Les défis de gouvernance, un obstacle au REDD

Le système REDD est particulièrement porteur pour la RDC. Il compense les pays tropicaux pour leur coût d’opportunité dans la réduction de la déforestation et la dégradation des forêts, en augmentant le stock de carbone dans leurs forêts à travers la gestion durable des forêts et le reboisement. 

 

Avec le REDD, il est probable que les ressources à l’avenir soient significatives. Pour que la République démocratique du Congo puisse profiter de ces flux, le pays devra gagner le pari de la gouvernance, comme la question de partage de revenus entre les acteurs, l’insécurité foncière et le cadre légal forestier. La RDC a préparée le REDD avec l’appui des initiatives FCPF (Forest Carbon Partnership Facility) de la Banque mondiale et du programme UN-REDD. Il s’agit d’une stratégie nationale de contrôle de la déforestation et de mise en place d’un système de suivi et de vérification des émissions de la déforestation.

La mise sur pied d’un programme national REDD requiert le calcul du coût d’opportunité du maintien ou de la conversion de terres en forêt. Ce coût d’opportunité est faible en RDC, en raison de la difficulté de l’environnement économique. Cependant, les spécialistes estiment que le développement économique favorisera l’essor d’activités concurrentes avec la gestion durable des forêts, qu’il s’agisse du développement routier (qui encouragera le défrichage sauvage), minier, ou de la filière bois, ou encore simplement de la pression démographique. Le coût d’opportunité du maintien des terres en forêt est donc susceptible d’augmenter rapidement, et avec lui le coût et la difficulté de la surveillance nécessaire pour garantir la crédibilité des engagements.

Pour être correct, le calcul de coût d’opportunité doit viser la trajectoire du futur, c’est-à-dire prendre en compte le développement prévisible d’usages alternatifs de la terre. Une coordination étroite entre la stratégie de conservation des forêts et la stratégie de développement est cruciale à cet égard, soulignent les mêmes experts.

Par ailleurs, la gestion d’un programme national REDD pose des problèmes de gouvernance délicats. Le partage des potentiels bénéfices de la REDD entre les secteurs ayant un droit sur la forêt (l’État, les populations locales, le secteur privé) et entre les différents niveaux de l’administration doit être éclaircie pour éviter des conflits importants. De la même manière, les rôles et responsabilités des acteurs dans un programme REDD national doit être discuté et arrêté entre tous. Pour que la RDC bénéficie des ressources internationales ciblées à la REDD, un système transparent de suivi du couvert forestier et ses émissions, ainsi que d’autres variables liées à la réduction de la déforestation (comme des indicateurs de pauvreté rurale et de biodiversité) devront être mis sur pied, et régulièrement évaluée par la communauté internationale. Les défis de gouvernance dans le secteur forestier demeurent un obstacle pour la REDD et doivent être clarifiés.

Le moratoire sans cesse violé 

En plus de l’élaboration du code forestier, la facilitation de l’accès aux ressources forestières, nécessaire au développement de l’activité, passe par l’achèvement des mesures correctives et préventives pour assainir l’héritage du passé : la conversion des anciens titres forestiers. Lors de la réforme de 2002, quelque 44 millions d’ha ont été alloués sous forme de concessions attribuées avant et pendant la guerre. Un premier effort d’apurement a été réalisé en avril 2002 entraînant la résiliation pour non-respect des obligations contractuelles (infractions fiscales) de 163 titres portant sur 25,5 millions d’ha.

En mai 2002, un moratoire a été imposé par arrêté ministériel sur l’octroi de nouveaux titres ainsi que sur leur renouvellement ou leur extension, dans l’attente de l’évaluation de la légalité des titres existants, de la mise en place d’un système d’allocation transparent et, de l’adoption d’un outil de planification des nouvelles allocations au regard des besoins définis dans le cadre d’une politique forestière nationale.

Ce moratoire a été violé par l’administration forestière de juin 2002 à février 2007. Environ 15 millions d’ha ont ainsi fait l’objet d’allocation ou de transactions (notamment d’échanges et de relocalisation), conduisant à un accroissement net de 2,4 millions d’ha, la surface totale sous concession étant de 20,4 millions en 2007, soit plus du tiers des forêts exploitables. Au terme de la revue en décembre 2008, 65 titres sur 156, couvrant 9,7 millions d’ha, ont été jugés convertibles sous le nouveau régime forestier, soit moins d’un quart des forêts exploitables.

En plus de l’élaboration du code forestier et de la conversion des anciens titres forestiers, les spécialistes soulignent que le rétablissement d’une bonne gouvernance dans ce secteur passe par trois grands chantiers. D’abord, reconstruire les institutions à travers la réforme fiscale ; ensuite, réguler la filière bois ; et enfin mettre en œuvre la décentralisation au niveau du secteur forestier.

Fiscalité de porte 

En 2002, les recettes fiscales de la filière bois (Trésor public et Fonds de reconstitution du capital forestier, hors fiscalité générale sur les entreprises et autres prélèvements obligatoire) atteignaient à peine 2 millions de dollars tandis que les structures effectuant les prélèvements sur les bois exportés (entreprises publiques et entités administratives) engrangeaient près de 1,8 million de dollaes. Ainsi la pression fiscale sur la filière industrielle est moindre par le fait du niveau des taxes appliquées par l’État que de celui des taxes à l’assise plus ou moins légale adoptées au gré des circonstances et des besoins de financement des administrations publiques, entreprises publiques ou autorités locales pour des services souvent inexistants.

L’Office de gestion du fret multimodal (OGEFREM) et la Régie des voies fluviales (RVF) continuent d’exercer une pression fiscale sur la filière. La résistance la plus forte vient de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) qui a le monopole sur les infrastructures portuaires. Suite à des de fortes pressions, elle avait baissé ses tarifs de 16 à 5 dollars la tonne pour les bois, elle a longtemps maintenu son tarif pour les bois exportés en container. Les exploitants industriels doivent payer depuis plus de 10 ans une taxe de demi-transit dont le but était de pouvoir remettre les wagons et locomotives en état. Pourtant, le nombre de locomotives et trains n’a fait que diminuer malgré les montants encaissés.

Le passage d’une « fiscalité de porte » (taxes concentrées à l’exportation) à une fiscalité plus équilibrée entre l’aval et l’amont de la filière (avec un accroissement du coût d’accès à la ressource par la hausse de la redevance de superficie) a posé un problème aux opérateurs privés dans la mesure où celle-ci représente pour eux un coût fixe alors que l’activité d’exploitation est aléatoire (particulièrement en l’absence d’inventaire précis et de plan d’aménagement) et que les prix du bois sur les marchés internationaux sont instables.

En 2003, la profession recensait 155 taxes, plus de 170 en 2008. De la même manière, la pression fiscale estimée à 20 % en moyenne par m3 de bois à l’exportation, était passée à 30 %.

Suite à la hausse de la redevance de superficie, les recettes fiscales de la filière bois approchaient les 3,5 millions de dollars en 2004 contre 2 millions en 2002. Mais leur recouvrement est encore souvent incomplet, hypothéqué par les difficultés de communication entre les administrations et l’absence de procédures de vérification de cohérence. Le code forestier prévoit que le contrat de concession forestière comporte deux parties.

Le contrat proprement dit et le cahier des charges (volet technique et social), qui prévoit la réalisation d’infrastructures sociales et la fourniture de services socio-économiques (école, dispensaire, pont, etc.) au profit des communautés riveraines de la concession. Une évaluation des cahiers des charges montre que les réalisations sont parfois inexistantes, souvent peu probantes et pas toujours conformes aux attentes locales. Les négociations font parfois l’objet d’une pression des autorités que les concessionnaires ont gagné à leur cause.

En imposant aux concessionnaires forestiers l’obligation d’inventaire de la ressource et d’aménagement forestier (planification à long terme des prélèvements, activités d’exploitation, et mesures en faveur de l’environnement et des populations locales), le code introduit une innovation dans la gestion des forêts en RDC. Le code fait reposer sur les entreprises la charge technique et financière de la réalisation des compétences manquant dans l’administration pour faire ces inventaires et ces plans. Les entreprises elles-mêmes ne possèdent pas toutes les compétences nécessaires, elles en sous-traitent la réalisation à des bureaux d’étude (aménagistes forestiers) comme Forêts Ressources Management (FRM) qui a participé à l’élaboration des premiers plans en RDC. Les services de contrôle sont très mal équipés et ne disposent pas des compétences (connaissance de la réglementation, interprétation des documents) pour remplir leur mission de contrôle des infractions au code, pour lutter contre l’exploitation illégale et pour lutter contre la fraude fiscale. Les rares contrôles effectués sur les concessions ne peuvent s’effectuer qu’avec les moyens de transport de l’exploitant, lequel sera même sollicité pour verser une prime de déplacement à l’agent. Dans ces conditions, où la motivation essentielle de l’agent est sa survie, aucun contrôle véritable n’est possible. De plus, le code prévoit la possibilité pour les agents forestiers de transiger selon le montant de l’amende encouru, ainsi au-delà d’un certain seuil. Dès lors, ce sont pour les agents autant d’opportunités économiques qui les conduisent à rechercher des infractions mineures qu’ils maîtrisent pour engager une transaction au lieu de sanctionner des infractions plus importantes.