L’État se désengage lentement mais sûrement de SEP Congo

 Le sort de cet établissement semble avoir été décidé lors du 1er séminaire de réflexion sur son avenir (8- 9 juin) à Kinshasa. Si le gouvernement n’y assure pas l’effectivité de son pouvoir en vue de son redressement, eh bien, ça sera la faillite. 

 Selon le directeur général du Service des entreprises pétrolières, connu surtout par ses initiales, SEP Congo, François Créma Deillis, l’établissement public vit peut-être ses derniers jours à cause de la concurrence déloyale mais féroce des produits pétroliers en provenance de Lufu, Muanda ainsi que de toutes les localités riveraines du fleuve, dans l’ancienne province de l’Équateur. À ce jour, SEP Congo ne tourne  plus qu’à 40 % de sa capacité de stockage, les nouveaux opérateurs dans le secteur lui ayant ravi la grande part du marché intérieur des produits pétroliers. Créma Deillis souligne que SEP Congo a perdu plus de 100 000 m3 de volume entre 2013 et 2016 à l’Ouest, où est concentré l’essentiel de ses activités rentables. Le prix d’un litre d’essence se négocie autour de 0.7 dollar contre 1.25 chez SEP Congo, conséquence médiate de la concurrence déloyale devant laquelle le gouvernement a fermé les yeux, a-t-il fait comprendre, sans sourciller, à la ministre du Portefeuille, Wivine Mumba Matipa.

Il y a encore quelques années, la baisse des activités de SEP Congo se circonscrivait à la partie ouest du pays, c’est-à-dire Matadi et Kinshasa. Mais aujourd’hui, ce sont les zones Est, Sud, Centre et Nord du pays qui sont totalement contrôlées par les opérateurs pétroliers indépendants et par le marché parallèle. Toutefois, le président du conseil d’administration de SEP Congo, Célestin Tunda ya Kasende, se veut confiant quant à l’avenir. L’établissement public conserverait pour longtemps encore le leadership dans la distribution des produits pétroliers, grâce à son expertise avérée et ses moyens logistiques, dont sa flotte constituée de 27 barges et 5 pousseurs.

Game is over!

Pourtant, les experts du ministère du Portefeuille sont d’avis que SEP Congo est sur une pente raide depuis pratiquement 5 ans, avant même que le poste frontalier de Lufu ne connaisse une telle expansion. Et l’État a, pratiquement, scellé le sort d’une firme qui conserve les stigmates de la colonisation. Le gouvernement a maintes fois manifesté sa préoccupation sur la situation des infrastructures de transport et de stockage des produits pétroliers autant que sur la gestion des SEP Congo et FINALOG, entreprises dont la RDC est copropriétaire avec des firmes privées, dont Total et Engen. Dans une note datée du 10 octobre 2013, adressée au 1ER Ministre de l’époque, Augustin Matata Ponyo, la ministre du Portefeuille, à l’époque Louise Munga Mesozi, avait d’ailleurs préconisé la création d’une nouvelle entreprise devant être opérationnelle, entre 2016 et 2017.

En 2015, sous la houlette de la même Louise Munga, les sociétés Cobil et SCTP (ex-ONATRA) ont construit un quai pétrolier à Ango-Ango ainsi qu’un appontement d’une capacité de stockage de 25 000 m3. « La construction de ce quai devra contribuer à améliorer le système d’approvisionnement existant et sera complémentaire pour appuyer le travail réalisé par SEP Congo », avait souligné Louise Munga. En réalité, après avoir créé la confusion en faisant de Cobil une entreprise publique concurrente à la SONAHYDROC, ex-Congolaise des hydrocarbures (COHYDRO), l’État a ouvert, au bénéfice de Cobil, un second marché mais en concurrence directe avec SEP Congo. Cet établissement est, en effet, une entreprise d’économie mixte, ayant pour actionnaires l’ex-COHYDRO (représentant l’État avec 36,6 %), ARISTEA (36,6 %), Engen (13 %), Cobil (7,6 %) et SCP (6 %).

Jamais, depuis plus de 100 ans de quasi-monopole, SEP Congo, né de cendres de SOCOPETROLE, n’a eu à sa tête un directeur général congolais. Les seuls postes majeurs de commandement laissés à la RDC sont ceux de président du conseil d’administration et de directeur général adjoint. Depuis mai 2016, ces postes sont respectivement assumés par  Célestin Tunda ya Kasende et Jean Madebu Bunga. L’ancienne ministre du Portefeuille en avait visiblement ras-le-bol, tout comme des autres pratiques des coactionnaires privés de SEP Congo. Et elle l’a fait savoir au chef de l’État, dans un style épistolaire de plus rocailleux. « La partie privée invoque l’insuffisance des moyens financiers… Explication que je considère comme un prétexte… », faisait remarquer Louise Munga, dans sa correspondance du 10 octobre 2013. Elle proposa plutôt la tenue, en toute urgence, d’une concertation entre experts (primature, Budget, Économie, Commerce, Hydrocarbures, Finances et Portefeuille) en vue de remettre l’État dans ses droits.

Les experts du gouvernement se sont, en effet, penchés, entre autres, sur l’impact du loyer mensuel versé par SEP Congo à FINALOG fixé à 622 666 dollars. Ou encore sur les retombées du bail emphytéotique sur les rentrées financières de l’État. Il sied, en effet, de rappeler que la Société des entreprises pétrolières loue à FINALOG les deux pipelines de 6 pouces qui vont d’Ango-Ango au sortir de Matadi, sur quelque 339 km. Leur capacité cumulée est de 1 400 000 m3/an. Elles se ramifient à trois autres pipelines au niveau de  Kinshasa (Masina/centre-ville et Masina-aéroport) qui sont propriété de SEP Congo. Les voies d’approvisionnement qui partent d’Ango-Ango font l’objet d’un contrat de cession de terre qui date de 1910, dont la propriété aurait dû revenir à l’État en 1960. Hélas, le système de régénération du pipeline a repoussé la rétrocession au-delà de 2025 !

Un audit est réclamé

Les analyses des experts de l’État concluent en outre à la vétusté desdites installations. « D’où la nécessité d’examiner les solutions possibles pour améliorer le rendement de ces infrastructures au regard des contraintes liées à leur saturation face à l’augmentation de la consommation des produits pétroliers consécutive à la croissance économique et industrielle de la RDC. », tranchait l’ancienne ministre du Portefeuille. Il appert que Total, coactionnaire dans SEP Congo et FINALOG, a mené une démarche solitaire en recourant à l’expertise d’une société spécialisée, FOSTER Wheeler, en vue de l’amélioration de la capacité actuelle des infrastructures existantes par des travaux techniques de manière à optimiser leur rendement. FOSTER aurait offert d’augmenter les capacités du pipeline existant sur près de 140 km pour près de 28 millions d’euros. Montant récusé par le Portefeuille. Évoquant la défectuosité des infrastructures d’acheminement et de stockage des produits pétroliers, Munga Mesozi avait en effet jugé fallacieuse l’insuffisance des moyens financiers (devant couvrir les différentes charges) avancée par les coactionnaires privés. Cette situation empêche l’État de disposer d’un pouvoir de contrôle et de suivi des activités non seulement de SEP Congo mais aussi de FINALOG. Et pourtant, outre les 36,6 % des parts dans SEP Congo, l’État dispose également des 40 % des actions dans FINALOG. Le poste d’ADGA lui revient. Mais cette disposition aurait été étouffée par les partenaires privés, dénonce-t-on au ministère du Portefeuille. Difficile pour l’État de se faire une réelle idée sur les rentrées financières de FINALOG. Selon des sources, cette dernière réaliserait en moyenne quelque 10.8 millions de dollars de chiffre d’affaires, plus de 8 millions de marge brute et de près de 4 millions de résultat opérationnel.

L’État actionnaire devrait exiger aussi un audit spécifique de SEP Congo et FINALOG. Les conclusions de cet audit permettraient au gouvernement de prendre des décisions idoines. Mais les experts du gouvernement devraient hic et nunc établir, soit-il à titre provisoire, les estimations sur la quote-part à prendre en charge par la structure des prix des produits pétroliers. Certes, la mise en œuvre du schéma de l’amélioration de la capacité des infrastructures actuelles de transport et de stockage des produits pétroliers doit se faire dans un bref délai, en compagnie d’autres actionnaires. Mais le gouvernement (Matata), sur l’exigence du Portefeuille, a levé l’option de la solution définitive préconisée pour cette question d’infrastructures de transport et de stockage. Reste la construction d’un nouveau pipeline. Et une étude financière et technique devra être commandée par l’État, seul, auprès d’une firme spécialisée pour ce faire.  Crispin Atama, l’actuel ministre de la Défense nationale, avait lancé à l’époque où il a été ministre des Hydrocarbures, un avis à manifestation d’intérêts pour le recrutement en vue de l’étude de faisabilité d’un pipeline dont le point de départ est le port maritime de Banana et le point de livraison le terminal de Kinshasa en passant par Ango-Ango. Deux ans après, un quai pétrolier ainsi qu’un appontement d’une capacité de stockage de 25 000 m3 ont été construits par l’entreprise d’État, Cobil. Pourtant, l’infrastructure qui a fait l’objet de l’appel d’offre du ministre des Hydrocarbures, devrait faire transiter des produits finis, c’est-à-dire essence, gasoil… kérosène d’un volume combiné de 1 million de m3, dans un premier temps, et de 3 millions de m3 à l’horizon 2020.