L’élite nigériane, un marché alléchant pour la mode et le luxe à Lagos

PIUS UTOMI EKPEI [AFP]
PIUS UTOMI EKPEI [AFP]
LAGOS, Il est à peine 10 heures du matin et trois Nigérianes élégantes se sont donné rendez-vous pour admirer les dernières créations des stylistes locaux en vogue tout en sirotant une bouteille de champagne rosé et en dégustant des cupcakes.

Nous ne sommes pas à New-York ni à Milan mais bien à Lagos, chez Temple Muse, une adresse d’initiés, cachée derrière un grand portail métallique, dans le quartier chic de Victoria Island.

Les fondateurs de Temple Muse, Avinash et Kabir Wadhwani, sont deux frères d’origine indienne avec une solide expérience à l’étranger: l’un a été acheteur pour le grand magasin londonien Selfridges, et l’autre travaillait dans le marketing chez Publicis. Ils ont décidé de revenir s’installer au Nigeria où ils ont grandi.

“J’ai trouvé une niche dans le marché (nigérian)”, explique Avinash Wadhwani. Celle des millionnaires du pétrole, des industriels et des Nigérians proches des sphères du pouvoir.

Parmi les quelque 15 millions d’habitants de Lagos, capitale économique du premier producteur d’or noir d’Afrique, la grande majorité vit encore sous le seuil de pauvreté. Mais il existe aussi une minorité très fortunée qui a pris l’habitude de faire son shopping à l’étranger.

“Certains Nigérians prennent l’avion tous les 15 jours et ils font leurs courses dans les plus belles boutiques du globe. Mais ils ont quand même une certaine fierté et tout le monde aime porter des vêtements qui incarnent sa propre culture”, estime Avinash Wadwhani.

C’est à eux que s’adresse le concept-store de luxe, qui propose une sélection de vêtements de créateurs nigérians triés sur le volet, présentés aux côtés de grandes marques internationales comme Givenchy ou l’italien Emilio Pucci.

Parmi les créations locales, on y déniche les somptueuses robes cousues de perles de Lanre Da Silva Ajayi, les blouses vaporeuses et romantiques de Tiffany Amber, les vestes d’Ituen Basi, savant mix de plusieurs motifs de pagnes. Des pièces dont le prix peut atteindre des sommes astronomiques — on arrive facilement à 3.000 dollars.

“Il y a plus de couleurs dans les pièces que j’achète ici (au Nigeria), ça vibre”, confie Odun Ogunbiyi, une cliente nigériane qui va souvent à Miami et à Londres.

Forts de leur succès local croissant, et mis en valeur par une fashion week organisée chaque année à Lagos par le magazine de mode Arise, les stylistes nigérians sont aujourd’hui présents sur les podiums de toutes les grandes capitales de la mode.

“Je pense qu’aujourd’hui, les stylistes (nigérians) sont pris plus au sérieux (…) parce que le monde s’intéresse maintenant aux marchés émergents, dont l’Afrique fait partie”, pense M. Wadwhani.

 

Des polos à 500 dollars

 

La première dame des Etats-Unis Michelle Obama en est l’une des meilleures ambassadrices: après avoir porté des robes du styliste nigérian Duro Olowu, elle a revêtu récemment, en Afrique du Sud, une blouse de Maki Oh, une autre marque nigériane en plein essor.

Tiffany Amber, fondée en 1998, est la plus ancienne marque de prêt-à-porter nigériane. Folake Folarin Coker, la créatrice derrière cette enseigne, dit regarder plus en direction de l’Afrique que vers l’Europe.

“Les marchés européen et américain sont saturés et ils ont déjà des marques fabuleuses, alors que l’Afrique est encore inexploitée”, estime-t-elle. De plus, “je ne pense pas que qui que ce soit puisse habiller une Africaine mieux qu’une Africaine”.

Tiffany Amber, qui a quatre magasins au Nigeria, est déjà présente au Ghana et en Afrique du Sud. Et elle s’apprête à ouvrir sa première boutique à Luanda, en Angola, autre géant pétrolier.

Folake Folarin Coker n’est pas la seule à vouloir parier sur l’Afrique. Ermenegildo Zegna, numéro un mondial du prêt-à-porter haut de gamme pour hommes, a choisi Lagos pour ouvrir sa première franchise en Afrique sub-saharienne.

Gildo Zegna, le patron de la marque italienne, a déclaré au quotidien britannique Financial Times que les 2.000 clients africains que comptent déjà ses boutiques européennes dépensent en moyenne 50% de plus que le reste de ses clients.

Tope Edu, la directrice du magasin, confie que sept années se sont écoulées entre le moment où elle a pris contact avec Gildo Zegna et l’ouverture de la franchise nigériane.

Il y a “la bureaucratie, la lenteur par rapport aux pays occidentaux”, dit-elle. Et puis les coûts de fonctionnement ont déjà dissuadé plus d’un investisseur étranger. Les pannes d’électricité quotidiennes, notamment, obligent à investir dans de couteux générateurs et à en assurer la maintenance.

Mais le marché en vaut la peine. Quelques semaines après l’ouverture, les polos à près de 500 dollars se vendent comme des petits pains, selon Mme Edu.

Et pour les costumes sur mesure, les Nigérians ont tendance à bouder les moins chers, à 3.000 dollars, pour choisir des tissus plus luxueux, explique-t-elle.

La boutique flambant neuve est située sur une grande artère qui relie Victoria Island à Ikoyi, les deux zones où se concentre l’activité économique et où vivent les plus fortunés.

“Je peux vous dire que d’ici 4 ans, cette rue sera une succession de marques internationales, et ça aura commencé avec Zegna” promet Tope Edu.