Le temps de travail, un vrai sujet de débat social en Europe

Le terme paraît trompeur. S’il mobilise souvent au cours de conflits ou de controverses, il désigne en réalité la « durée reconnue de l’emploi », plutôt que celle de travail.

De quel temps parle-t-on? Les estimations statistiques excluent le travail domestique, qui regroupe pourtant un nombre d’heures supérieur au travail salarié en France. Les femmes à temps partiel, sujettes à une division inégale des tâches domestiques ou à une situation monoparentale, passent toujours plus de temps en travail domestique qu’en travail salarié. En outre, le temps de travail réduit la notion de « temps » à la seule durée, laissant de côté d’autres dimensions temporelles (horaires, rythme, prévisibilité…).

De plus, il est aveugle au contenu effectif des tâches. Par exemple, dans les années 2000, certaines industries ont augmenté le nombre de secondes effectives de travail accompli par minute. Une réduction du temps d’emploi peut donc s’accompagner d’une intensification de l’activité… c’est-à-dire une hausse du temps de travail. Le nombre d’heures non-déclarées ou non-comptées (comme pour les cadres supérieurs salariés payés à la journée et non à l’heure) achèvent de brouiller les pistes lorsque l’on tente d’identifier les durées d’emploi réelles.

La durée d’emploi ne doit pas non plus faire oublier la qualité d’emploi. À ce titre, on assiste depuis une décennie à la montée des horaires « atypiques », c’est-à-dire qui ne correspondent pas à la norme d’emploi à plein temps et en semaine. Le travail le dimanche et le temps partiel, par exemple, sont en croissance sur le continent européen.

Une baisse généralisée

Quoiqu’il en soit, une fois ces précautions d’usage prises, la durée d’emploi a baissé dans tous les pays industrialisés depuis le début du siècle, sans exception. Depuis 1950, pour des pays comme les États-Unis, le Japon, l’Allemagne ou la France, la diminution avoisine 25 %. Cette baisse tendancielle s’explique par des évolutions de la durée d’emploi au niveau journalier ou hebdomadaire (un temps de travail légal ou conventionnel, selon les pays), mais aussi annuelle (les congés payés) et tout au long de la vie (selon l’âge d’entrée et de sortie du marché du travail). Néanmoins, il y a une corrélation solide entre les durées quotidiennes, hebdomadaires et annuelles passées en emploi: les trois évoluent le plus souvent de concert. Il est toutefois notable que la variation des durées d’emploi n’est que rarement corrélée à l’évolution de la productivité. Il ne s’agit pas d’un processus mécanique, qui serait tiré par des évolutions technologiques, mais bien plutôt de conflits sociaux qui trouvent leur résolution par l’application conventionnelle des revendications salariées ou par des législations favorables.

Le temps passé en emploi, en heures par an (échelle verticale). Source: OCDE. L’Allemagne est à l’avant-garde de sa réduction. Globalement, depuis le milieu des années 1990, deux groupes de pays peuvent être distingués en Europe. Dans le premier, qui regroupe notamment le Royaume-Uni, la Grèce et le Portugal, la durée d’emploi s’est légèrement accrue dans les années 1990-2000 avant de retomber. Dans le second, qui regroupe les pays du cœur de l’Europe et de Scandinavie, la durée d’emploi n’a cessé de diminuer. La manière dont cette réduction s’est opérée varie. En France, elle a eu lieu via la législation sur les 35 heures hebdomadaires, qui a créé plusieurs centaines de milliers d’emplois –malgré des possibilités importantes d’accommodements à l’époque– et est progressivement détricotée depuis.

En Allemagne, c’est plutôt un effet de composition qui est à l’œuvre, c’est-à-dire l’adoption d’emplois à temps partiel par les nouveaux entrants sur le marché du travail ou les chômeurs en reprise d’emploi. Cette dynamique divergente est entretenue par des écarts importants entre pays européens à deux niveaux. D’abord, l’ampleur du secteur à temps partiel oppose des pays comme les Pays-Bas (39 % de salariat à temps partiel, dont 75 % des salariées) et les pays baltes (moins de 10 % de salariat à temps partiel). Derrière la durée d’emploi moyenne se cachent des réalités très différentes entre salariés et salariées. Le temps partiel lui-même peut inclure des réalités très différentes, puisque les personnes salariées à temps partiel en Allemagne travaillent 19 heures par semaine en moyenne, contre 24 heures pour leurs homologues en Suède.