Le volume des exonérations accroît vertigineusement

En 2019, sept milliards de dollars de profits seront rapatriés à l’étranger alors que le projet de budget national adopté à l’Assemblée nationale pique son nez à environ 5,6 milliards de dollars. En accordant les exonérations par ci par là, l’État espérait favoriser le développement durable. 

SELON certains experts de la douane, les effets escomptés ne sont guère perceptibles malgré la plupart des lois (code minier, code des investissements…) qui consacrent des régimes douaniers et fiscaux de faveur depuis plus de 10 ans. On rappelle que le gouvernement a instauré un dispositif d’incitations fiscales visant à attirer les investissements directs étrangers (IDE), censés soutenir l’industrialisation, comme cela se pratique dans de nombreux pays en voie de développement.

Tout un arsenal juridique d’exonérations a été donc mis en place. Mais la diversité de ces mesures rend difficile la compréhension des objectifs précis qui ont sous-tendu leur instauration, expliquent ces experts. En 2015, par exemple, le professeur Stefaan Marysse a démontré que, depuis 2013, les profits rapatriés vers les sièges des multinationales opérant en République démocratique du Congo ont excédé les entrées de capitaux. 

En se fondant sur les données du Fonds monétaire international (FMI), ce chercheur a estimé qu’en 2019 les profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois plus importants que les entrées d’IDE, avec « deux milliards de dollars d’entrées et sept milliards de profits rapatriés ». En comparaison, le budget national en 2017 et 2018 sont d’environ 5 milliards de dollars. 

Pour la Direction générale des douanes et accises (DGDA), les montants des exonérations représentent un « énorme manque à gagner pour le pays en matière de recettes pouvant être réinvesties pour soutenir l’industrialisation ». On déplore que les exonérations qui sont l’exception dans les régimes fiscaux et douaniers soient devenues la norme. La DGDA exhorte donc l’exécutif à intervenir pour y mettre l’ordre.

En effet, la douane déplore l’accroissement vertigineux du volume des exonérations dont le tonnage est passé de 389 090 au premier semestre 2017 à 512 524 pour la même période en 2018. La DGDA n’indique pas cependant le tonnage total des produits qu’elle a traités de janvier à juin. Toutefois, selon le Bulletin d’informations statistiques daté de septembre 2018 de la Banque centrale du Congo (BCC), quelque 738 826 t de marchandises ont été traitées au premier semestre 2018 au port de Matadi. 

La DGDA déplore par ailleurs « l’immixtion dans les opérations de dédouanement des services non habilités à prester aux frontières », lit-on dans le rapport du gouvernement sur l’exécution de la loi de finances publiques 2018 à fin 2018. Les recettes des douanes et accises mobilisées au premier semestre 2018 se chiffrent à 836.8 milliards de FC. Comparées aux prévisions de ladite période qui sont de 1 275.2 milliards de FC, ces recettes n’enregistrent qu’un taux de réalisation de 65.6 %. 

Contreperformances

Les recettes des impôts généraux sur les biens et services n’ont été captées qu’à hauteur de 40 %, celles des droits de douane et autres droits à l’importation à près de 32 % et 0,6 % pour ce qui est des taxes à l’exportation ainsi que des amendes et pénalités. D’après la DGDA, ces contreperformances résultent non seulement de la politique d’exonérations  poursuivie par le gouvernement mais aussi de « la porosité des frontières à la base de la fraude douanière, l’insécurité récurrente et le mauvais état de routes dans l’Est du pays ». 

Le gouvernement a levé l’option de céder aux privés la réhabilitation et la gestion sur une certaine période de différentes routes. Toutefois, la DGDA déplore pratiquement sa mise à l’écart sur des produits pétroliers. Jusqu’à fin juin, la douane n’avait pas encore perçu le moindre franc sur le stock de sécurité émargeant dans la structure des prix des produits pétroliers comme droits d’accises. Pour 2019, la douane table sur des recettes 45 990 229,78 dollars de droits de douane sur les produits pétroliers.

Contrebande du carburant 

Mais, voilà trois ans que la douane se plaint de la « contrebande massive du carburant » dans l’Est. Différentes stations-services de la province de l’Ituri, particulièrement à Bunia, opèrent avec des produits pétroliers de la contrebande sous couvert de la société I and I, selon la DGDA. Deo Rugwiza, le directeur général, avait déjà pointé du doigt sur cette entreprise  qui se nomme en réalité Ingenieria et innovazione, basée en Ituri. D’après lui, cette entreprise fait entrer des camions citernes de carburant importé de l’étranger, sans rien payer à l’État. L’entreprise italienne a toujours balayé d’un revers de la main ces accusations. 

En Ituri, la principale activité de I and I consiste à la location des engins lourds de génie civil. « C’est depuis longtemps que nous dénonçons le comportement de cette entreprise qui veut faire passer ses produits, sans les déclarer et rien payer. S’ils avaient une exonération, ils allaient la présenter, or, ils n’en ont pas du tout »,  s’est offusqué Deo Rugwiza. Selon la presse locale, à Bunia, plusieurs services étatiques ont indiqué que la contrebande des produits pétroliers  se  pratique à grande échelle depuis fin 2015. 

Mais  le cas le plus flagrant s’est produit le 14 août 2016 quand des  hommes armés ont fait irruption dans les locaux de la douane et ont sorti de force une trentaine de camions citernes. Quarante-huit heures plus tard, ils récidivaient en arrachant aux douaniers  neuf autres camions chargés de carburant. À mi-2016, la DGDA accusait un manque à gagner de plus 21 millions de dollars du fait de la contrebande pétrolière attribuée à I and I. 

De toutes les régies financières, la DGDA a été la moins performante dans la maximisation des recettes de l’État au premier trimestre 2018, renseigne la BCC. La douane se heurte à des filières des contrebandiers jouissant des ramifications solides dans l’appareil administratif de l’État, fustige-t-on à la DGDA. 

Henri Yav Mulang, le ministre des Finances, avait rassuré d’armer la douane d’un arsenal de textes réglementaires, de décrets, d’arrêtés interministériels et ministériels ainsi que de circulaires ayant pour effet d’assainir l’environnement aux postes frontaliers. Mais dans la pratique, beaucoup d’efforts doivent être fournis pour que ces dispositions produisent les effets attendus sur terrain, particulièrement dans les postes frontaliers de l’Est (Mahagi, Kasindi…) où, bien souvent, selon les propres dires du directeur général de la DGDA, sortent et entrent des camions remplis de diverses marchandises sous escorte des éléments lourdement armés. La non application de l’ordre opérationnel limitant à quatre, le nombre des services pouvant intervenir aux postes frontaliers a une incidence négative sur les recettes des services de douane, d’après la DGDA.