Le tissu wax, l’emblème d’une génération pop, porté à l’écran

 Dans un documentaire télé diffusé sur Paris Première, Elie Séonnet retrace l’ascension du célèbre tissu et explique les différents enjeux, culturels, économiques et politiques, qu’il suscite.

Selon Pierre Lepidi de Le Monde, s’il y a toujours une touche d’Afrique sur les podiums des fashion weeks aujourd’hui, c’est grâce au wax. « Dénigré il y a une dizaine d’années, ce tissu aux innombrables motifs vitaminés – avec des profils de Giscard, Mobutu ou Obama, selon les époques, ou des nuances tribales – est devenu l’emblème pop d’une génération », écrit-il. Son article est inspiré par le documentaire intitulé Wax in the City, du réalisateur Elie Séonnet qui retrace l’ascension de ce célèbre tissu et explique les enjeux, culturels, économiques et politiques, dont il fait l’objet depuis des époques.

RDC oubliée dans le tournage

Pierre Lepidi note que « de Beyoncé à Nicki Minaj en passant par les clientes de Monoprix, tout le monde s’arrache le wax ». Et de s’interroger : « Mais l’Afrique en profite-t-elle vraiment ? » Le documentaire, tourné au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Bénin, mais aussi à Paris et aux Pays-Bas, donne la parole aux différents acteurs de la mode, des créateurs aux tisseuses traditionnelles en passant par les stylistes et les tailleurs de quartier. Curieux tout de même de constater que la République démocratique du Congo a été oubliée pendant le tournage, alors que ce pays est un grand consommateur de tissu Wax dans toutes ses versions (wax hollandais, super wax…). 

« L’engouement est tel aujourd’hui que des marques africaines ou afropolitaines se sont développées comme Maison Château Rouge, Nash Prints It et Elie Kuame Couture », poursuit Lepidi.

À la tête de chacune d’elles, on trouve une jeunesse qui assume ses origines et n’entend pas faire de compromis. « Il y a quinze ans, les créateurs africains étaient très instinctifs, toujours dans l’inspiration et dans l’art, analyse Adama Ndiaye, styliste et fondatrice de la Dakar Fashion Week en 2002. Aujourd’hui, on est dans le business, le marketing… 

Mais par rapport au wax, je reste mitigée. » Car le tissu bariolé est tellement associé à l’Afrique qu’on en oublie qu’il est hollandais, apporté par des colonisateurs en Indonésie. Aujourd’hui, le coton enduit d’une fine couche de cire avant d’être froissé est conçu à Helmond, siège de la célèbre marque Vlisco aux Pays-Bas, avant de rejoindre notamment Dantokpa, l’immense marché de Cotonou.

Dans les échoppes de la capitale économique du Bénin, les rues poussiéreuses du Mali ou sur une plage de Dakar, le documentaire restitue l’ambiance des villes africaines. Des images soignées ponctuent les séquences, rythmées par les entretiens et les déplacements de Flora Coquerel, Miss France 2014 et présentatrice inspirée de ce documentaire aussi vivifiant qu’un pagne en wax.

Un prestige acquis au fil des ans

Le wax (de l’anglais wax signifiant cire) est également appelé « tissu africain ». Techniquement parlant, c’est un textile de coton ayant reçu sur les deux faces un cirage qui lui donne des propriétés hydrophobes, une technique inspirée de celle utilisée pour produire le batik javanais. Le tissu wax est très en vogue en Afrique subsaharienne, où il sert à confectionner de nombreux habits, dont les pagnes. Selon son origine, le wax est dit « hollandais », « anglais », « africain » ou « chinois ».

L’histoire du wax remonte au XIXe siècle. Il plaît énormément aux Ashantis (Ghana) au point que les Européens voient dans cet engouement un moyen de commercer pacifiquement avec ces peuples guerriers. Des usines, s’inspirant de la technique du batik javanais, sont installées, d’abord en Grande-Bretagne. 

Les Hollandais récupèrent l’idée et le nom, perfectionnent la technique, et lancèrent un commerce transcontinental. Pour les Britanniques comme pour les Hollandais, il fallait inonder le marché indonésien de batiks produits plus vite et à faible coût, mais les Indonésiens boudaient les productions européennes. Puis, les industriels européens se tournèrent vers le Ghana (Côte-de-l’Or). 

Le commerce du wax s’organisa alors autour d’un marché « de substitution » alimenté par les navires néerlandais en route pour les Indes orientales. L’entreprise Van Vlissingen & Co. (aujourd’hui Vlisco) envoya à l’époque des représentants au port de relâche d’Elimina, où se vendent les tissus, pour mieux cerner les attentes des clientes. En 2015, le wax est célébré comme un summum de la mode à travers le monde, porté par des fashionistas comme Lady Gaga ou Rihanna, utilisé par des modistes comme Burberry, Mary Katrantzou ou Agnès B… L’Afrique a aussi développé son industrie du wax, d’abord au Ghana. Ensuite au Bénin avec la Société dahoméenne de textile (SODATEX devenue Société béninoise de textile SOBETEX produisant le chigan comparable au wax hollandais, le védomè et le chivi), en Côte d’Ivoire avec UNIWAX rachetée par Vlisco, au Niger avec Sonitextile devenue Enitex, au Sénégal avec SOTIBA et SIMPAFRIC… Le tissu wax est un véritable phénomène social. Au Togo, le commerce du wax était réservé à quelques familles qui s’enrichirent vite. Les femmes les plus en vue dans ce commerce étaient appelées « Nanas Benz », allusion à la marque allemande à étoile dont elles raffolaient des voitures. 

En RDC, la légende du tissu wax est liée à celle des femmes vendeuses du Marché-Central réunies au sein de l’association « Moziki Cent kilos » ou de l’Association des femmes commerçantes du Zaïre (AFECOZA). Aujourd’hui, on continue à demander le wax hollandais ou le super wax (100 dollars) dans la dot.

En Afrique, les motifs sont très variés et constituent même un véritable langage pour les femmes : « Mon mari est capable », « Tu sors, je sors », « L’œil de ma rivale », « Genito », « Collier de Thérèse » ou « Ongles de Thérèse », allusion à Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, « Le sac de Michelle Obama » et « Les chaussures de Michelle Obama »…