionnaires crédibles ». Par contre, le ministère du Budget n’a même pas indiqué quand son site sera opérationnel dans sa note d’avertissement à l’opinion publique qui barre le mur d’accueil du site. 

Toutefois, selon des informations collectées notamment auprès des secrétariats généraux des ministères et du régulateur des marchés publics, Business & Finances affirme, avec certitude, que le gouvernement Tshibala a bel et bien continué à effectuer des commandes de véhicules au lendemain des élections de fin décembre 2018, alors qu’il était censé expédier les affaires courantes et ne limiter ses dépenses qu’aux actions prioritaires et indispensables à la bonne marche de l’État.

Des dépenses démesurées  

Il est renseigné, par exemple, que le ministre du Budget sortant a passé commande de 8 véhicules 4×4 à Central Motors pour 395 996,5 dollars. Autre commande : Oly Ilunga, le ministre de la Santé publique a commandé 56 pneus à CFAO Motors  pour une valeur 17 605,08 dollars. « Un marché qu’on aurait dû accorder à une PME congolaise », regrette José Ebondja, activiste de la société civile. Et foi de ce vendeur, sur la Place Kimpwanza à Kasa-Vubu, le ministère de la Santé publique pouvait obtenir ce lot de pneus à un prix deux à trois fois moins cher… 

Les dépenses de l’État courant 2018 doivent au préalable faire l’objet de reddition des comptes au Parlement avant l’examen de la loi de finances 2020. Mais des bribes d’infos provenant du ministère du Budget indiquent des dépassements gargantuesques notamment à la primature et dans les ministères élevés en vice-primature en 2018. Le pays a obtenu 28 % dans la transparence budgétaire d’Open Budget Index (OBI) ou Indice du Budget Ouvert (IBO), soit la note de 84 sur 300 sur le degré de transparence budgétaire.  OBI classe, tous les deux ans, les États (109 pays pour le moment) selon leurs degrés de transparence budgétaire. C’est une évaluation qui repose sur des critères des organisations multilatérales (International Budget Partnership, OCDE, Initiative mondiale pour la transparence fiscale, FMI et Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle…). Le but est de jauger la transparence et l’exhaustivité des budgets de ces États en vue de susciter en leur sein « les meilleures pratiques budgétaires », qui feraient, par exemple, que les citoyens, en plus d’être mieux informés sur le budget, participent aussi à toutes les phases du processus budgétaire, par des mécanismes appropriés. 

Les résultats de l’enquête sont publiés et divulgués au cours de plusieurs événements, appelés « Lancement », tant aux niveaux mondial, régional qu’au niveau national, en présence des autorités gouvernementales et du public. Le Lancement des résultats de l’IBO 2017 pour la RDC a été organisé à Kinshasa. Trois éléments ont, en effet, été évalués : la transparence, la participation du public et le contrôle budgétaire.  Transparence

Sur le classement, la RDC est le bon dernier de 109 États dont le budget 2017 a fait l’objet de l’enquête : 29 sur 100, au regard de la moyenne mondiale de 42 sur 100. Les indicateurs de transparence évaluent la mesure dans laquelle le gouvernement central met à la disposition du public les huit documents budgétaires clés en ligne en temps opportun et si ces documents présentent les données budgétaires de manière exhaustive et utile. Les huit documents clés  dont question sont la déclaration préalable au budget, le projet du budget ou projet de loi de finances, le budget citoyen, le budget promulgué ou loi de finances promulguée, les rapports en cours d’année (mensuels et trimestriels), le rapport semestriel, le rapport de fin d’année ou rapport annuel ainsi que le rapport d’audit sur le budget ou la loi de finances. 

Depuis 2015, la RDC a diminué la quantité d’informations budgétaires qu’elle met à la disposition du public. Le pays a, en effet, réduit la quantité d’informations présentées dans le projet de budget de l’exécutif. Par ailleurs, la RDC a produit une revue de milieu d’année, sans pour autant la rendre publique en temps opportun. Par contre, le gouvernement n’a jamais publié le rapport d’audit sur le budget 2017. Les différents rapports de cours d’année sont totalement bâclés, ils ne contiennent même pas d’informations budgétaires minimales.  En ce qui concerne la transparence, le score de la RDC est davantage médiocre : 9 sur 100. Pour mesurer la participation du public, note le Réseau gouvernance économique et démocratie (REGED), une organisation de la société civile,  l’enquête OBI sur le budget porte sur les mécanismes à travers lesquels le gouvernement traduit sa volonté d’associer la population au processus budgétaire. 

Ces opportunités doivent être proposées tout au long du cycle budgétaire par le corps exécutif, le corps législatif et l’institution supérieure de contrôle, en l’occurrence, la Cour des comptes. OBI examine le rôle que jouent les assemblées législatives, l’Assemblée nationale et le Sénat, les institutions supérieures de contrôle et les institutions financières indépendantes dans le processus budgétaire et les mécanismes à travers lesquels les institutions précitées assurent un contrôle efficace du budget. Les limiers d’OBI accordent ainsi la note de 46 sur 100 à la RDC au motif que les deux chambres du Parlement n’ont exercé qu’un contrôle limité et faible pendant le cycle budgétaire, tant durant la phase de planification du cycle budgétaire que pendant la phase de mise en œuvre du cycle budgétaire.  

Il est, par ailleurs, reproché à l’Assemblée et au Sénat de la RDC ne pas organiser de débat sur la politique budgétaire préalablement à la présentation du projet de budget par le gouvernement. Les commissions parlementaires en charge du  budget sont accusées de refuser de publier en ligne leurs  rapports sur le projet de budget de l’exécutif. Par ailleurs, la Cour des comptes n’assure qu’un contrôle budgétaire partiel alors qu’en vertu de la loi, elle dispose de toute latitude pour procéder à des audits comme elle l’entend.