Les chiffres parlent

Si on était à un jury de soutenance de thèse, la présentation de la situation économique et financière du pays par le ministre des Finances à la réunion interinstitutionnelle du 24 mars aurait obtenu la mention « Excellent » avec les encouragements du président. 

 

Palais de la Nation, samedi 24 mars. Le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, est convoqué à la réunion interinstitutionnelle pour présenter aux hauts responsables du pays l’évolution de la situation économique et financière depuis la fin de l’année 2017, selon notre source qui a participé à cette rencontre. D’après le récit qu’elle nous en a fait, c’est vraiment comme si on y était : « Quand la parole lui est accordée, il remercie avant tout le président de la République, pour l’opportunité qu’il lui a donnée, de faire cette revue de situation. Après cette entrée en matière très protocolaire et avec beaucoup d’application, il sollicite qu’il lui soit permis de rappeler ».

À ce sujet, poursuit notre source, le ministre des Finances rappelle qu’« en juillet 2017, plusieurs indicateurs macroéconomiques ont connu de fortes perturbations, au point d’amener Son Excellence Monsieur le Président de la République à donner des orientations précises au Gouvernement à travers le Comité mixte stratégique en vue de rétablir les équilibres rompus. » Mais avant de décrire le comportement actuel de ces indicateurs, il prend soin de rappeler également que « de manière générale, le contexte international dans lequel notre économie évolue est marqué par la poursuite en 2018 de la tendance haussière des cours de principaux produits de base dont notre pays est grand exportateur. Ainsi, depuis l’année dernière, le cours du cuivre a augmenté de 20 %, celui du cobalt de 79 %, celui de l’or de 8 % et celui du baril du pétrole de 23 %. »

En ce qui concerne la situation économique et financière nationale, proprement dite, il déclare : « On note depuis la fin de l’exercice 2017 et le début de cette année 2018 un comportement globalement bon de principaux indicateurs macroéconomiques. » Qu’il s’agisse du taux de croissance, du taux d’inflation, du taux de change du franc congolais, de la situation des finances publiques que du niveau de nos réserves d’échanges.

Ainsi, explique-t-il, avec clarté et sobriété : le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel est, sur la base des estimations de la production à fin décembre 2017, en hausse en 2017, se situant à 3,7 % contre 2,4 % en 2016 ; soit un point au-dessus de la moyenne africaine en 2017. Quant au taux d’inflation, après avoir clôturé l’année 2017 avec une inflation de 54,7 % contre 23,6 % en 2016, on note, au cours de deux premiers mois de 2018 jusqu’au 20 mars, un ralentissement des pressions inflationnistes. En termes cumulés, l’inflation se situe depuis le début de l’année à 2,52 % au niveau national et à 2,55 % à Kinshasa.

S’agissant du taux de change du franc congolais, il a été observé, au 20 mars 2018, une relative stabilité sur les deux segments du marché des changes, le dollar américain s’échangeant à CDF 1 613,98 et CDF 1 638,67, respectivement à l’interbancaire et au parallèle. Depuis le début de l’année 2018, le taux de dépréciation sur les deux segments se situe respectivement à 1,52 % et 1,32 % contre 3,72 % et 6,4 % à la même période en 2017, démentant ainsi certaines prédictions qui voyaient le franc congolais terminer l’année 2017 et entamer l’année 2018 au-dessus de CDF 2000 le dollar américain.

Que faut-il retenir ?

Après avoir décrit l’état actuel de principaux indicateurs macroéconomiques, le ministre des Finances fait remarquer : « En poursuivant la même rigueur sur le plan budgétaire et une coordination suivie de la politique monétaire, on maintiendrait cette tendance jusqu’à la fin de l’année 2018 et le taux de dépréciation se situerait à 8,4 % et 9,7 %, respectivement sur le marché interbancaire et sur le parallèle. Pour ce qui est de la situation des finances publiques, elle est caractérisée, depuis fin décembre 2017, par des soldes mensuels de trésorerie excédentaires, résultat d’une mobilisation plus accrue des recettes et d’une discipline budgétaire permanente dans l’exécution des dépenses. »

Ainsi, poursuit-il, « l’accroissement des recettes a permis depuis le dernier trimestre de 2017 de payer régulièrement les dépenses contraignantes et celles liées au processus électoral ; résorber progressivement certains arriérés de l’État, notamment en rapport avec le fonctionnement des institutions (Parlement, gouvernement, autres services de l’État…) ; respecter les engagements pris pour rencontrer certaines revendications catégorielles (médecins, enseignants…), ayant fait passer l’enveloppe salariale mensuelle de 168 milliards à 206 milliards de francs congolais ; et enfin, reprendre progressivement le financement des dépenses dans les secteurs des infrastructures, de la santé et de l’éducation. »

Poursuivant sa présentation de l’évolution de la situation économique et financière dans le pays, le ministre des Finances déclare : « Accompagnée d’une discipline rigoureuse dans l’exécution de la dépense, cette augmentation des recettes a permis ainsi d’aller au-delà de l’objectif de zéro déficit et de terminer l’année 2017 avec un solde excédentaire de CDF 56,51 milliards contre une projection de CDF 11,96 milliards. Cette politique a aussi permis de réaliser des excédents de trésorerie, en janvier et février 2018, respectivement de 17,89 milliards et 137,02 milliards de francs congolais. Le plan de trésorerie renseigne pour le seul mois de mars un solde positif de 120,32 milliards de francs congolais au 20 mars et un excédent cumulé depuis le début de l’année de 275,23 milliards de francs congolais. »

Et d’ajouter enfin : « Concernant la situation des réserves internationales, les efforts déployés au niveau de la gestion des finances publiques, tant pour augmenter les recettes en devises, grâce notamment à la mesure autorisant les miniers et pétroliers à payer les impôts, droits et taxes dus à l’État en devises que pour veiller à la qualité des dépenses en devises, ont permis de reconstituer significativement leur niveau qui a atteint au 20 mars plus d’un milliard de dollars américains, soit l’équivalent de 4,25 semaines d’importations des biens et services, contre 845,44 millions de dollars à fin janvier 2016. »

Et puis : « En maintenant les efforts de gestion interne et grâce à la poursuite de l’embellie des cours de nos produits d’exportation, la barre symbolique d’un milliard de dollars des réserves de change sera certainement dépassé même si le chemin restera encore long à parcourir pour atteindre la moyenne recommandée de couverture de trois mois d’importations. »

Éviter toute euphorie

Et pour clore son exposé, saisissant l’opportunité lui offerte, le ministre des Finances insiste sur « la nécessité pour le Gouvernement d’éviter toute euphorie au regard des évolutions positives actuelles qui sont appelées plutôt à être consolidées ». Il dit : « En effet, pour capitaliser les tendances favorables de tous ces indicateurs macroéconomiques, nous devons maintenir le cap clairement indiqué depuis juillet 2017 par Son Excellence M. le Président de la République lui-même et suivi avec rigueur jusqu’à ce jour par le Gouvernement ». « Concrètement, explique-t-il, la discipline budgétaire appliquée jusqu’à ce jour et dont les effets ont permis d’assurer progressivement la stabilité du cadre macroéconomique, doit continuer, en visant tant la maximisation des recettes publiques que la maîtrise et l’amélioration de la qualité de la dépense. »

Ainsi, « au chapitre des recettes publiques, préconise-t-il, l’accroissement constaté depuis le dernier trimestre 2017 devra être amplifié, tant…

…pour faire face aux dépenses dont la tendance est à l’augmentation en cette année électorale que pour maintenir le niveau des réserves de change au-delà d’un milliard de dollars américains et l’amener progressivement à l’équivalent de trois mois d’importations considérés comme moyenne standard des pays de la SADC. »

Concernant les dépenses de l’État de plus en plus en progression, le ministre des Finances déclare : « il nous faudra, recommande-t-il, travailler et veiller à la qualité de la dépense par la limitation de certaines sorties des fonds en rapport notamment avec les missions à l’extérieur des membres du Gouvernement et autres institutions, en réduisant la fréquence de ces missions et le nombre des membres du Gouvernement par mission ainsi que des collaborateurs dans leurs suites ; continuer à honorer nos engagements au titre des contreparties des financements importants nous accordés par nos partenaires dans le secteur de la santé notamment, où nous devons dans le partenariat avec GAVI (Programme de vaccination contre la poliomyélite) et le Fonds mondial (VIH/sida, tuberculose et autres pandémies) quelque 60 millions de dollars américains, alors qu’à ce jour nous n’avons payé qu’une partie ; contenir le plus possible de nouvelles revendications socio-professionnelles qui auraient pour conséquence d’augmenter encore plus l’enveloppe salariale, qui représente aujourd’hui plus de 53 % de nos recettes mensuelles, alors que la moyenne généralement admise est de 35 %. »

En guise de conclusion de sa présentation, le ministre des Finances donne sa position : « Nous devons désormais faire en sorte que l’amélioration en cours du niveau des recettes ne serve pas qu’aux dépenses de consommation, de fonctionnement, mais nous amène à poursuivre l’investissement dans les secteurs sociaux (santé et éducation) et à mettre en application la diversification de notre économie, en finançant des projets novateurs et volontaristes relevant de l’agriculture, de l’agro-industrie et du tourisme, pour ne citer que ceux-là.

Ces projets ont l’avantage d’accroître l’offre de biens et services, en l’occurrence de biens alimentaires, et de soutenir le pouvoir d’achat de la population, au lieu de continuer à procéder simplement à des augmentations des salaires. »