L’Est va encore peser lourd sur l’échiquier électoral national

Les jeux sont faits certes, mais les dés ne semblent pas encore jetés ou pipés. L’opposition a intérêt de présenter un seul candidat au lieu d’aller dans l’arène en ordre dispersé. Encore que celui-ci doit être de l’Est. La victoire finale est à ce prix, analysent des observateurs avertis.

POUR QUINZE raisons dont quatorze sont sans grande importance, Joseph Kabila Kabange semble avoir carrément misé une pièce sur les origines ethniques de son dauphin, même s’il n’aime pas vraiment ce terme. L’Est. Cinquante-huit ans, diplôme des sciences politiques et administratives, Emmanuel Ramazani Shadary est un Mubangubangu, originaire du territoire de Kabambare dans la province du Maniema. Un territoire peuplé par deux grandes tribus, Bangu Bangu et Babuyu, ainsi que par la minorité pygmée (Twa) et des peuples venus d’autres territoires ou provinces comme les Bashi du Sud-Kivu qui constituent la grande communauté des opérateurs économiques, et des pays voisins comme la Tanzanie.  

« Il y a un combat entre l’Est et le reste du pays à l’élection présidentielle. On sait que par deux fois l’Est l’a emporté », fait remarquer ce politologue qui a requis l’anonymat. Pour lui, rien à faire, le vote identitaire c’est l’enjeu de cette élection au scrutin à un seul tour. « À l’opposition, on devrait se poser des questions au lieu de se réjouir de l’évolution récente du président. Si tous les candidats de l’opposition ne se mettent pas d’accord autour d’un nom, encore qu’il soit de l’Est, alors le combat est perdu d’avance. On va dire que je suis de parti pris mais je crains tout, connaissant l’intelligence et le tempérament des politiciens congolais », fait-il remarquer.

Katumbi exit, qui alors ?

Alors que l’affaire Katumbi cristallise le mécontentement, notamment au Katanga, plusieurs à l’opposition misent sur Jean Pierre Bemba, le challenger de 2006. Certes, JPB pèse lourd dans la balance, mais il a pour handicap de ne pas être originaire de l’Est, qui représente 60 % des voix à l’élection présidentielle, ne l’oublions pas. Pour nombre d’observateurs, Moïse Katumbi Chapwe, originaire de l’Est au sens politique large du terme, donc swahiliphone, comme Ramazani Shadary, est le seul à pouvoir battre ce dernier sur ses terres, vu son aura.

Un conseiller politique du président nous a dit que c’est fini pour l’ancien gouverneur du Katanga. « Il ne sera jamais président de la RDC tant que Kabila sera là », confie-t-il. Et il nous demande de le tenir pour acquis. D’ailleurs, le camp du président continue de multiplier les ennuis judiciaires à l’encontre de MKC comme pour l’empêcher de revenir au pays avant les élections.

Sur le fond de la politique, Moïse Katumbi exit, seul Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi se positionne désormais comme seul véritable candidat de la coalition de l’opposition, originaire de l’Est. À 59 ans, né à Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, diplôme d’économie et un brillant parcours politique, VK est un Shi, peuple bantou sur plusieurs territoires : Walungu, Kabare, Mwenga, Kalehe, Uvira, avec une forte présence à Bukavu. Depuis son éviction du perchoir de l’Assemblée nationale, à la tête du parti Union pour la Nation Congolaise (UNC), se voyait déjà dans le costume du président de la République.

Cependant, il y a un mais qui compte : l’opposition acceptera-t-elle de faire son union sacrée et son unité autour de VK pour battre le candidat du président ? « Quelle empreinte a-t-il laissée chez les Congolais ? Que gardent-ils en mémoire de Kamerhe? », se demande l’un des soutiens de Kabila interrogé par Business et Finances. « C’est une vision chimérique ! » 

À la MP, on a réussi évidemment à dépeindre l’image de Kamerhe : « C’est quelqu’un qui a trahi Kabila ». À l’opposition, bon nombre ne le supportent pas, le qualifiant de « faux opposant », suite à la déclaration tonitruante de Francis Kalombo, alors président de la ligue des jeunes du PPRD, avant l’élection présidentielle de 2011 à laquelle Kamerhe est arrivé en 3è position, derrière Joseph Kabila, réélu président, et Etienne Tshisekedi, l’opposant historique. 

Pour leur part, les proches de Vital Kamerhe affirment qu’il n’est pas à la manœuvre pour être le candidat de l’opposition. Mais il ne va pas bouder son plaisir si ses pairs lui font cet honneur. Au-delà des déclarations d’intention des uns et des autres et au-delà d’interprétations hasardeuses que l’on entend ici et là, on ne voit point pour le moment de front largement ouvert en faveur de VK pour affronter en décembre le candidat unique de la MP, disons du Front commun des Congolais.

Les leçons de l’histoire

L’histoire politique nous offre les leçons du vote identitaire, notamment en Afrique. Prenons l’exemple du Kenya. Un Kikuyu vote toujours un Gikuyu. Un peu d’histoire. La tribu kikuyu, bantoue, la plus importante (22 % de la population) et la plus populaire du Kenya, est connue comme celle qui exerce une grande influence politique et économique dans ce pays. Jomo Kenyatta, le premier président, était un Kikuyu. 

À sa mort en août 1978, Daniel Arap Moi, issu d’une tribu minoritaire (les Kalendjins venus du Soudan qui constituent le 4è grand groupe ethnique, 12 % de la population) lui succède, en sa qualité de vice-président, conformément à la constitution du pays. En 1960, avec Ronald Ngala, il avait créé un parti politique, Kenya African Democratic Union (KADU). Après l’indépendance du Kenya le 12 décembre 1963, Moi décida de dissoudre le KADU qui s’est fondu dans le parti Kenya African National Union (KANU) fondé par Jomo Kenyatta pour défendre les tribus minoritaires du Kenya. Et en 1967, il devient vice-président de Kenyatta. 

D’octobre 1978 à 2002, Moi accomplira quasiment cinq mandats. En 2002, ne pouvant se représenter, et par instinct de conservation du pouvoir, il surprend tout le monde en annonçant qu’il soutiendra personnellement le jeune et inexpérimenté Uhuru Kenyatta, un Kikuyu de surcroît fils du premier président de la République (1964-1978), comme candidat du KANU à l’élection présidentielle. Colère chez les alliés, dont un certain Raila Odinga, qui décidèrent de faire bloc autour de Mwai Kibaki, un Kikuyu, doyen de l’opposition et chef du parti National Rainbow Coalition (NARC) qui l’emporte avec 61,30 % contre 30,20 % à Uhuru en décembre 2002. Ce dernier devint alors le chef de l’opposition. En décembre 2007, Uhuru Kenyatta soutint cependant la réélection du président Kibaki et retrouva alors son poste au gouvernement. 

En avril 2008, il devint vice-1ER Ministre dans le gouvernement de coalition dirigé par Raila Odinga issu de la tribu luo (peuple nilotique). En 2012, il est poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, commis lors des violences post-électorales. Après les deux mandats de Mwai Kibaki, Uhuru gagne l’élection présidentielle de mars 2013, au premier tour, opposé à Raila Odinga, avec 50,07 % des voix. Puis en août 2017, de nouveau opposé à Raila Odinga, Uhuru Kenyatta remporte les élections. Suite à la contestation de l’opposant, une nouvelle élection a eu lieu sur décision de la cour. En octobre 2017, Uhuru est encore élu ou réélu. 

Demande sociale ?

Comment expliquer la prégnance des aspirations identitaires lors du vote ? Traduisent-elles une demande sociale de plus de cohésion ? Comment répondre à cette question politique ? Selon la sociologie électorale, outil indispensable pour tenter d’évaluer ce qu’il représente, le vote identitaire est un vote dont les ressorts s’expliquent par l’adhésion à une identité particulière. Il se traduit souvent par un rejet de celles et ceux qui sont considérés comme ne faisant pas partie de sa communauté culturelle.

Beaucoup de Congolais souhaitent que l’opposition aille à l’élection présidentielle unie et que tous les candidats se mettent autour de la table, selon une formule politique à l’allemande. « Cette hypothèse pourrait favoriser l’alternance démocratique à l’issue des élections parce que la classe sociale, l’ethnie et la religion sont des facteurs explicatifs du sens du vote en Afrique », souligne le même politologue. « Si l’individualité et la rationalité du vote, dit-il, ne sont pas totalement absentes, elles sont néanmoins loin d’être la chose la mieux partagée par la majorité des électeurs africains. » 

La carte électorale de certains pays montre que les candidats réalisent toujours leurs meilleurs scores dans leurs territoires d’origine et, plus largement, dans leurs communautés ethnolinguistiques. Quant aux partis, en dehors de l’élection des fils du terroir, leurs meilleurs résultats sont réalisés dans les communautés d’origine de leurs leaders. Jusque-là, les résultats électoraux attestent le caractère ethnique de la vie politique en Afrique.

Ramené dans le contexte congolais, il ressort que les populations de l’Est votent majoritairement pour les candidats originaires de l’Est et le reste du pays (Ouest et Centre) pour les candidats de l’opposition, avec à la clé le saupoudrage des suffrages. Le lien ethnique avec le candidat est plus décisif dans le choix de l’électeur que la consigne de vote du parti.

En conséquence, les facteurs sociologiques qui influencent le vote en Afrique font que les élections n’ont pas le même sens qu’en Occident. Ajouté à cela le marchandage du vote ou la politique du ventre. La période préélectorale est une véritable kermesse où voix et billets de banque sont échangés entre électeurs et candidats. Cette situation fait du candidat sortant le favori de fait car utilisant le plus souvent les moyens de l’État. Le vote identitaire est sans doute lié aussi à l’extrême pauvreté dans laquelle vit la majorité des populations. La stabilité démocratique dépend du bien-être économique des citoyens. Le marchandage du vote et le vote du sang ou de cœur ont dépouillé les élections de leur sens en faisant de l’alternance par les urnes, une arlésienne.