Les pressions angolaises ont payé

Soulagement à Luanda, qui espère charrier tout le trafic de minerais congolais qui se fait actuellement par route à destination de l’Afrique. L’enjeu n’est pas sans conséquences politiques et économiques, laissent entendre des observateurs.

 

Arrêt sur image. La dernière fois qu’un lingot de cuivre a traversé la frontière pour être exporté via le chemin de fer angolais de Benguela date de 1981, selon les annales de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES). Et avec le déclin du trafic rail-fleuve-rail (Katanga-Ilebo-Kinshasa-Matadi), les minerais de la RDC passaient via la route par la Zambie et le Zimbabwe pour l’Afrique du Sud en vue de leur exportation. Lundi 5 mars, a eu lieu la cérémonie de réouverture au trafic de la voie ferrée Kolwezi-Dilolo.

Au-delà du symbole, l’événement a une importance économique majeure, expliquent des connaisseurs. D’après eux, l’Angola n’est pas n’importe quel voisin pour la République démocratique du Congo. Puissance militaire dans la région, pays producteur de pétrole, transition démocratique en soft landing, budget annuel de plus de 40 milliards de dollars… l’Angola cherche depuis des années à étendre « sa » puissance au domaine économique afin de « jouer pleinement un rôle de premier rang » dans le processus d’intégration régionale en Afrique. « Si la RDC n’a pas conscience qu’elle doit jouer le rôle de locomotive et de trait d’union économiques dans la région, les autres États vont devoir le faire à sa place. C’est ce qui arrive… », déclare un expert économique de la Commission de l’UA.

Dialogue et coopération

La réouverture de la voie ferrée Kolwezi-Dilolo – qui est en fait le prolongement du chemin de fer angolais de Benguela (Caminho de ferro de Benguela) – est donc un enjeu de taille. On sait que depuis un certain temps, Luanda ne cachait plus son agacement vis-à-vis de Kinshasa. Dans le cadre de la tripartite Angola-RDC-RSA, les trois pays ont convenu de réfléchir notamment sur les projets communs d’intégration régionale. Politiquement, la tripartite a été voulue au départ comme un « Mécanisme de dialogue et de coopération ». Les présidents Edouardo Dos Santos, Jacob Zuma et Joseph Kabila Kabange s’étaient mis d’accord sur la meilleure façon d’appliquer cet accord, en signant un « Mémorandum d’entente ».

Sur le plan économique, cet accord de coopération tripartite porte sur plusieurs projets d’intérêt commun, essentiellement sur les ports de Lobito (Angola) et Durban (Afrique du Sud), ainsi que sur le Grand Inga (RDC). Comme on le voit, Luanda est donc très soucieux de l’amélioration des réseaux routier et ferroviaire dans la région, ce qui stimulerait le transport des marchandises et des matières premières, et faciliterait les transactions et les négociations… Depuis 2016, le voisin angolais ne cachait plus sa nervosité de voir que la RDC ne faisait pas assez pour connecter ses réseaux de transport avec l’Angola. Objectif : attirer le trafic minier vers les rails, le port de Lobito étant donc le terminal tout indiqué pour les minerais du Katanga.

En novembre 2017, Luanda a dépêché à Kinshasa son ministre des Transports, Augusto da Silva Tomais, porteur d’un message de Joao Lourenço au chef de l’État Joseph Kabila Kabange. Pour les Angolais, le chemin de fer de la société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) devait être connecté avec le chemin de fer de Benguela, au niveau de la localité Luao à la frontière angolaise, même à titre expérimental, fin 2017. Luao est en face de Dilolo, côté RDC. Il a fallu donc réhabiliter le tronçon de la voie ferrée de Kolwezi à Dilolo, environ 20 km. Un contrat de partenariat a été signé par les ministres des Transports de la RDC et de l’Angola pour la réhabilitation du réseau SNCC, de Lubumbashi à Dilolo.

Le réseau SNCC et ses branchements

Le trafic de marchandises sur le réseau de la SNCC représentait environ 200 millions de tonnes en 2009, soit le 1/10 de ce qui était transporté dans les années 1970. Le Programme national de transport multimodal (PTM) financé en grande partie par la Banque mondiale réhabilite la voie ferrée (3 641 km) en mauvais état pour que la SNCC soit en mesure de remplir son rôle naturel de canal de transport des exportations de minerais dont le cuivre et le cobalt. Ces minerais sont largement transportés par la route en raison des tarifs discriminatoires appliqués par l’opérateur ferroviaire zambien. Les tarifs de fret ferroviaire s’élevaient encore à 0.15 dollar par tonne-km, soit presque trois fois plus que les tarifs pratiqués ailleurs en Afrique australe.

Le réseau de la SNCC fait partie du seul réseau ferroviaire intégré en Afrique sub-saharienne. L’interconnexion avec le réseau zambien permet au bassin minier du Katanga d’avoir accès aux ports de Durban et Dar-es -Salaam. La branche la plus importante de ce réseau relie Kolwezi, près de la frontière zambienne, à la ville de Kananga et plus loin à l’Ouest à Ilebo. La section entre Sakania et Kolwezi est particulièrement importante puisqu’elle devrait être le mode de premier choix pour les exportations de cuivre et de cobalt quittant la RDC pour le port de Durban.

Une autre branche relie les mines de Kisenge à la frontière angolaise. Elle constitue une voie alternative d’exportation de cuivre et de cobalt via le port de Lobito, ce qui aura l’avantage, grâce à la concurrence intermodale, de faire baisser les tarifs de fret pratiqués actuellement.

Promouvoir les échanges commerciaux

Luanda estime que la réhabilitation de la voie ferrée est porteuse de croissance, car elle contribuera à réduire la distance séparant les deux pays et aidera les opérateurs  à se fréquenter mutuellement. Pour le vice-1ER Ministre, ministre des Transports et des Voies des communications, José Makila Sumanda, la réhabilitation de la voie ferrée Lubumbashi-Dilolo va contribuer à booster l’économie nationale par le corridor sud.

Le chemin de fer de Benguela est en fait un trait d’union entre l’Océan Atlantique et l’Océan Indien. Il a été rouvert en 2014, après des années de guerre civile grâce à des investissements chinois (2 milliards de dollars). Cette voie ferrée passe pour une route loxodromique autant pour les exportations de minerais du Haut-Katanga que pour les importations d’équipements et engins destinés à l’industrie minière. La production de cuivre et de cobalt en RDC est en hausse depuis octobre 2016 à la suite de la reprise des activités de Kambove, Luisha Mining et KCC.