Léon de Saint Moulin mérite les hommages de la République

Les obsèques du père jésuite sont prévues à la fin de cette semaine. Aux quatre coins du monde, l’émotion est encore vive, après l’annonce de sa mort le 24 octobre, et les hommages de ceux qui l’ont connu comme prêtre et enseignant dans le supérieur parviennent des quatre coins du monde, à la pelle.

CEUX qui ont connu le missionnaire jésuite Léon de Saint Moulin, disent avoir reçu la nouvelle de sa mort comme un coup de massue sur la tête. Depuis le mercredi 24 octobre, les témoignages fusent de partout. En effet, le père de la congrégation des jésuites fait partie du cercle très fermé des rares missionnaires belges qui auront marqué d’une empreinte indélébile les esprits des Congolais… On peut citer : Mgr Luc Gillon, le père Raphaël de la Kethulle de Rhyove, le père Joseph de Laet (père Buffalo). Des hommes aux qualités exceptionnelles parce qu’en eux, vraiment en eux, il y avait deux choses essentielles : l’âme ou l’esprit de bâtisseur et le don de soi.

Il appartient à la RDC

Bâtisseur et fondateur de Lovanium en 1954, devenu Université de Kinshasa (UNIKIN), Mgr Luc Gillon est pour l’élite universitaire congolaise un « homme de cœur et de contact ». Un buste en bronze devant le bâtiment administratif de l’UNIKIN lui a été dédié, grâce à l’appui de l’Association des anciens de Lovanium – UNAZA – UNIKIN. Aux générations présentes et futures, ce monument rappelle le dévouement au travail, le courage, l’intelligence remarquable et le talent de Mgr Luc Gillon. Le prélat catholique a construit cette université avec les contributions des bailleurs de fonds. Décédé en 1998, il a laissé en héritage un ouvrage : « Servir en acte et en vérité ». Pour Mgr Maurice Plevoets, « ce fut un homme qui militait pour la formation d’une élite intellectuelle congolaise solide. Et pour cela, il recrutait des enseignants d’une grande qualité pédagogique ».

Raphaël de la Kethulle de Ryhove est mort en 1956. Prêtre missionnaire des Scheuts, c’est un père dans tous les sens du terme. « Tata » (papa en lingala) Raphaël est entré dans l’histoire de notre pays comme le bâtisseur d’écoles et de stades mais aussi comme fondateur d’associations culturelles et sportives à Kinshasa de 1917 à 1954. À la demande insistante de la population de Léopoldville, sa dépouille a été rapatriée dans la capitale congolaise pour y être ensevelie dans la cour du stade qui porte son nom.

Quant à Joseph de Laet, lui aussi missionnaire de la congrégation des Scheuts, affectueusement appelé « père Buffalo » par les Kinois est mort en 2009. Arrivé à Léopoldville dans les années 50, il a marqué les jeunes des communes de Matete, Ngiri-Ngiri et Kinshasa à travers les activités de la jeunesse ouvrière catholique (JOC) mais surtout de réinsertion des jeunes désœuvrés. Mobutu Sese Seko, le président de la République de l’époque le chargea d’ouvrir un centre des jeunes délinquants pour les initier aux métiers à Ubundu dans l’actuelle province de la Tshopo. Puis, Mgr Matondo kwa Nzambi lui confiera la gestion d’une fondation caritative à Basankusu dans l’Équateur.

Comme Mgr Luc Gillon, comme Tata Raphaël de la Kethulle, comme père Buffalo, Léon de Saint Moulin n’appartient ni à sa famille ni à sa congrégation, la Compagnie de Jésus, mais à la République démocratique du Congo. Que ses obsèques soient organisées à Kinshasa, cela réjouit déjà tous ceux qui l’ont connu comme prêtre et enseignant dans le supérieur. Il nous revient à l’esprit que selon la sagesse africaine, la mort de quelqu’un n’est jamais une affaire privée. Surtout lorsque, à l’instar de Léon de Saint Moulin, celui que l’on déplore la perte ne s’appartenait plus. 

Respect à tout jamais !

C’est toute la RDC qui, aujourd’hui, porte le deuil. L’Église catholique vit dans sa chair cette douleur, certes. Mais les cathos doivent savoir que l’esprit de l’illustre disparu plane au-dessus non seulement de leurs consciences mais de celles de tous les Congolais. Connu pour ses points de vue en faveur de la cohésion nationale et de la détermination des Congolais en tant que peuple et nation, Léon de Saint Moulin est également l’un des visages marquants de l’histoire politique de notre pays. De l’avis général, le père jésuite aura marqué l’élite intellectuelle de notre pays, mais il restera surtout dans la mémoire collective comme un symbole de liberté de pensée et de lutte démocratique. En 1992, Léon de Saint Moulin fit partie des prêtres courageux ayant marché à Kinshasa aux côtés des chrétiens catholiques pour réclamer la réouverture de la Conférence Nationale Souveraine (CNS). Marche réprimée dans le sang par la Garde civile, à l’époque. Depuis l’annonce du prêtre jésuite, ils sont des centaines à travers le monde à lui rendre hommage sur les réseaux sociaux. Une constance : respect à tout jamais ! 

Abbé Léonard Santedi, professeur et recteur de l’Université Catholique du Congo (UCC) témoigne : « Le Père Léon de Saint Moulin n’a ménagé ni ses énergies ni son temps pour le service de l’Église et de la société congolaise. Puisse le Seigneur l’accueillir dans son Royaume et lui accorder la récompense promise aux bons et fidèles serviteurs. »

Le journaliste Thierry Michel qui a réalisé plusieurs documentaires sur l’Afrique, a écrit sur son profil Facebook : « Très, très triste nouvelle, le père Léon de St Moulin nous a quittés. Paix à l’âme de ce juste, cet homme exceptionnel qui consacra sa vie au service du peuple du Congo/Zaïre. » 

Maurice Mbayo, le président du Conseil Supérieur du Portefeuille de l’État (CSP) et ancien coordonnateur de la commission des intellectuels catholiques, est « très profondément attristé par la disparition du révérend père Léon de Saint Moulin ». Il déclare : « Je demande à tous les Congolais en général, et aux intellectuels en particulier, de réserver des obsèques méritées à l’illustre disparu. Nous demandons que des obsèques dignes lui soient réservées. Il a passé toute sa vie dans notre pays, en lui rendant d’énormes services. Et s’il a eu à créer des liens, c’est davantage dans notre pays qu’ailleurs. »

La plupart des témoignages vont dans le sens de « l’attachement » de l’illustre disparu à la RDC, devenue sa seconde patrie. Ils soulignent aussi son « engagement » à travers la commission des intellectuels catholiques. « Comme historien, il connaissait tous les territoires du pays dans les moindres détails ». L’histoire contemporaine de notre pays avait un nom : Léon de Saint Moulin, rappelle un autre professeur.

« Paix profonde à son âme », confie-t-il. Professeur émérite à la faculté de théologie de l’UCC où il enseignait l’analyse sociale appliquée  à  la théologie pastorale, Léon de Saint Moulin a été également directeur du Centre des Archives Ecclésiastiques Abbé Stephano Kaoze. 

Né Naast en Belgique en 1932, il débarque définitivement en RDC en 1967, après un bref séjour de 1959 à 1961. Il a été vice-recteur de l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA), chargé du campus de Kinshasa et directeur du Centre d’études pour l’action sociale (CEPAS). 

À son arrivée en 1967 au Congo, Léon de Saint Moulin avait pris part à une étude sociodémographique de Kinshasa, avant de participer à la mise à jour du plan de la ville, en 1969, conduite par l’Institut géographique du Congo.

Docteur en histoire, licencié en philosophie et en théologie, Léon de Saint Moulin est l’auteur de plusieurs études, articles, livres, cartes sur la RDC, dont « Kinshasa, trente ans après », une enquête sur la perception sociale de la justice ; « L’Atlas de l’organisation administrative de la RDC » qui a servi de référence à la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) lors des élections de 2006.