Les dernières factures laissent un arrière-goût trop salé

L’entente cordiale n’existe plus entre les ménages et la REGIDESO et la SNEL, les deux sociétés publiques fournisseuses d’eau potable et de courant, depuis plusieurs années. En cause : les tarifs de consommation de plus en plus hors de la portée des bourses de la plupart des abonnés, retraités ou fonctionnaires de leur état.

Sit-in des agents de Hewa Bora, ce 18/07/2011 à Kinshasa, devant le ministère des transports et voies de communication. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

 L’État est le bourreau des ménages, c’est le moins que l’on puisse dire ! Au lieu de protéger leur pouvoir d’achat souvent malmené par l’inflation, l’État, au contraire, participe de son délitement. Par exemple, dans les factures de la Société nationale d’électricité (SNEL) des mois de novembre et décembre 2016, les ménages ont constaté que les nets à payer ont été exagérément élevés. Les tarifs appliqués par la SNEL sont passés du simple au double, voire au triple. D’où, l’ire populaire. Tenez : pour le client ordinaire classifié « Code 34 », le Kwh facturé est passé de 97,2500 francs en octobre à 108, 5900 francs en décembre 2016. Au mois de novembre, dont la facture n’a pas été distribuée mais incorporée dans celle de décembre, la consommation tarifée a été quasiment triplée par rapport à la facture d’octobre. Dans une des agences de perception de la SNEL dans la commune de Lemba à Kinshasa, les agents expliquent que la société tant décriée est pour rien dans cette situation.

C’est plutôt du côté du gouvernement qu’il faut aller voir si l’on veut des explications. « C’est lui qui nous impose des indices de tarification calculés on ne sait sur quelles bases. Tout ce que l’on sait, c’est que les tarifs appliqués en dollar suivent l’évolution du change », a renseigne un commis au service de gestion des abonnés dans cette agence SNEL de Lemba. « Il n’empêche ! Le service rendu par la SNEL, lui, n’a pas changé. Au contraire, il est de plus en plus médiocre. On ne maugréerait pas, en payant le prix le plus fort, si le service rendu était de qualité », a déclaré un abonné, courroucé, rencontré dans une agence de perception dans la commune de Bandalungwa. Malheureusement, cela n’est pas le cas : quand le courant est fourni toute la journée, c’est un événement dans les quartiers de Kinshasa, tant le délestage, les pannes et les coupures intempestives sont monnaie courante. Bien souvent, quand l’électricité est rétablie après plusieurs jours de sevrage, c’est un événement qui est accueilli avec des cris de joie des enfants comme si on leur annonçait la venue d’un nouveau bébé dans la famille.

« Quoi de plus normal, a réagi un autre abonné interrogé à Kalamu, quand vous avez le courant pendant dix jours sur les trente du mois ». Et de s’interroger : « Au nom de quoi le gouvernement peut-il se permettre d’aligner le paiement des factures de consommation d’eau et d’électricité sur le cours du franc par rapport au dollar, alors que les salaires qu’il paie aux fonctionnaires et agents de l’État ne le sont pas ? ». La majorité des abonnés domestiques de la SNEL est en effet constituée des retraités, fonctionnaires et agents de l’État. Ceux-ci se demandent légitimement où vont alors les centaines de millions de francs que les agences de perception de la SNEL brassent à longueur de journées. « Il y a longtemps que cette société publique à caractère social quoique transformée en société commerciale aurait dû cesser d’exister parce que d’aucune utilité dans la fourniture d’électricité », a râlé un abonné à Ngaba. Et de renchérir : « C’est d’ailleurs avec impatience que nous attendons, depuis 2014, la mise en œuvre de la loi sur la libéralisation du secteur de l’énergie ».

Mort programmé

Si elle est appliquée, cette réforme juridique va signer l’arrêt de mort de la SNEL. Du moins, elle va mettre fin à son monopole dans ce secteur. Une position qui a longtemps fait plus de mal aux ménages depuis plus de trois décennies déjà. La loi promulguée par le chef de l’État en 2014 est perçue par les ménages et les opérateurs économiques comme une planche de salut. Elle offre surtout l’opportunité aux opérateurs privés d’investir dans cette filière mal gérée par l’opérateur public, la SNEL. Toute la chaîne est concernée : de la production à la distribution, en passant par le transport. Gérant de la quasi-totalité des infrastructures, la Société nationale d’électricité est appelée à être un opérateur comme tout autre et devra se préparer à travailler dans un environnement concurrentiel qu’on espère loyal.

À voir comment la SNEL est managée, tout porte à croire qu’elle ne va pas survivre à ce nouvel environnement. Sinon qu’elle devra absolument améliorer ses conditions de travail qui laissent à désirer. La gestion de la SNEL, si elle ne ressemble pas à celle du temps du Moyen-Âge, elle en a, en tout cas, tout l’air. Un détour du côté des agences de perception suffit pour s’en convaincre. Les agents, dont la plupart ne sont pas des contractuels depuis des dizaines d’années, travaillent dans la promiscuité la plus totale. Comble de l’ironie, ceux qui sont censés fournir de l’électricité, travaillent dans des locaux, des résidences privées prises en location, mal éclairés. Les agences de la SNEL dans la capitale ne sont pas épargnées du délestage et des coupures intempestives d’électricité. La perception des frais de consommation se fait d’abord manuellement, puis sur un matériel informatique de technologie ancienne dans l’insouciance générale. C’est dire que les services décentralisés de la SNEL sont mal équipés. Alors que les cadres de la direction générale, eux, vaquent à leur travail dans des bureaux climatisés et équipés de mobiliers Made in Dubaï ou Made in Chine, les agents dans les agences disséminées dans la capitale se mettent sur des chaises et utilisent des tables rappelant l’époque coloniale. Point de différence avec les bureaux pauvres de l’administration publique dans les communes. Qu’en est-il de la situation dans les provinces ?

Des pratiques éhontées

Jadis, on reconnaissant les agents de la SNEL dans la rue par leur combinaison et leur cache-poussière. Aujourd’hui, ils sont clochardisés, comme les agents de la Fonction publique, et sont la risée des ménages quand ils passent pour le recouvrement des factures impayées et/ou le dépannage. À propos des pannes d’électricité du fait de la vétusté des équipements et des câbles d’alimentation qui datent de l’époque coloniale, tout ou presque est, depuis belle lurette, à charge de ménages. Les agents ont trouvé dans cette formule un créneau pour se faire son beurre. Sachant que la plupart des abonnés de la SNEL sont incapables de payer les factures de consommation endéans les cinq jours de leur présentation, ils multiplient hebdomadairement les campagnes de suspension de fourniture d’électricité, rien que pour rançonner les ménages déjà mal à point avec la précarité de la vie. Les responsables des agences, eux, sont devenus les « amis » des propriétaires des chambres froides, boulangeries ou toute autre unité de production dépendante de leurs sphères respectives. Grâce à des « combines » et « arrangements particuliers » mais tacites avec eux, ils ne peuvent pas manquer de courant. Il arrive souvent, par exemple, lors des grands événements sportifs, tels que les matchs de football, que les ménages soient privés de courant au profit des terrasses qui pullulent dans la ville. On peut multiplier à l’infini les pratiques éhontées qui ont élu domicile à la SNEL au point d’avoir mauvaise presse dans l’opinion. Bref, la SNEL électrise plus qu’elle n’électrifie. Basta !