Les réseaux Soros en Afrique : « Entre contradictions et cynisme, la frontière est ténue… »

Mais que fait exactement le milliardaire George Soros en Afrique? Trois spécialistes des relations internationales, formés à l’Ecole de Guerre Economique, ont enquêté sur le sujet. Ils viennent de publier un livre: « Les réseaux Soros à la conquête de l’Afrique ». Deux des trois auteurs, Stéphanie Erbs et Vincent Barbé, ont bien voulu répondre aux questions de l’Agence Ecofin.

Agence Ecofin : Les fondations de Soros défendent-elles exclusivement des valeurs de transparence, de justice sociale, de libertés individuelles et de bonne gouvernance ?  

Soros : C’est bien leur credo mais, au motif de défendre ces grands principes, l’action de la fondation Soros et des ONG qu’il soutient déborde de la sphère humanitaire et sociale pour impacter le champ économique. Ainsi, par exemple, comme nous l’expliquons dans notre ouvrage, la fondation de George Soros, Open Society Foundations (OSF), via le Soros Economic Development Fund (SEDF) qui lui est rattaché, investit dans des sociétés ou soutient des programmes dans des secteurs ciblés, comme notamment le secteur agricole, contribuant au développement des biocarburants et des OGM. En outre, on observe que les réseaux Soros (fondations, ONG, media, relais institutionnels, conseillers et experts partenaires…) interviennent et militent pour modifier le cadre réglementaire et législatif dans certains pays dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, les secteurs minier et énergétique ou les télécommunications.

George Soros mène en Afrique, d’une part des activités d’investisseur à travers plusieurs fonds, et d’autre part des activités militantes ou philanthropiques à travers plusieurs fondations et ONG. Quels liens voyez-vous entre ces deux  volets ? 

Plus que des liens, nous avons notamment tenté de démontrer les contradictions entre certains investissements financiers de Soros (mines, pétrole, agrobusiness) et ses activités militantes ou philanthropiques. A titre d’exemple, il va soutenir des programmes favorisant le développement des OGM en Afrique alors que certaines ONG que finance Open Society Foundations mènent un combat contre ces mêmes OGM, comme par exemple Peasant Farmers Association Of Ghana. Entre contradictions et cynisme, la frontière est ténue…

En quoi le soft power américain de Soros se distingue-t-il, en Afrique, du soft power français, chinois ou marocain ?

La différence tient moins aux moyens employés qu’au discours et au positionnement de chacun. Forte d’une proximité historique, géographique et linguistique, la France joue beaucoup sur le registre du lien ancestral et de la fraternité. Arrivés plus tard sur le continent, les Etats-Unis ont mis en avant leur rayonnement de première puissance mondiale, figure à la fois protectrice et aspirationnelle, porteuse de valeurs universelles. A ces positionnements, la Chine a opposé le pragmatisme, se posant en modèle d’un succès économique atteignable par ses partenaires avec son aide, dans le cadre d’une relation d’intérêts bien compris. Quant au Maroc, il se positionne lui aussi dans le cadre de la coopératon Sud-Sud mais s’inscrit dans une posture d’exemplarité et de responsablité régionales, les tournées royales et l’intégration à l’Union africaine contribuant à nourrir l’idée d’une communauté d’identité et d’intérêt.

Vous prêtez à Soros le projet d’imposer en Afrique le biocarburant et les OGM. A ce jour, peut-on dire qu’il y soit parvenu ? 

Soros n’est qu’un maillon d’un vaste ensemble de fondations et d’organisations internationales qui militent pour le développement d’une agriculture intensive en Afrique, notamment en favorisant le développement des biocarburants et l’introduction des semences et fertilisants à « hauts rendements ». Parmi ces grandes fondations, on distingue notamment la Bill and Melinda Gates Foundation, chantre de « la révolution verte en Afrique » et ardent promoteur de l’introduction des OGM sur le continent. A ce jour, on ne peut pas dire que Soros et consorts soient parvenus à leurs fins, toutefois ils façonnent l’environnement à travers des modifications réglementaires, des partenariats avec les grands groupes semenciers internationaux mais aussi le soutien à des sociétés semencières locales ou encore des programmes d’assistance et de dons de semences aux petits paysans.

Vous citez, parmi les actions d’influence de Soros sur les médias, les cas de la Fondation Hirondelle et du Monde Afrique. Visez-vous particulièrement Serge Michel qui est membre du Conseil de l’un et rédacteur en chef de l’autre ? 

Nous n’avons à aucun moment visé Serge Michel et ne disposons d’aucune information concernant les relations qu’il pourrait entretenir avec George Soros. On notera toutefois avec intérêt qu’outre les éléments que vous mentionnez, l’intéressé est par ailleurs co-fondateur du Bondy Blog et membre de l’ICIJ (l’International Consortium of Investigative Journalists qui s’est récemment distingué dans le cadre des Panama Papers, NDLR), tous deux connus pour avoir également bénéficié de subsides de la fondation Soros.

Quand on observe RFI, France 24, Le Monde Afrique, le Point Afrique, Jeune Afrique, La Tribune Afrique, Slate Afrique, etc., peut-on dire que Soros et plus généralement les USA, déploient plus de moyens que la France pour influencer l’Afrique ?

Nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments d’analyse et de comparaison sur ces supports pour répondre sur cette base, mais la volonté des Etats-Unis d’accroître leur soft power en Afrique est effectivement un élément que nous soulignons dans le livre, tandis qu’a contrario l’apparent recul du soft power français sur le continent africain est un constat que font nombre d’observateurs. Cela étant, les changements récents à la tête des deux Etats pourraient contribuer à modifier la donne.

Pourquoi, politiquement, Soros serait-il favorable à Alassane Ouattara ou à Helen Johnson Sirleaf, mais opposé à Joseph Kabila, à Paul Biya ou à Ali Bongo ? 

Les trois derniers ont en commun les doutes qui planent quant à la validité de leur élection et/ou leur volonté de se maintenir au pouvoir au mépris des règles constitutionnelles de limitation des mandats ; le respect des libertés fondamentales dans leurs pays respectifs est par ailleurs régulièrement mis en doute. Issus du « système » (tous deux ont travaillé pour les Nations Unies), Ellen Johnson Sirleaf et Alassane Ouattara affichent un plus grand respect du jeu démocratique. Pour autant, comme nous le soulignons dans le livre, ils ne sont pas exempts d’une surveillance de la part des ONG subventionnées par Soros, qui n’hésitent pas à dénoncer d’éventuels manquements en termes de gouvernance.

Vous affirmez que l’association Sherpa de William Bourdon est soutenue par Soros. Ainsi, Soros serait-il impliqué dans les procédures dites des Biens mal acquis ? 

Nous n’avons pas d’information nous permettant d’affirmer l’existence d’une implication directe, mais il est effectivement avéré que la fondation de George Soros, OSF, et plusieurs ONG qu’il finance (Amnesty International, Global Witness ou encore Human Rights Watch), ont été ou sont partenaires de Sherpa, l’association qui est à la manœuvre dans la procédure dite des Biens mal acquis. Et on peut souligner que le premier financement de Soros à Sherpa dont nous ayons la trace coïncide avec l’année de dépôt de la première plainte, en 2007.

Soros est-il à la manœuvre contre la gouvernance très contestée de Jacob Zuma en Afrique du Sud ? 

Sans aller jusqu’à dire que Soros serait à la manœuvre contre le Président Zuma, on note que les réseaux Soros « soutiennent avec bienveillance » une partie des opposants et détracteurs du Président sud-africain Jacob Zuma. On pourra notamment citer l’Open Democracy Advice Centre (partie prenante de la campagne Save South Africa), qui bénéficie de subventions d’Open Society Foundations for South Africa (OSF-SA), mais aussi le collectif de journalistes Amabunghane, également financé par OSF-SA, et qui est à l’origine de nombreuses révélations concernant les affaires de corruption du clan Zuma.

Est-il engagé contre les mouvements terroristes tels que AQMI, Boko Haram ou les Shebabs ?

Bien que certaines des ONG qu’il finance publient des rapports sur la question – on pensera notamment à Amnesty International ou Human Rights Watch -, on ne peut pas vraiment dire que George Soros témoigne d’un tropisme particulier pour la problématique terroriste.

Au final, diriez-vous que le bilan de son action philanthropique est plutôt positif ou négatif pour l’Afrique ?

Il est difficile de répondre de manière globale à cette question. L’action de Soros diffère en effet d’un pays à l’autre du continent. Par ailleurs, nous n’avons pas mis en place à ce jour d’indicateurs permettant de répondre en toute objectivité à cette question. Intuitivement nous serions tenté de dire que si ponctuellement son action peut revêtir des aspects positifs, plus généralement elle vise à soutenir des intérêts qui, à terme, ne sont pas forcément ceux des peuples africains.