Léopards : une génération est en train de naître

Quel que soit le sort du onze national à la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations qui se déroule au Gabon, une page de l’histoire du foot congolais s’écrit actuellement. Cela est de bon augure.

C’était il y a quarante-quatre ans. Autant dire une génération dans la vie des hommes ! Cette année-là, c’est-à-dire en 1973, les Léopards du Zaïre se qualifièrent pour la phase finale de la Coupe du monde de football de 1974 en République fédérale d’Allemagne ou pour le Mondial 1974. Cet événement fut salué par tout un peuple comme un moment important de l’histoire politique du Zaïre. En effet, le président Mobutu, qui était en quête permanente de prestige personnel et qui rêvait grand pour son pays, en tira largement profit. Quoi de plus normal, parce que « c’était la première fois qu’une équipe d’Afrique noire allait jouer la Coupe du monde de football », expliquait-on à qui voulait l’entendre. En 1974, au Caire en Egypte, les Léopards remportèrent la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN), baptisée « Moseka » par les Zaïrois, à l’issue d’une finale épique rejouée face à la Zambie (2-2 et 2-0) et après une demi-finale âprement disputée face au pays organisateur (3-2). Le héro de cette croisade aura été Ndaye Mulamba, le joueur aux 9 buts, un record jamais égalé dans une phase finale de la CAN. Et jamais un sans deux, Kinshasa accueillit, en octobre de la même année, le plus grand combat de boxe du XXè siècle : Mohamed Ali Vs George Foreman, titre en jeu de champion du monde (WBA) des poids lourds. L’événement était grandiose qu’il mérite qu’on parle. Mobutu avait réussi, rubis sur ongle, à délocaliser des États-Unis au Zaïre ce « combat du siècle » organisé par le big manager américain Don King. Ce combat de boxe fut précédé par un grand festival de musique afro-américaine, avec à l’affiche James Brown, Johnny Pacheco, Sosoliso, Afrisa International, Zaïko Langa Langa… À l’époque, Les bookmakers avaient parlé de « l’apogée du football zaïrois ». Ils ne s’étaient pas trompés. Depuis, le onze du Zaïre n’est plus remonté sur le toit de l’Afrique ou n’a plus participé à une phase finale du Mondial.

Génération spontanée

Dans les années 1960-1970, la République démocratique du Congo – qui devint la République du Zaïre, en 1972, par la volonté du président Mobutu Sese Seko obnubilé par sa politique de recours à l’authenticité – avait des footballeurs de légende. Une véritable génération spontanée ! Après une humiliation des Lions face aux Blacks Stars du Ghana, surnommés les « Brésiliens d’Afrique », Mobutu, encore et toujours lui, avait pris la décision de bâtir une équipe imbattable sur laquelle il aurait la main haute. Il fit faire le rappel des joueurs pros évoluant en Europe, notamment dans le championnat belge. Ainsi des joueurs comme Freddy Mulongo, Paul Bonga Bonga, Kasongo Mwana, Julien Kialunda, Muwawa… sont venus renforcer l’ossature locale constituée de Pierre Kalala, Robert Kazadi, Jeef Kibonge, Jean Mange, Nicodème Kabamba, Ngenibungi et bien d’autres joueurs de qualité technique supérieure.

Avec cette dream team, la RDC remporta, face au même Ghana réputée meilleure équipe nationale d’Afrique, sa première coupe d’Afrique des nations, en 1968, en Ethiopie. L’unique but de la victoire fut l’œuvre de l’attaquant de pointe, Pierre Kalala, surnommé « Yaounde » ou « le bombardier ». Le héro de cette campagne d’Ethiopie fut sans conteste le joueur Mungamuni, encore en vie. Il fut surnommé « l’homme d’Asmara » grâce à ses prouesses.

À l’ombre des aînés, il y eut des jeunes prodiges qui ont vraiment porté le onze national au faîte de la gloire. C’est la génération d’Emmanuel Kakoko « dieu de ballon », Adelar Mayanga « Good Year », Raoul Kidumu, Jean Kembo « Monsieur but », Ndaye « Mutumbula ou diable », Ntumba « Pouce », Mana « le ventilateur », Mavuba « sorcier noir », Lobilo « docteur », Buanga, Kabasu Babo… Ces joueurs d’exception qui n’avaient rien à envier aux artistes brésiliens ou ghanéens, ont marqué leur époque avec ce doublé historique : qualification au Mondial et CAN (1973-1974). L’un d’eux, le défenseur central, Buanga Tshimenu, petit frère du gardien Robert Kazadi, fut désigné « Ballon d’or africain » en 1974 par la Confédération africaine de football (CAF). La débâcle au Mondial 1974 – trois défaites face à l’Ecosse (2-0), Yougoslavie (9-0) et Brésil (3-0) – sonna le glas pour les Léopards. Eux qui devaient leur succès à l’encadrement technique du sélectionneur yougoslave, Blagoje Vidinic, et à la marque d’attention paternelle du président de la République. Pour rappel, Mobutu leur offrit des villas dans la Cité Salongo nouvellement construite dans la commune de Lemba et des voitures VW Passat à la suite de leur qualification au Mondial 1974. Il a fallu attendre les années 1980 pour vivre une nouvelle épopée avec les Léopards. Ce fut la génération de Muntubile « Santa Maria », Eugène Kabongo, Mobati « Raoul », Kiyika « Soucouss », Kingambo et bien d’autres.

Muntubile et Kabongo étaient les mentors de cette flopée de joueurs pétris de talent. Ils étaient passés professionnels en Belgique puis France après des exploits au championnat national. Leur apport aux côtés des joueurs locaux n’a pas suffi pour faire qualifier le Zaïre au Mondial 1986 face au Maroc de Badou Zaki à Lubumbashi. Un match mémorable ! Il y eut un mort par arrêt cardiaque à la suite du penalty raté par l’avant-centre Kabongo, qui avait la qualification au bout de sa semelle. Malgré le talent avéré, cette équipe de rêve n’a pas eu non plus la chance de remporter une CAN. Selon les bookmakers, le talent ne suffit pas dans une compétition majeure, il faut aussi avoir la chance de son côté. C’est ce qui leur a manqué. Un peu comme Didier Drogba avec l’équipe de la Côte-d’Ivoire.

Puis, survint, comme un météore, la génération d’Emeka Mamale. Ce petit génie sorti de terrains sablonneux de Lemba a rempli de joie et fait rêver toute une nation par son talent. Avec Jean Kasongo surnommé « Korando » à cause de sa vitesse et les autres, Mamale fit monter le onze national sur la troisième marche du podium à la CAN 1998 à la suite d’un match entré dans l’histoire face au Burkina Faso (4-3), pays organisateur. Le sélectionneur de l’époque s’appelait le Congolais Watunda dit « Prof ». Ce fut un événement majeur dans le pays car le onze national venait d’être rebaptisé « Simba » à l’avènement au pouvoir d’État de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) sous la conduite de Laurent-Désiré Kabila en mai 1997. Mamale était devenu l’égérie de la nation, mais il n’a pas su exploiter son talent en vue d’une carrière professionnelle véritable après un passage en Afrique du Sud et en Corée du Sud. Korando, lui, brilla avec le FC Sfax de la Tunisie avant d’évoluer au Bundesliga en Allemagne.

Sans un véritable encadrement technique et moral, les Simba, puis encore les Léopards, étaient devenus un sujet de polémique au pays. De 1998 jusqu’en 2014, ils n’avaient plus atteint le cap de demi-finale de la CAN. Pourtant, des joueurs de classe comme Chris Shabani Nonda, Trésor Lualua, Biscotte Mbala, Rum Matumona Zola, Trésor Mputu… ont marqué de leur empreinte cette sélection nationale. Ils se qualifiaient difficilement à la phase finale de la CAN et se faisaient régulièrement sortir en quarts de finale.

L’avènement des bi-nationaux

Ce n’est qu’en 2015, sous la conduite du sélectionneur congolais Florent Ibenge et avec son contingent de bi-nationaux que le onze national a réitéré l’exploit de 1998, en raflant la médaille de bronze, synonyme de 3è place à la Guinée Équatoriale, pays co-organisateur, avec le Gabon, de la CAN 2015. C’est le fruit d’une politique appliquée par la Fédération nationale de football (FECOFA). Celle-ci consiste à ramener dans le giron du onze national les jeunes footballeurs nés de parents congolais résidents en Europe particulièrement. Yannick Bolasie est le parfait représentant de cette génération de bi-nationaux. Son absence de la sélection de la RDC à la phase finale de la CAN 2017 au Gabon (du 14 janvier au 5 février) est loin d’être seulement un coup dur pour les Léopards.

C’est un vrai motif d’inquiétude car l’attaquant d’Everton dans le championnat anglais est au propre comme au figuré le démineur et celui qui donne le tempo aux Léopards face aux équipes adverses. Sa force : sa percussion. Avec son physique de bison, Bolasie sait faire du Bolasie, non seulement avec son club, mais aussi avec la sélection. C’est à la suite d’un choc avec Anthony Martial qui l’a contraint à quitter le terrain quelques minutes plus tard contre Manchester United (1-1), dimanche 4 décembre 2016, que cet attaquant est indisponible pour  au moins une année. L’absence de ce bulldozer influe sur la prestation du onze national, qui peut désormais compter sur Kebano, Kabananga, Bakambu, Tisseran, Mulumbu… « Cette génération est celle de Bolasie », laisse entendre Ibenge. Ne pas jouer la CAN, c’est une déception personnelle pour ce joueur, si souvent décisif par ses passes ou ses buts.