Les irrégularités du contrat KBP remontent à la surface

Au poste frontalier douanier de Kasumbalesa, le climat des affaires s’est davantage détérioré avec la montée de l’insécurité au point que les consuls généraux de la SADC établis à Lubumbashi ont exprimé leur inquiétude au gouverneur du Haut-Katanga.   

 

Le poste frontalier de Kasumbalesa est placé sous la gestion d’une firme privée, Katanga Border Post, mieux connue sous son sigle KBP, pour une période de 30 ans. Ce deal a été négocié, au départ, à 15 millions de dollars, le 21 avril 2011, par Moïse Katumbi Chapwe, alors gouverneur du Katanga au nom du gouvernement. Le contrat a été renégocié à 30 millions de dollars par l’ancien gouverneur du Haut-Katanga, Jean-Claude Kazembe, destitué pour « malversations financières ». Mais voilà que ce contrat a été décrié et désapprouvé par le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, à travers une correspondance (CAB/MIN/FINANCES/ECO/2016) datée du 9 août 2016, adressée à l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP). Le ministre des Finances a démontré, point par point, comment la concession du service public (gestion du poste frontalier de Kasumbalesa) à KBP, repose sur la « violation manifeste » de la loi sur les marchés publics et du manuel des procédures de passation des marchés publics. Pour le ministre des Finances, le deal ficelé par Moïse Katumbi doit être « purement et simplement annulé » par l’ARMP. Voilà que l’ARMP trouve fondés les arguments du ministre des Finances ne convainc pas dans sa décision finale. À travers son Comité de règlement des différends (CRD), l’ARMP estime en 2017 : « la dénonciation lui est parvenue après que le contrat initial et l’avenant n°1 soient signés et  exécutés dans leur intégralité, et il serait donc préférable au gouvernement central de négocier à l’amiable ce contrat », devant l’urgence qu’imposait le développement du commerce dans le Corridor Sud-Est, comparativement aux nouvelles installations construites du côté zambien. Pour l’ARMP, l’environnement politique aurait justifié la conclusion dudit contrat, et s’agissant de l’annulation du contrat tel que sollicité par le ministre des Finances, le CRD/ARMP s’est déclaré « incompétent » car cette matière relève de la compétence des cours et tribunaux.  Près d’une année, ce sont des diplomates des États de la Communauté économique et de développement de l’Afrique australe (SADC) qui expriment leur ras-le-bol sur l’état des lieux du trafic routier et des embouteillages au poste frontalier de Kasumbalesa ainsi que sur la sécurité des transporteurs étrangers et originaires des pays membres de la SADC. De l’activité de KBP à Kasumbalesa, des observateurs ne retiennent que son bâtiment en verre, une réplique de l’édifice zambien situé de l’autre côté de la frontière. Ce bâtiment regroupe quatre services : Direction générale des douanes et accises (DGDA), Direction générale de migration (DGM), Office congolais de contrôle (OCC) et Service d’hygiène. Et selon des sources, la gestion des nouvelles installations de Kasumbalesa a été confiée à une société zambienne, Gomes Haulage Limited, jamais repris dans le contrat initial. Voilà qui nécessite un retour à la genèse du contrat sujet à controverse.

Rappel des faits    

Moïse Katumbi, alors gouverneur de l’ex-province du Katanga, avait, en effet,  signé le 22 avril 2011 un contrat de concession de type BOT [Build (contruire), operate  (gérer), transfer (rétrocéder)] avec la société Katanga Border Post (KBP) pour la mise en œuvre du projet de construction de nouvelles infrastructures au poste frontalier de Kasumbalesa. La finalité est de décongestionner le poste frontalier de Kasumbalesa. Le 11 novembre 2016, le chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, lance les travaux de la première phase du projet qui sont, en effet, financés par KBP, à hauteur de 15 millions de dollars. KBP a, en effet, un contrat BOT de 20 ans avec possibilité d’une prolongation de 5 ans.  Mais à Kinshasa, des experts estiment que 5 ans suffiraient pour amortir le capital. Le gouvernement (Matata Ponyo) reprend le projet et négocie un avenant au contrat BOT en septembre 2012. En sus, les deux parties conviennent d’intégrer les travaux d’extension du parking (10 000 m²) de Kasumbalesa dans l’avenant. Ce qui porte le coût des travaux à 16 500 000 dollars, soit une majoration de 10 %. Suite à la plainte du ministre des Finances, le régulateur de marchés publics dit avoir diligenté une mission d’enquête au poste frontalier de Kasumablesa. La mission conclut qu’en ce qui concerne, par exemple, la passation du marché assorti de l’avenant n°1, les éléments du dossier renseignent que « la passation du marché enquêté est faite en violation des prescrits de la loi relative aux marchés publics et du manuel des procédures  de passation des marchés publics (inexistence du plan de passation du marché (PPM), inéligibilité du marché même à la procédure du gré à gré, absence d’autorisation préalable de la Direction générale de contrôle des marchés publics ( DGCMP), absence d’avis de l’autorité approbatrice ».

Les enquêteurs sont d’avis que la conséquence juridique de ces violations et la « nullité du marché ». Pour autant, le 20 janvier 2015, un second avenant est conclu et l’entreprise KBP obtient une prolongation de 10 années supplémentaires sur la période de concession. Par cet avenant, le coût de financement de la phase I de la modernisation du poste frontalier de Kasumbalesa passe à 30 millions de dollars. Commentaire de l’ARMP : « L’avenant n°1 d’un montant de 1 500 000 dollars a consommé 10 % sur les 15 prévus pour la constitution d’un avenant au contrat principal. Le montant de l’avenant n°2 ne devrait donc pas dépasser 750 000 dollars, soit 5 % restants. Or cet avenant a été signé pour un montant de 30 millions de dollars et affiche un dépassement de 26 250 000 dollars, soit 195 %. ». Et l’Autorité de régulation des marchés publics de poursuivre : « Pour ce deuxième avenant, non seulement la DGCMP n’a donné  aucun avis de non-objection mais aussi son objet est différent de l’objet initial. »

Du poste frontalier à l’hôpital Sendwe 

En réalité, un tiers seulement de cette somme, soit 10 millions de dollars, est affecté à la modernisation du poste frontalier de Kasumbalesa et les 20 millions restants à la réhabilitation de l’Hôpital général de référence Jason Sendwe, dont 12 millions de dollars pour requinquer le complexe hospitalier et 8 millions pour son équipement. Or l’intitulé du marché gagné par KBP est on ne peut plus clair et ne prête nullement à confusion : « Projet de conception, de construction et de mise en œuvre et de transfert de nouvelles installations du poste frontalier de Kasumbalesa ».

Après une relecture en profondeur du contrat convenu entre le gouvernorat du Katanga et la firme KBP, le ministre des Finances y a décelé un faisceau de faux et usage de faux et a saisi, par sa correspondance du 9 août 2016 l’ARMP, en dénonciation des irrégularités constatées dans la procédure de passation du contrat dont question. Yav Mulang a noté que le contrat n’a pas été conclu conformément à la loi relative aux marchés publics (loi n°10/010 du 27 avril 2010), en ceci que s’agissant d’une concession, donc d’un type de délégation de service public, la passation du marché aurait dû passer par un appel d’offres précédé d’une publicité. Et que la signature du contrat n’a pas obtenu l’avis favorable de la DGCMP ni a fait l’objet d’une approbation par décret du 1ER Ministre délibéré en Conseil des ministres tel que l’exige l’article 19 du décret 010/34 du 28 décembre 2010, fixant le seuil des passation, de contrôle et d’approbation des marchés publics.

Le ministre des Finances a également désapprouvé la fixation à l’article 2 de l’avenant n°1 du contrat d’un taux d’intérêt annuel en faveur des actionnaires. Cela  semble contraire au principe de rémunération retenu dans la définition de service public donnée par l’article 5 de la loi relative aux marchés publics et qui prévoit que cette rémunération est assurée par les résultats de l’exploitation du service.

La triche… au nom du chef de l’État

Par ailleurs, il n’y a aucune preuve de délégation du pouvoir central au pouvoir provincial pour la signature dudit contrat. Le coût de la conception et de la construction des installations n’apparaît pas dans le contrat de base. Bref, le ministre des Finances a dénoncé « une pratique qui n’est pas de nature à encourager la transparence, l’équité et surtout le principe de l’économie ainsi que celui de l’efficience dans le processus de passation des marchés publics et demande, par conséquent, l’annulation du marché inhérent à la modernisation du poste frontalier de Kasumbalesa ». Ce à quoi s’est opposé Jean-Claude Kazembe,  alors gouverneur du Haut-Katanga ; province à laquelle échoit le projet à l’issue du démembrement de la province du Katanga en 4 entités.

Au sujet de l’appel d’offres préalable à toute passation des marchés, le gouverneur a estimé qu’il n’avait pas lieu d’être car « KBP n’était pas demandeur. C’est la partie congolaise qui avait sollicité de l’entreprise qui a construit le poste frontalier du côté zambien, d’apporter la même technologie du côté congolais ». Concernant l’avis favorable de la DGCMP, le gouverneur du Haut-Katanga a soutenu que cette lacune manifeste a cependant été couverte par l’arrêté (n°431/CAB/MIN/FIN/2012) du 12 mars 2012 portant agrément du projet d’investissements de la société Katanga Border Post) de Patrice Kitebi Kibol Mvul, alors ministre délégué aux Finances.

à la gloire de Katumbi

Concernant la délégation du pouvoir du ministre national des Infrastructures, Fridolin Kasweshi, au gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, le gouverneur Kazembe a soutenu que « plus d’une fois, le ministre des Infrastructures s’était rendu à Kasumbalesa pour superviser l’exécution des travaux… Aussi l’avis du ministre en charge des Travaux publics dans le livre d’or de KBP illustre son approbation du projet ». Et le gouverneur du Haut-Katanga de renchérir que la rupture du contrat reviendrait à renier « la paternité de l’œuvre au président Joseph Kabila Kabange… Du coup l’œuvre profiterait à l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga (NDLR : Moïse Katumbi) et à son complice KBP. Ce que nous n’approuvons pas pour ne pas ternir l’image de l’initiateur de la Révolution de la modernité. »

Mais le gouverneur Kazembe dédouane quand même Katanga Border Post : « La société KPB emploie plus de 350 Congolais. Rompre brusquement ce contrat, c’est mettre tous ses employés au chômage pendant une période difficile et entamer la popularité et l’image du président de la République que nous nous efforçons à redorer. » Et de poursuivre : « L’annulation de ce contrat serait une confession tacite de la défaillance de notre administration au vu de tous les éloges émis par diverses autorités du niveau national à l’endroit de KBP pour la bonne exécution des travaux.  Rompre ce contrat va affecter négativement les recettes et exacerber la fraude que la DGDA, l’OCC, la police et autres divers services frontaliers n’arrivent pas encore à  maîtriser. » D’après Kazembe, « KBP est le seul service qui dispose d’un logiciel  pouvant produire des statistiques fiables par rapport au péage et à la douane  et constitue un appui à la lutte contre la fraude. Grâce à son concours, les recettes douanières qui naviguaient autour de 92 millions de dollars par an, ont dépassé 500 millions (supplantant  tous les postes frontaliers) ». Quant  à la réfection de l’hôpital de Sendwe greffée dans le projet, le gouverneur du Haut- Katanga s’en justifie arguant  que l’hôpital risquait de « rester en état de ruine, d’autant plus que la trésorerie du gouvernement traverse une période difficile ». La réhabilitation de l’hôpital Sendwe a dû coûter les 2/3 des fonds mobilisés par Katanga Border Post, soit 20 millions sur les 30 millions de dollars pour l’exécution de la phase I du projet. Et, en conclusion, selon l’ARMP, l’ancien gouverneur du Haut-Katanga propose, une simple « révisitation du contrat… Un procès à ce sujet peut avoir un impact sur le Doing Business ».