L’État mise sur l’aide extérieure pour financer l’industrie de la pêch

L’interdiction par le ministre du Commerce extérieur de l’importation des tilapias en provenance de la Colombie, l’Équateur, l’Egypte, Israël et de la Thaïlande, relance, du coup, la problématique de la production locale des poissons.

La pêche et l’élevage constituent, à ce jour, un ministère distinct de l’Agriculture. Et le gouvernement a donné quelques signaux marquant sa volonté de relancer le secteur de la pêche en République démocratique du Congo. L’État a, par exemple, gelé la taxe d’octroi de permis de pêche (industriel et semi- industriel) pour l’exercice budgétaire 2017, quand bien même qu’au premier trimestre de cette année, il a, à travers la Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et de participations (DGRAD), perçu quelque 331 325 francs de cette taxe.

Le gouvernement a également réduit de moitié les prévisions des recettes sur la taxe sur l’autorisation d’importation de nouvelles espèces de poissons par rapport à 2016, soit de 8.4 millions de francs à 4.4 millions. D’ailleurs, en 2016, ladite taxe n’avait rapporté que 2.4 millions. Et en 2015, sur des assignations de 7.5 millions, la taxe sur l’autorisation d’importation de nouvelles espèces de poissons n’a rapporté que 1.7 million de francs. Mais pour ce qui est de la taxe sur le permis d’exploitation du matériel de pêche placé dans les engins et embarcations (ligne en main, traine, palangre, filet, senne, chalut…), l’État escompte au moins 9.2 millions de francs.

Cependant, cette taxe n’a jamais atteint 10 millions de francs depuis 2012. En 2015, par exemple, sur 71.3 millions de francs attendus, moins de 4 millions ont été versés par les exploitants artisanaux et industriels du secteur. En 2016, le taux de réalisation n’a été que de 3,24 %, soit 5,1 millions de francs sur 160.4 millions des prévisions. Au premier trimestre de 2017, alors que les assignations ont été considérablement revues à la baisse, soit 40 millions de francs, les recettes réellement captées ont dépassé les 8 millions.

L’appui des partenaires extérieurs

Le ministère de la Pêche et de l’Élevage constitue à ce jour un portefeuille à part entière. Mais dans le budget pour l’exercice 2017, il demeure emberlificoté au ministère de l’Agriculture auquel le gouvernement a collé des assignations de plus de 15 millions de francs. Toutefois, dans son budget des dépenses 2017, le gouvernement a prévu quelque  58.2 milliards de francs d’appui à la pêche. Mais cet argent est attendu des partenaires extérieurs. Et il représente le gros du budget total du secteur de la pêche et de l’élevage, soit 64.5 milliards de francs. La Banque africaine de développement (BAD) devrait avoir terminé, fin juillet, les études sur les types de poissons qui feront l’objet d’un ambitieux projet de pêche dans le lac Albert. La BAD a, pour ce faire, consacré une somme de 700 000 dollars pour ces études devant prévenir toute extinction d’une espèce ou d’une autre parmi les ressources halieutiques du lac Albert, ex-lac Mobutu.

Pour rappel, la Banque africaine de développement finance la RDC et l’Ouganda pour la gestion intégrée de la pêcherie en ressources en eaux lacustres. À court terme, il s’agit d’entreprendre le balisage, la sécurisation de deux lacs avec leur zone de frayère ainsi que leur délimitation avant de lancer une industrie de pêche. Le lac Edouard passe, en effet, parmi les cours d’eau quasi-fermés les plus poissonneux du monde et suscite des tensions communautaires entre populations bordières. Début 2017, des miliciens Maï-Maï avaient occupé nombre de petits ports de pêche de la région et même Vitshumbi, où ils ont imposé une taxe de 150 dollars par pirogue de pêche. Une année plutôt, la société civile du territoire de Lubero avait convié les autorités du Nord-Kivu à interdire la vente des alevins et sanctionner les auteurs impliqués dans la pêche illicite sur le lac Edouard.

Elle s’est particulièrement inquiétée de la diminution sensible des tilapias. La société civile de Lubero a notamment déploré des cas d’assassinat, des blessés par balles, des taxes illégales et des arrestations arbitraires qui troublent la quiétude des communautés dans la côte du lac Edouard. Selon une étude qui remonte à 2013, la consommation annuelle des poissons en RDC est estimée en moyenne à 5,6 kg par personne. Ce qui est nettement inférieur à la norme internationale recommandée par l’organisation mondiale pour l’alimentation (FAO), soit une consommation annuelle de 21 kg par habitant.

Consommer local

Toutefois, la consommation des poissons importés (chinchards et tilapias particulièrement) se serait accrue à Kinshasa. Selon des estimations du ministère du Commerce extérieur, les importations des poissons seraient de 270 000 tonnes l’an. Dans la capitale, les poissons locaux coûtent cher, plus que les poissons importés. Ce qui est tout le contraire dans les grandes agglomérations de l’arrière-pays. Selon nos sources, la plupart des chambres froides de la capitale traîneraient encore à expédier leurs lots de cartons des tilapias à l’incinération. Sur le marché kinois, le carton des tilapias se négociait encore à la fin de la semaine dernière à moins de 50 000 francs.

Il nous revient que, pour contraindre grossistes et détaillants à ne plus vendre du tilapia, des inspecteurs du ministère de l’Économie et des agents de l’Office congolais de contrôle (OCC) s’emploieraient à des vérifications dans les grandes surfaces, les chambres froides et autres commerces des vivres frais dans la capitale. Selon la loi, même la Direction générale des douanes et accises (DGDA) est en droit d’envoyer ses agents sur le marché pour récupérer les poissons importés et impropres à la consommation. Il y a quelques années, des agents de la douane avaient fait incursion au Grand-Marché de Kinshasa (Zando) pour arracher les pagnes dits « Wax Sosso », frauduleusement importés de la Chine.

Les pêcheurs de Kisangani ont appelé les autorités provinciales à équiper le site Wagenia sur le fleuve Congo à l’entrée de cette ville. Ce site, selon eux, est confronté à plusieurs difficultés: la surpêche, l’utilisation des filets à maille prohibées et des moustiquaires imprégnées à l’insecticide comme filets, la destruction de la biodiversité, la disparition de certaines espèces halieutiques… Sur cette liste, le président des pêcheurs a ajouté le manque des chambres froides pour la conservation des poissons frais ainsi que le manque d’équipements pour une pêche moderne. Du temps où il était gouverneur de la province-Orientale avant le découpage territorial de 2015, Jean Bamanisa avait, pour sa part, promis de mettre à la disposition des pêcheurs plusieurs équipements, dont des grands congélateurs afin de valoriser davantage cette activité. Hélas, les raisons politiques ont noyé le projet à ce jour. Wagenia, ça n’est plus qu’histoire.