Les entreprises privées redoutent la nouvelle réglementation

La loi du 8 février porte des germes de conflit juridique dans sa relation à la constitution et aux textes régionaux et internationaux. Cela a fait débat. Maintenant, c’est la disposition prévoyant dans un délai d’une année l’instauration d’une préférence nationale dans les contrats de sous-traitance privée, qui fait polémique. 

Depuis le 8 février, la sous-traitance est régie par la loi n°17/001… qui fixe les règles y applicables. Elle est entrée en vigueur le 17 mars. Auparavant, cette matière était réglementée par un arrêté de 2013 et qui ne portait que sur le secteur minier. De l’avis de quelques juristes, cette loi viole des principes constitutionnels et des traités régionaux et internationaux. Certes, la loi était réclamée parce que l’afflux de sous-traitants étrangers ne laissait pas d’espace aux entreprises congolaises à capitaux congolais constituées essentiellement de petites et moyennes entreprises (PME), peut-on lire dans l’exposé des motifs de cette loi. Mais voilà qu’elle soulève des inquiétudes.

Jeune Afrique y a consacré un intéressant article. La notion de « préférence nationale » dans les contrats de sous-traitance privée paraît floue. D’autant plus que cette disposition suscite beaucoup d’inquiétudes au sein des entreprises. Qui remettent en question son périmètre et ses modalités d’application. On estime à plusieurs centaines, le nombre d’entreprises, détenues majoritairement par des actionnaires internationaux et actives dans la fourniture de services en RDC, et qui pourraient être concernées par l’application de la loi du 8 février 2017. Celle-ci prévoit que « l’activité de sous-traitance est réservée aux entreprises à capitaux congolais promues par les Congolais, quelle que soit leur forme juridique, dont le siège social est situé sur le territoire national », et ce dans « tous les secteurs d’activités ».

Se restructurer pour s’adapter

La loi limite donc le volume des activités pouvant être sous-traitées à 40 % de la valeur d’un marché, et oblige à recourir à des appels d’offres pour des marchés supérieurs à 100 millions de francs congolais (75 000 dollars). Son périmètre a priori très large « pourrait obliger un certain nombre de sous-traitants, dans les mines, mais aussi dans les transports et les infrastructures, à structurer davantage leur présence dans le pays, via une filiale, là où jusqu’à présent ils ne disposaient que d’une représentation ou d’une succursale », analyse Romain Battajon, avocat aux barreaux de Paris et de Kinshasa, cité par Jeune Afrique.

Les milieux économiques dans le pays redoutent les sanctions au cas où la préférence congolaise prévue par le texte ne serait pas respectée. Les contrevenant pourraient être sanctionnés de la nullité des contrats conclus et d’une amende de 50 millions à 150 millions de francs congolais (jusqu’à 105 000 dollars). Quand bien même que l’objectif de la loi est de favoriser les entreprises à capitaux congolais et les emplois locaux, on voit mal dans un contexte de fort ralentissement de la croissance en 2016, comment son application et ses retombées en faveur des entreprises congolaises vont être atteintes. « L’idée d’une participation plus active des Congolais à l’activité économique du pays est louable, mais la mise en œuvre sera très difficile », estime Juvénal Munubo, député de l’opposition au sein de l’Union pour la nation congolaise (UNC), également cité par Jeune Afrique.

Pour sa part, l’avocate associée au cabinet Liedekerke Africa à Kinshasa, Edwine Endundo, a confié à Jeune Afrique qu’« il y a de grosses interrogations quant à l’application de cette loi ». Elle se demande ce que veut dire réellement « sociétés congolaises ». Celles qui sont dotées d’une majorité de salariés et de cadres de nationalité congolaise ou celles à capitaux majoritairement congolais ? Pour elle, tout l’enjeu est là : le périmètre d’application et ses modalités. Rien à faire, estime un cadre d’une grande entreprise minière active en RDC qui recourt à 250 sous-traitants, en partie locaux et en partie étrangers, dotés ou non de filiales dans le pays. D’après lui, ils sont incités fortement par l’administration à donner la priorité à des entreprises congolaises. « Il n’y a pas encore de changements de contrats mais nous sommes incités fortement par l’administration à donner la priorité à des entreprises congolaises même si a priori nous ne pourrions pas trouver parmi les sous-traitants congolais toutes les compétences nécessaires à notre activité », confie-t-il à Jeune Afrique.

Élargir l’assiette fiscale

La loi risque de passer à côte de son autre objectif central, à savoir l’élargissement de l’assiette fiscale au profit du Trésor public. Le gouvernement a réduit sensiblement ses dépenses, la crise oblige. La loi pourrait induire indirectement un effet contraire à celui recherché puisque les entreprises étrangères engagent souvent des expatriés qui sont alors soumis à un impôt extraordinaire de 25 %. Pire, les sous-traitants étrangers sont considérées comme ayant un établissement stable en RDC et sont donc taxés en RDC comme s’ils étaient des entreprises résidentes congolaises, à condition d’avoir une activité sur six mois consécutifs. Or c’est justement sur cette période de six mois que la loi introduit une exception permettant de recourir  à une société étrangère en cas d’ « indisponibilité ou inaccessibilité » des services de sous-traitance recherchés. « Il faudra attendre les décrets d’application », résume Romain Battajon. La Fédération des entreprises du Congo (FEC), notamment, serait vent debout contre la loi, tâchant d’obtenir des circulaires ministérielles qui en réduiraient la portée.

Cependant, en matière d’investissements, la constitution ne distingue pas entre les nationaux et les étrangers. Il faut s’attendre, redoute-t-il, dans les prochains mois à une vague de recours en constitutionnalité. L’article 6 de la loi sur la sous-traitance fixe, en effet, les conditions auxquelles une entreprise peut accéder à un marché de sous-traitance: ses capitaux doivent être congolais, les organes de direction doivent être animés par des Congolais et son siège doit être sur le territoire congolais. Mais en cas d’absence d’expertise, l’entreprise principale peut recourir à une société étrangère pour une durée de 6 mois. La loi ajoute : « à défaut, elle crée une société de droit congolais ». Mais, si on applique la loi stricto sensu, cette nouvelle société ne pourra pas rencontrer les prescrits de l’alinéa 1 de l’article 6 puisqu’elle ne rencontre pas la condition des capitaux congolais.

La loi sur la sous-traitance constitue aussi un recul en termes d’être d’intégration régionale. La RDC est, en effet, partie prenante dans plusieurs organisations régionales à caractère économique, notamment l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), le Marché commun des États de l’Afrique de l’Est (COMESA), la communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)… Ces États membres assisteront à l’exclusion de leurs entreprises des marchés de sous-traitance en RDC. Même dans le cas où il existerait peu d’entreprises congolaises opérant dans les territoires communautaires, les représailles des autres membres peuvent porter sur d’autres flux et mettre à mal une économie congolaise déjà dans le rouge.