Les ventes et les locations ont du plomb dans l’aile

D’habitude, c’est pendant les grandes vacances qui voient les Congolais expatriés revenir au pays que le secteur du logement connaît une embellie. Cette année, c’est la morosité qui prime. 

Un complexe résidentiel à la Gombe.
Un complexe résidentiel à la Gombe.

Il fallait s’y attendre : les effets de la crise financière mondiale de 2008 se font encore sentir. Ils n’ont pas épargné les Congolais de l’étranger qui séjournent à Kinshasa. Selon eux, vivre en Europe ressemble fort, désormais, à un parcours du combattant. Il devient difficile, plus qu’avant, de mettre de l’argent de côté en vue d’acheter une maison au pays natal. Les gens de la profession reconnaissent, volontiers, que les ventes sont en chute libre. Conséquence : des baisses de prix un peu partout en dépit de nombreux chantiers qu’on observe à travers la capitale.

Espoirs déçus.

Pourtant, les agents immobiliers – les commissionnaires comme on les appelle à Kinshasa – fondaient leurs espoirs sur les Congolais de l’étranger. Souvent, quand ils viennent pendant les grandes vacances ou pour les fêtes de fin d’année à Kinshasa, ces Congolais boostent le marché de l’immobilier kinois. Tel n’est pas le cas, cette année. « Si cela se reproduit en décembre, je mettrai la clé sous la porte», affirme cet agent immobilier installé depuis plus de vingt ans sur le boulevard du 30 Juin. « De mémoire de professionnel », dit-il, « on n’avait jamais vu ça ou presque : le marché de l’immobilier s’est quasiment arrêté ». «Si, en 2008, les transactions étaient de plus en plus rares, les acheteurs sont devenus prudents, bien que les prix se soient stabilisés», explique-t-il.

Dans l’ancien, la chute des transactions serait de 40%. Dans les communes, comme Matete et Lemba, les maisons construites avant l’indépendance voient leur valeur marchande baisser. Par exemple, un duplex à Matete – sans aménagement – coûte actuellement entre 40 mille et 60 mille dollars contre 80 et 100 mille dollars en 2014.

Dans le neuf, on noterait un recul de 37,6% par rapport à 2014. Les prix ont commencé à fléchir sérieusement : à Kinshasa, selon des commissionnaires, on a constaté une baisse générale (d’achat) en fin d’année. Dans les quartiers huppés (Ma Campagne, Gombe, Limete, Mont Ngafula, Righini, etc.), les villas ne trouvent plus, ou presque, des preneurs. Conséquence : des villas dont la valeur était estimée à 800 mille dollars, en 2014, sont vendues actuellement entre 500 et 600 mille dollars.

La tendance baissière va se poursuivre encore jusqu’en 2016, pronostique un autre agent immobilier. «En effet, en mai-juillet ou décembre-janvier, ce sont nos compatriotes expatriés qui rentrent au pays pour acheter des maisons. Or, ils nous disent que la crise financière en Europe ne leur permet pas d’épargner comme avant», confie-t-il. Même réalité dans les principales villes de province notamment à Lubumbashi. C’est à la fin de l’année 2008 que la baisse des prix a été le plus violente : -51%.

La surenchère

Ce ralentissement à Lubumbashi est aussi la conséquence de la chute des cours des minerais. Les étrangers qui y avaient afflué sont repartis, parfois sans crier gare. «Ce ralentissement était inévitable. Pour au moins trois raisons. D’abord, la crise financière a eu un fort impact sur les minerais et, donc, sur l’économie. Elle a freiné le marché de l’accession aux maisons individuelles. Ensuite, les prix avaient probablement atteint le sommet et, surtout, dépassaient nettement la capacité de financement des ménages, du fait de la surenchère. Chacun de ces points avait déjà été relevé par la plupart des experts, mais c’est la perte du pouvoir d’achat qui a agi comme révélateur », constate Christian Lumbala, patron d’une agence immobilière dans la capitale du cuivre.

S’ajoute à cela un contexte économique particulièrement inquiétant. La crise plombe durablement le moral des ménages, dont la confiance est tombée au plus bas. Beaucoup de Congolais ont le sentiment que c’est le bon moment pour acheter un logement, mais l’argent fait défaut. D’autant que le chômage, endémique, prend l’envol, que la récession risque encore de s’aggraver. Depuis 2009, le nombre des sans-emploi ne cesse de gonfler : quelque 150 mille personnes par an, selon une étude. La dégradation du pouvoir d’achat s’est aussi accentuée. Résultat : au lieu d’économiser pour acheter une villa ou un appartement, ceux qui en ont les moyens préfèrent désormais acquérir un lopin de terre pour construire petit à petit. C’est ainsi que Kinshasa connaît le phénomène «Kata kata» ou «demi-terrain», autrement dit le morcellement d’une parcelle en plusieurs entités vendues à des acquéreurs différents. A Righini, par exemple, une superficie de 25 m sur 20 m coûte entre 20 mille et 30 mille dollars.Libanais et Indopakistanais arpentent la ville, à la recherche des maisons ou des parcelles en vue d’y construire des complexes commerciaux ou des appartements. Alors que des entreprises chinoises construisent pour compte de l’État ou des privés des immeubles de plusieurs niveaux à vocation commerciale et/ou résidentielle à Gombe, Limete, etc.

Galère des locataires

Quand les prix des maisons baissent, ceux des loyers s’envolent. Partout dans le pays, le marché locatif flambe. À Kinshasa, les commissionnaires mettent en avant la rareté des maisons due la surpopulation. Or les locataires les accusent d’être au coeur de la surenchère pour gagner gros. La commission représente un mois du loyer.

Elle est versée en dehors de la garantie locative qui va de 3 (officiellement) à 10 mois dans la capitale. À Kinshasa et Lubumbashi, les loyers avaient augmenté plus vite à cause du boom minier. Aujourd’hui, c’est plus à cause de l’inflation et de l’accroissement de la communauté chinoise.

L’obsession d’être propriétaire

À cela s’ajoutent les bizarreries du marché immobilier. Et pourtant, tous les professionnels sont unanimes : partout à Kinshasa, les agences se remplissent.

Crise ou pas crise, le besoin de se loger et d’avoir son propre toit reste aussi fort, pour des raisons démographiques (il y a toujours moins de logements et plus de demandes) et sociétales (divorces, mutations…). La galère des locataires tire son origine, entre autres, de l’exode rural non contrôlé des jeunes, qui débarquent à Kinshasa ou dans les autres grandes villes du pays à la recherche d’une vie meilleure. «Les loyers continueront à s’ajuster sous la pression des demandeurs», déclare un commissionnaire.

Dans le contexte congolais, il est difficile d’économiser pour acheter quand les loyers n’ont cessé, depuis vingt ans, d’amenuiser le pouvoir d’achat. Yvonne Ngalula, employée dans une banque de la place, se souvient de ce qu’elle a enduré comme souffrance à la recherche d’une maison de location. «Contacter les commissionnaires pour un appartement, c’est comme un entretien d’embauche», confie-t-elle. Pour décrocher un appartement dans le centre-ville, il lui a fallu le bienveillant coup de pouce de la mère d’une amie bien introduite dans les milieux du pouvoir.

Pour elle, la location reste une course d’obstacles. Dans certaines communes, comme Lemba, Bandalungwa, notamment, il faut s’armer de patience. La battue peut durer plus d’une année. Et les prix sont constamment revus à la hausse.

Dans les zones urbaines, il faut apprendre à arbitrer entre surface et trajet. Et, souvent, fuir le centre-ville, trop coûteux. Les jeunes ? «Ils habitent chez leurs parents», souligne Yvonne Ngalula. «Les prix sont toujours élevés. Un studio à 100 dollars (à Salongo ou Righini dans la commune de Lemba), c’est trop pour un jeune», déplore Francis Pini, étudiant à l’Université de Kinshasa. D’où une montée la colocation gagne de plus en plus les jeunes.