Les douleurs d’enfantement

Pourquoi la libéralisation du secteur des assurances n’est pas encore effective ? Qu’est-ce qui cloche ? Cela commence à laisser libre cours à des conjectures dans tous les sens. Décryptage.

UN ADAGE français dit que la nature a horreur du vide. Mardi 27 novembre, Alain Kanyinda, le directeur général de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA), a convoqué la presse pour faire le point sur l’état d’avancement, la vision et la stratégie de développement en ce qui concerne la libéralisation du secteur des assurances. Il a notamment annoncé que début premier trimestre de 2019, toutes les entreprises ayant déposé des demandes d’agrément auprès de l’ARCA pourront faire leur entrée dans le marché des assurances en République démocratique du Congo. 

Ce n’est pas pour la première fois que l’ARCA fait des effets d’annonce. Il n’empêche, le DG de l’ARCA se veut rassurant cette fois-ci. D’après lui, l’ARCA continue d’analyser les dossiers à elle soumises par des compagnies d’assurances. Il faut dire que le marché congolais d’assurances désormais libéralisé est un marché encore en friches. D’où, la bousculade au portillon pour le pénétrer plus en profondeur. Jusque-là, l’opérateur public, la Société nationale d’assurances (SONAS), ne l’exploite qu’à 7 %, selon l’Institut national de la statistique (INS). Alain Kanyinda a lancé un appel aux Congolais à prendre des participations dans les nouvelles sociétés qui vont s’implanter dans le pays.

En mars dernier, le DG de l’ARCA a dressé à l’attention de la presse un bilan à mi-parcours qu’il a jugé « satisfaisant ». Il a indiqué qu’une vingtaine d’opérateurs avaient déjà retiré les règlements et que les premiers agréments allaient être octroyés dans cinq mois, c’est-à-dire au mois d’août. Puis, l’ARCA a échangé avec les opérateurs et intermédiaires d’assurances. Cette réunion technique avait pour but de clarifier les zones d’ombre, tant les compagnies souscriptrices éprouvaient encore des difficultés. 

Pour rappel, l’ARCA met à disposition deux règlements d’agrément. Le premier porte sur les conditions d’agrément selon les branches d’assurance (vie et non vie) tandis que le second est relatif aux matières et autorisations des intermédiaires. Le premier guichet de réception des demandes d’agrément a été ouvert le 12 décembre 2017. Au mois de mars dernier, une vingtaine d’opérateurs avaient déjà retiré les règlements. 

Avant de procéder à l’ouverture de ce guichet, l’ARCA était face à 3 défis majeurs : se doter de la possibilité et la capacité de recevoir et analyser les dossiers; mettre en place une équipe d’analystes, dont des experts internationaux à l’expérience éprouvée en la matière, et le transfert de connaissances relatives à l’analyse des dossiers. 

Faire preuve de professionnalisme

En décembre 2017, Henri Yav Mulang, le ministre des Finances, avait demandé au management de l’ARCA de se rassurer de la qualité des opérateurs potentiels. Alain Kanyinda a fait savoir que le travail de l’ARCA est d’« apporter une offre nouvelle qui vient sur le marché ». D’où, le point d’honneur à « regarder strictement et professionnellement tous les dossiers qui sont déposés ». Tout le monde a pensé que l’ouverture des guichets de réception des dossiers était signe de la libéralisation effective du secteur des assurances en RDC. 

En effet, on attend beaucoup de cette libéralisation dont l’apport à la croissance de l’économie est indéniable : formation du PIB, création d’emplois et de richesses, protection des personnes et des biens ainsi que sécurisation des investissements. En amont, plusieurs mesures d’application du code des assurances ont été prises pour doter la RDC d’un outil standard et moderne. Il s’agit notamment du décret du 21 août 2017 du 1ER Ministre relatif au Plan spécifique du secteur des assurances. Cinq autres projets de décrets attendent l’approbation du gouvernement en conseil des ministres. 

Par ailleurs, neuf arrêtés ministériels ont été signés le 29 août 2017, qui fixent les modalités d’indemnisation des préjudices subis par les victimes d’un accident. D’après le ministre des Finances, le gouvernement attend des compagnies d’assurances qui seront agréées le placement au maximum des provisions en RDC afin de contribuer au financement de l’économie, mais aussi le recours le plus possible à l’expertise et à la  main-d’œuvre congolaises. Le gouvernement espère également des innovations dans le règlement des sinistres, lesquelles respectent les délais et indemnisent professionnellement les sinistrés. Enfin, le gouvernement met l’accent sur le respect des obligations fiscales vis-à-vis du Trésor public.

Nouvelle échéance

À en croire Alain Kanyinda, les premiers agréments devraient être accordés entre avril et mai, et l’ouverture des compagnies agréées entre mai 2018 et mai 2019. Six assurances sont rendues obligatoires en RDC par le nouveau code des assurances. Il s’agit de l’assurance responsabilité civile automobile, l’assurance risques de construction, l’assurance responsabilité civile des transporteurs aériens, l’assurance responsabilité civile des transporteurs maritimes et fluviaux, l’assurance incendie pour les immeubles industriels et agro-industriels, commercial, culturel, sanitaire, scolaires… ainsi que l’assurance des facultés à l’importation. Le gouvernement attend des futurs assureurs agréés le développement des produits et services de qualité, efficaces et performants pour les assurés. Si la mise en route de la libéralisation paraît « longue, fastidieuse » aux yeux de certains observateurs et potentiels opérateurs, le management de l’ARCA explique qu’il a fallu prendre le temps nécessaire pour « construire un nouveau marché national des assurances sur des bases solides répondant aux standards internationaux et protégeant au mieux les intérêts non seulement des assurés mais aussi des assureurs ».

Le challenge

C’est donc à l’aune du « professionnalisme », de l’« abnégation », de la « probité » et du « patriotisme » – les mots sont du ministre des Finances – que sera évalué le nouveau management de l’ARCA. Ainsi, a voulu Henri Yav, en décembre 2017, responsabiliser le conseil d’administration présidée désormais par Baudouin Kabisi ainsi que la direction générale avec à sa tête Alain Kanyinda. 

Pour ce faire, le ministre des Finances exhorte le management de l’ARCA à « travailler résolument à la mise en place progressive d’une industrie des assurances moderne, en cherchant à faire revenir dans notre pays toutes les primes d’assurance actuellement payées à l’étranger ». D’après lui, Joseph Kabila Kabange, le président de la République, et la nation tout entière ont désormais les yeux rivés sur le travail de l’ARCA. 

En effet, dit-il, la réussite attendue de la libéralisation du marché des assurances dépendra des « capacités des dirigeants de l’ARCA » et de « leur sens élevé des responsabilités dans la gestion » du secteur, dont l’un des éléments clé demeure le choix et le suivi des compagnies d’assurances appelées à opérer en RDC.  

Les conditions légales d’agrément sont connues : une caution de 10 millions de dollars, avoir son siège en RDC et des fonds propres… Signe évident que le secteur des assurances est un secteur qui ne doit être géré qu’avec parcimonie, prudence, confiance, professionnalisme et qui ne doit pas donc être laissé entre les mains des apprentis-sorciers. 

La libéralisation du secteur des assurances en RDC, rappelle Henri Yav Mulang, est « l’une des stratégies importantes de la réforme de notre secteur financier ». En effet, pour le ministre des Finances, la RDC, se voulant un pays « moderne » et « ouvert » sur le plan économique, ne pouvait continuer à asseoir son économie sur un système financier fondé, d’un côté, sur un secteur bancaire libéralisé et, de l’autre, sur un secteur des assurances, pourvoyeur partout ailleurs de ressources de financement à long terme, resté pendant longtemps dominé par le monopole d’une seule compagnie, dont le volume des primes émises est de loin inférieur au potentiel de la RDC.

C’est ainsi que face aux nouveaux enjeux économiques de la RDC, il a fallu mettre fin au régime de monopole afin de tirer largement profit des opportunités qu’offre ce secteur en friches pour financer l’économie nationale. Selon des experts, la réforme est une bonne chose car quelque 500 millions de dollars par année sont en jeu. À l’horizon 2035, la RDC comptera 115 millions d’habitants, selon des prévisions démographiques.