Les Etats-Unis sont désormais le meilleur ennemi de l’Europe

Les Etats-Unis ont toujours pensé qu’une Europe forte était dans leur intérêt. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : pour l’« America First » de Donald Trump, tous les autres pays sont des concurrents qu’il convient de battre.

 La crise financière en 2008 avait forcé l’Union européenne et la zone euro à inventer des mécanismes budgétaires et bancaires de contre-feu. L’Europe économique a avancé, elle s’est intégrée un peu plus avant. La situation géopolitique actuelle va la conduire à faire de même, en urgence, en matière de défense. Les propos de Donald Trump contre l’Otan ont convaincu les Européens de prendre en main leurs armes et leur financement. Et comme les choses vont aujourd’hui très vite, l’actualité est en train de mettre cette prise de conscience à l’épreuve.

Les regains de violence en Ukraine autour de la ville d’Avdiïvka, située sur la ligne de front dans l’est du pays, sont à l’évidence le premier test que Vladimir Poutine lance à l’isolationnisme de Donald Trump. Les responsables militaires de l’Otan appellent à réagir. Que va faire le nouveau président américain devant cette première provocation du Kremlin ? Et que vont dire les Européens devant ce nouveau terrain grignoté ?

La barre des 2 % minimum du PIB consacrée à la défense est vite devenue une sorte de Maastricht à l’envers, tous les pays européens vont devoir s’y plier en très peu d’années, à commencer par l’Allemagne. Mais il faudra beaucoup d’autres décisions d’« intégration » des forces militaires. Tout devra être mis sur la table, y compris les conditions pour élargir à l’UE l’emploi de la bombe atomique française, la seule qui soit.

Cette avancée en matière militaire ne répondra pourtant pas pleinement au nouveau contexte. En préparation du Sommet informel de Malte sur l’avenir de l’UE qui se tient ce week-end, un autre Donald, Donald Tusk, le président du Conseil européen, a envoyé le 31 janvier aux chefs d’Etat et de gouvernement des 27, une missive qui met les Etats-Unis de Donald Trump au même plan que « la Chine, la Russie ou l’islam radical ». Selon lui, « pour la première fois dans notre histoire, dans un monde de plus en plus multipolaire, nombreux sont les antieuropéens ».

Ce Donald-là a raison. Jamais les Etats-Unis n’ont été, depuis l’origine, il y a soixante ans, opposés à la construction européenne. Il y a eu des conflits commerciaux, des divergences diplomatiques, des mésententes entre personnes, mais jamais une hostilité de principe. Au contraire, Washington a toujours trouvé qu’une Europe forte était dans son intérêt. D’abord, contre l’URSS puis, après la chute du Mur, par alliance naturelle entre deux partenaires partageant les mêmes valeurs démocratiques, la défense du libre-échange et la même vision du monde.

Donald Trump est le premier président américain franchement contre l’Europe. C’est un changement historique. Pourquoi l’est-il ? Difficile de répondre tant l’occupant du bureau ovale est un esprit fantasque. Mais sans doute parce qu’il déteste intuitivement cette construction supranationale compliquée, ce système multilatéral dans lequel les petits pays ont voix au chapitre autant que les gros. Sans doute, parce que l’Europe est à ses yeux un concurrent. Donald Trump est le premier président à ne pas raisonner comme un chef d’Etat, il pense comme le chef d’entreprise qu’il était et qu’il reste. Dans son « America First », tous les autres pays sont des concurrents qu’il convient de battre, à commencer par les deux plus gros, la Chine et l’Europe.

Les premières attaques contre l’Europe n’ont pas tardé. Trump a déclaré l’Otan, le pilier de la défense atlantique, obsolète. Il a dénoncé l’accord nucléaire avec l’Iran forgé en partenariat avec les Européens. Il dénonce l’accord signé à Paris sur le climat. Il a mis fin par décret aux négociations du traité commercial transatlantique TTIP. Il a vanté le Brexit et reçu Theresa May pour encourager le démantèlement de l’UE. Enfin, dans une liste qui va sûrement s’allonger, il a critiqué l’Allemagne dont il fait, dans sa conception simple, l’unique leader en Europe. L’Allemagne d’Angela Merkel, qui accueille des réfugiés quand lui les chasse. L’Allemagne qui manigance pour avoir un euro faible et pour vendre des BMW en Amérique sans acheter de Chevrolet. L’Allemagne responsable du troisième déficit commercial américain après celui de la Chine et celui du Mexique.

Viser l’Allemagne n’est pas sans habileté. Le nouveau conseiller au commerce de la Maison-Blanche Peter Navarro a dénoncé l’euro comme un Deutsche Mark « implicite » qui favorise les exportations germaniques pas seulement en Amérique, mais aussi dans les autres pays européens. L’argument d’une Allemagne égoïste tombe dans des oreilles prêtes à l’entendre, Trump creuse un coin dans l’unité du continent.

L’Europe n’a plus d’amis, elle fait face à des empires, des puissances « nationalistes », qui sont d’une nature opposée à la sienne. Le combat est d’une ampleur nouvelle car existentielle : quel genre d’animaux vont survivre au XXIe siècle ? L’Europe multilatérale d’hier devrait vite s’équiper comme une Europe puissance, avec un ensemble d’appareils qui aille au-delà de sa seule défense. Est-ce possible ? La période est défavorable, avec des élections en 2017 aux Pays-Bas, en France puis en Allemagne qui empêchent d’avoir la moindre initiative d’ampleur.

Surtout, le débat pro ou contre l’Europe tourne, comme on l’a vu lors du Brexit, autour de petits arguments.

Il pousse à désintégrer l’Europe plutôt que le nécessaire inverse. Aux ennemis extérieurs s’ajoute la foule des ennemis intérieurs qui geignent des efforts et nous parlent d’une mauvaise Europe puisqu’elle impose trop de normes sur les fromages. Trump, Xi et Poutine rient beaucoup de nous voir sortir de l’Histoire.