Les retombées commerciales du festival Amani 

Les rideaux sont tombés sur la 4è édition (10-12 février). Pour les prochaines éditions, les organisateurs projettent de faire de l’itinérance pour « porter le message de la paix dans d’autres localités du Kivu ».

Le festival de musique Amani (paix) qui se tient à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu est une aubaine pour les commerçants et opérateurs économiques de cette ville. Plus de 33 000 personnes sont venues participer (10-12 février) à ce rendez-vous culturel dont le but est de promouvoir la paix et la réconciliation. Du point de vue des affaires, commerçants et hommes d’affaires se frottent les mains car les retombées financières de l’événement ne sont pas négligeables. Les restaurateurs et les hôteliers ont accueilli de la clientèle plus que d’habitude. Cependant, les plus heureux, ce sont ceux qui ont eu des stands sur le site du festival, le terrain du collège Mwanga. Une restauratrice témoigne avoir vendu de la bière et de la nourriture trois fois plus que le week-end.

Pour nombre d’artistes (naturel !) mais aussi de petits commerçants, le festival est une vitrine pour faire connaître et vendre leurs produits, notamment de l’artisanat, aux spectateurs venus de partout. Pas facile pendant le festival de trouver une chambre d’hôtel à Goma. Les festivaliers sont réputés bon vivants : ils boivent, ils mangent et ils s’amusent. Avec des clients qui dépensent l’argent, les restaurants et les hôtels ont réalisé des bonnes affaires, laisse entendre un participant venu de Kinshasa. Les habitants de Goma souhaitent que ce festival perdure parce qu’il permet d’attirer non seulement des spectateurs, mais aussi des touristes et des investisseurs.

Pour les organisateurs, le festival Amani reste avant tout une fête de la musique pour la paix et la réconciliation. Mais les retombées économiques sont indéniables. C’est pourquoi, l’idée d’en faire une activité itinérante est accueillie chaleureusement à Beni, Butembo et Bukavu. Cependant, les organisateurs pensent d’abord à l’organiser Rutshuru ou Walikale, deux territoires dont plusieurs villages regorgent encore de groupes armés.

Au cours de cette 4è édition, un concours d’entrepreneurs (business plan) a été encore organisé, comme l’année dernière, pour soutenir les jeunes entrepreneurs locaux. Ce concours permet de sélectionner dix candidats qui pourront bénéficier d’une bourse (prêt à taux zéro) de 1 000 dollars pour  soutenir des projets « à forte valeur ajoutée » et d’une formation en management. Par ailleurs, l’accent a été mis sur l’accompagnement des initiatives de développement local, notamment à travers la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes.

Quel impact sur la paix ?

Depuis deux décennies, le Nord-Kivu est le théâtre d’affrontements entre milices et groupes armés locaux et étrangers. Si une paix relative est observée dans les grands centres urbains, à l’instar de Goma ou Bukavu, plusieurs localités de cette province échappent encore au contrôle de l’État. Des populations se retrouvent sous le joug des groupes armés ou de bandits armés qui sèment la terreur et la désolation. À l’issue de chaque édition, les organisateurs évaluent l’impact réel de la manifestation culturelle sur la pacification du Nord-Kivu. Au-delà de ces trois jours de concert, qui réunissent chaque année à Goma des artistes locaux, régionaux, internationaux ainsi que des groupes traditionnels, l’initiative du Belge Éric de Lamotte ne s’inscrit pas dans un registre de plaidoyer ou de lobbying pour la paix. « Notre rôle consiste plutôt à rassembler les différents acteurs – autorités politiques, diplomates et membres de la société civile – autour de cette aspiration du peuple pour la paix », souligne Anne-Laure der Wielen, la chargé de communication du festival.

Fabregas ouvre le festival 

Le festival Amani, édition 2017 a été ouvert le 10 février à Goma, sur fond d’hommage à l’un de ses bénévoles tué (Djoo Paluku) la veille par un policier ivre commis à la garde du site. D’ailleurs, la 4è édition a failli être annulée. « On y a sérieusement pensé », a avoué Anne-Laure Van der Wielen. Cependant, ce rendez-vous culturel annuel le plus attendu dans la région des Grands Lacs a été maintenu suite à l’appel des amis du bénévole tué. « En fait, c’était la seule manière de lui rendre hommage », a expliqué Van der Wielen. Elle qui n’a pas pu retenir son émotion puisqu’elle a suivi des leçons de danses traditionnelles auprès de la victime. Dans la foulée, la grande scène du festival a été renommée « scène Djoo Paluku ».

Le chanteur Fabregas (Kinshasa) a été le premier à monter sur cette scène. Un monde fou s’était rassemblé devant le podium. « Ne touche pas à mon pays ! », ose ce jeune artiste kinois entre les pas de danse « Ya Mado » et « Tengama ». Le public est conquis, les paroles de ses tubes chantées en chœur ! « Je suis venu apporter un message d’amour à mes frères et sœurs de l’Est », a expliqué le chanteur à la fin de sa prestation très dansante. « Malgré ce qui s’est passé dans le Kivu, ils doivent bâtir désormais leur avenir sur l’amour.

Ainsi, le mal n’aura plus de place. », a-t-il lancé. Allusion aux différents conflits armés qui ont secoué les Grands Lacs ces deux dernières décennies. Il a été appelé pour remplacer JB M’Piana, empêché. Fabregas poursuit une carrière en solo après avoir évolué aux côtés de Werrason  dans Wenge Maison Mère. Le jour suivant, Jean Goubald Kalala, une autre star de la scène kinoise, a également été attendu à Goma. De même que plusieurs artistes internationaux, à l’instar de Boddhi Satva et son ancestral soul ou le groupe kényan d’afro-pop Sauti Sol, très plébiscité ces dernières années par les divers awards du continent. Côté rwandais, Mani Martin… qui a enflammé la foule lors de l’édition 2015, a été de la fête. L’Ouganda a été représenté entre autres par la dj Kampire qui fait danser Kampala.

Jean Goubald Kalala (Kinshasa) a tenté de faire passer le même message de paix via ses textes. Et après le passage de plus de 30 groupes d’artistes d’ethnies et nationalités différentes conviées à Amani 2017, le célèbre groupe kényan Sauti Sol a clôturé dimanche 12 février l’événement avec ses rythmes très afro-pop. Ce groupe kényan fait bouger ces dernières années tout l’Est de l’Afrique. Et le quatuor n’a pas déçu. Son répertoire très dansant, aux rythmes de l’afro-pop, flirtant entre le gospel et la musique mondaine, a su tenir la foule en haleine plus d’une heure. « C’est sans doute le meilleur spectacle de toutes les éditions », a soutenu un festivalier venu « célébrer la paix avec le reste du monde »… L’initiative d’Éric de Lamotte a mûri et continue d’attirer du monde dans la capitale du Nord-Kivu. Mais le concept n’a pas changé. Le festival reste une rencontre d’échange et de partage entre les artistes de la région. Objectif : encourager la paix à travers la musique et la danse. Une façon surtout de vendre une autre image des Grands Lacs, cette partie du continent trop souvent associée aux conflits armés et aux violences sexuelles faites aux femmes.

Une baisse des financements

Contrairement aux précédentes éditions, les organisateurs ont prévu de faire durer la fête avec des concerts privés : des after party agrémentés par des stars présentes à Goma, aux côtés de DJ’s venus de Belgique, de Grèce, d’Ouganda et de la RDC. « Cette nouveauté vise également à pallier la baisse de financement du festival en ce contexte tendu », ont-ils expliqué. Le festival a tenu aussi à donner un coup de pouce aux artistes locaux, préalablement sélectionnés par la population, en leur permettant de monter sur scène devant les spectateurs. Une enveloppe de 1 000 dollars et un soutien technique ont été également mis à la disposition de certains pour les aider à réaliser leurs projets artistiques.