Les fonds, les agences et les péages ne jouent pas à fond leur rôle

Le secteur routier congolais fait l’objet d’un ensemble vaste et cohérent de réformes stratégiques, grâce à l’appui soutenu des bailleurs de fonds. Dans ce domaine, la RDC suit des voies semblables empruntées par la majorité des pays africains.

Le premier volet de cette réforme est de créer une source de financement indépendante pour l’entretien des routes sur la base des péages routiers. Les fonds sont séparés du budget général de l’État et administrés par un organisme indépendant. La grande majorité des pays africains ont déjà mis en place des fonds de deuxième génération pour les routes et d’autres leur emboîtent actuellement le pas. Un examen minutieux de la nouvelle génération de fonds routiers révèle que tous ne correspondent pas entièrement à leur plan directeur conceptuel. Seuls 20 % des fonds des routes, notamment ceux du Kenya, de la Namibie et la de Tanzanie, répondent à l’ensemble des sept critères de bonne conception définis par les 35 pays membres du Programme de politiques de transport en Afrique subsaharienne. Ces critères sont : un fondement juridique clair, la séparation des fonctions, l’imposition de frais de péage, le transfert direct des fonds, la représentation des usagers au conseil d’administration, des règles claires d’allocation des recettes, et un audit indépendant des comptes.

La plupart des pays ont opté pour l’imposition généralisée de taxes sur les carburants pour le financement de l’entretien des routes. Le niveau de ces taxes – et, partant, leur utilité – varie considérablement selon les pays ; d’un niveau symbolique autour de 0,03 dollar par litre, suffisant pour apporter une contribution matérielle à l’entretien des routes, jusqu’à environ 0,16 dollar par litre. Elle permet de couvrir la plupart des besoins relatifs à l’entretien. Certains pays ont des difficultés à collecter les taxes sur les carburants à cause de la fraude fiscale (cas de la Tanzanie) ou des retards dans le transfert des recettes (cas du Rwanda). Ils peuvent n’arriver à percevoir qu’à peine 50 % des ressources prévues. En raison du niveau des taxes sur les carburants plus faible que prévu, les ressources des fonds des routes du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de l’Ethiopie et de la Zambie dépendent à plus de 75 % des allocations publiques.

Gestion opaque du FONER

Quelques 60 % des recettes des fonds routiers sont généralement affectés au réseau routier interurbain principal, mais certains pays ont néanmoins essayé, à des degrés divers, de canaliser une partie de ces recettes vers l’entretien des réseaux routiers ruraux, et dans une moindre mesure, vers les réseaux routiers urbains. En RDC, c’est le Fonds national routier (FONER) qui est l’organisme chargé de financer l’entretien des routes. Le FONER est membre de l’Association des Fonds d’entretien routier africains (AFERA). Lors des assises de l’AFERA en novembre 2015 à Kinshasa, dont le thème était « Utiliser ce qu’on a pour avoir ce dont on a besoin », l’AFERA a lancé un appel et interpellé ses membres sur une utilisation rationnelle des ressources disponibles. Même si les réalités sont différentes suivant les pays, le constat que les ressources mobilisées sont en-deçà des besoins d’entretien des routes. L’AFERA invite constamment ses membres à réfléchir, non seulement sur les possibilités d’accroître les ressources, mais aussi et surtout sur l’utilisation optimale qu’ils peuvent faire de ce qui est disponible en réduisant les coûts.

Doté du statut juridique d’établissement public à caractère administratif et financier, le FONER fonctionne comme une banque d’investissement, ayant la mission de collecter les fonds générés par le péage et de financer des projets préalablement sélectionnés par les agences routières, telles que l’Office des routes (OR), l’Office des voiries et drainage (OVD) et la Direction des voies de desserte agricole (DVDA). Le mandat du FONER s’étend également à la protection du patrimoine routier national. C’est dans le cadre des mesures de protection de ce patrimoine que le FONER a acquis des pèse-essieux, dont le premier lot de dix en novembre 2015. Ce matériel fixe a été déployé sur la RN1 (Nsele, Batshamba), sur la RN4 (Kisangani-Beni et Beni-Kasindi), sur la RN27 (Komanda et Mahagi), sur la RP434 (Aru), sur la RN2 (Beni-Mangina-Mambasa et Butembo-Beni). Pour le FONER, cette action vise à contraindre les transporteurs à respecter le tonnage autorisé sur les routes du pays.

Cependant, la gestion du FONER, notamment la clé de répartition des recettes, a souvent fait l’objet d’interpellation du ministre des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction au Parlement. De l’avis de beaucoup de députés, le FONER ne joue pas son rôle dans le financement de l’entretien routier. D’après les experts de la Banque mondiale, cela contribue au déficit d’entretien qui réduit l’efficacité et l’efficience du secteur routier. Le fait que le FONER ne remplit pas sa fonction de financement de l’entretien, les fonds dont il dispose sont utilisés pour des travaux d’investissement ou ne le sont pas du tout.

Le déficit d’entretien fait que les gains de réseau obtenus par des travaux de réouverture et de réhabilitation sont annulés par les pertes. L’entretien courant manuel généralisé permettrait d’éviter que les petites dégradations ne s’amplifient jusqu’à exiger des interventions lourdes et mécanisées, et de créer des emplois pour une main-d’œuvre nombreuse. L’entretien courant manuel pourrait commencer par les 15 000 km du réseau qui sont en état bon en moyen et coïncider avec des réouvertures de routes. Pour sa part, le secteur privé dénonce l’opacité dans la gestion des ressources internes par le FONER. C’est pourquoi la Fédération des entreprises du Congo (FEC) revendique le droit de siéger dans le conseil d’administration du FONER en tant que l’un des représentants des usagers.

Le deuxième volet du processus de réforme porte sur la création des agences routières, indépendantes des ministères techniques, et ayant la responsabilité de la passation des contrats de travaux publics. Bien des pays ont déjà mis en place une agence routière et d’autres sont en voie de le faire. Les niveaux d’autonomie vont de la responsabilité complète de la gestion du réseau routier à une responsabilité limitée de mise en œuvre des programmes d’entretien routier assignés par le ministère des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction. Seul un tiers de ces agences a des représentants du secteur privé dans leurs conseils.

La RDC a des agences routières : Office des routes (OR), Office des voiries et drainage (OVD) et Direction des voies de desserte agricole (DVDA), Cellule Infrastructures, Agence congolaise des grands travaux (ACGT)… La passation des contrats prise en charge par les agences routières a évolué vers des contrats d’entretien basés sur les performances. L’avantage potentiel de ce type de contrats est qu’il encourage les prestataires des services d’entretien à fournir un travail de qualité, tout en minimisant les risques de dépenses pour le fonds routier. Dans beaucoup de pays africains, notamment la RDC, plus de 80 % des travaux d’entretien ont ainsi été externalisés. Le recours à un dispositif de cantonnage manuel avec l’encadrement des PME ou des organisations locales de développement en vue d’assurer la maintenance à coût réduit tout en optimisant l’utilisation de la main-d’œuvre locale, ainsi que l’amélioration de la passation de ce type de contrats et des mécanismes de décaissement ont permis de réduire le coût unitaire de l’entretien routier en RDC.

Le troisième volet de cette réforme est les concessions de routes à péage. Elles sont rares en Afrique, affectant à peine 0,1 % du réseau routier classé, et se retrouvent presque toutes en Afrique du Sud. Elles n’ont pas mobilisé plus de 1,6 milliard de dollar d’engagements d’investissement, un résultat bien pâle au regard de l’ensemble des besoins de la région. La prévalence limitée des concessions de routes à péage reflète le fait que moins de 10 % du réseau routier de la région attirent un volume de trafic supérieur à 10 000 véhicules par jour, le minimum requis pour que les concessions soient économiquement viables. En RDC, le FONER a concédé quelques routes à péage à des privés, notamment à l’Est. Mais il est constamment obligé d’intervenir en cas d’impraticabilité pour décanter la situation.